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— C’est à cause de Fitzgerald que tu es comme ça ?

— Quoi, comme ça ?

— C’est pour le venger que tu es rentré en Nouvelle-Zélande ?

— On l’a tué, dit-il entre les dents.

— Non, Paul : il s’est suicidé… J’ai vérifié à l’institut médico-légal. Ça ne fait aucun doute. Personne ne l’a tué…

— Alors c’est quelque chose qui l’a tué, répondit-il.

La légiste soupira. Autant essayer de rendre la raison à un arbre. Des langueurs salées montaient de l’océan. En proie à de nouveaux vertiges, Osborne se rattrapa à la rambarde. Amelia sentit son corps tout près du sien et cette espèce d’attraction qui les poussait l’un vers l’autre. Alors, sans plus penser à rien, elle enroula sa main autour de sa taille et posa la tête contre son épaule. Ils restèrent là un moment, devant la mer, immobiles. À travers sa chemise, Osborne était brûlant de fièvre. Amelia se serra plus fort contre lui.

Une poignée d’écume s’échoua sur le rivage et personne n’avait envie de la sauver.

Amelia releva la tête avec une envie folle de l’embrasser, mais l’homme qu’elle aimait tenait à peine debout.

— Il me faut de la dope, dit-il.

III

LE GARDIEN DES OS

1

Jon Timu roulait sur Tamaki Drive, la route de bord de mer qui menait à la banlieue chic de Mission Bay, sorte de Santa Monica local. Des criques se succédaient à l’abri des rochers. Depuis le sommet de la colline, la vue sur le golfe d’Auraki était spectaculaire.

Le chef de la police passa les grilles de l’institut spécialisé et gara sa vieille BM dans le parking visiteurs. Problème d’injection. Le garagiste lui avait répété qu’il faudrait songer à la changer — les pièces détachées coûtaient les yeux de la tête — mais le Maori avait chaque fois rétorqué qu’il y penserait. Changer de voiture : autant se mettre au footing…

La démarche traînante, Timu grimpa l’escalier du grand hall. Tête connue, la fille de l’accueil lui renvoya un sourire de circonstance.

— Bonjour, capitaine ! Vous venez voir Mark ? Il est à la piscine !

Timu bougonna un remerciement — à croire qu’il ne serait jamais qu’un flic aux yeux du personnel spécialisé, et pas un père… Il se soulagea la vessie dans les toilettes du rez-de-chaussée, serra les dents en voyant le liquide saumâtre qui sortait de l’urètre, puis suivit les couloirs jusqu’à la piscine couverte.

Une odeur de Javel emplit ses narines. Le sol était glissant. Le maître nageur surveillait le plongeoir d’où les gamins sautaient bruyamment. Mark s’ébattait parmi ses petits camarades qui, comme lui, s’en donnaient à cœur joie. Ils avaient tous un handicap mais dans l’eau ils redevenaient tous égaux, comme par magie.

Josie, fidèle et dévouée à sa tâche, y allait de ses encouragements, revêtue d’un maillot de bain une pièce qui faisait rebondir ses gros seins. L’éducatrice n’était pas belle, avec son nez de singe et sa peau boutonneuse, mais il y avait d’autres façons de l’être. C’est elle qui prendrait le relais, bientôt, de manière définitive… Ravalant ses larmes, Timu s’approcha.

Mark éclaboussait un petit copain quand soudain il vit son père. Branle-bas de combat à la surface de l’eau. Il pataugea, l’imbécile, à s’en noyer le corps, et arriva exténué au niveau du plongeoir où le maître-nageur, croyant à la panique, hésitait à sauter.

Mais Jon s’était déjà précipité ; le malade arrivait, hilare, les yeux rouges de chlore, dans un élan de joie qui donna à son père envie de chialer.

Bon Dieu, il était un homme, oui ou merde ! Le Maori attrapa son fils par les épaules, il pesait lourd le cochon, et le hissa hors de la piscine où tout le monde l’avait déjà oublié, tellement ça rigolait.

— Papa ! s’écria Mark.

Ses yeux bridés riaient comme s’il ouvrait un paquet-cadeau. Timu serra son fils dans ses bras, fort. Tout trempé qu’il était, Mark ne sentit pas les larmes qui dégringolaient sur ses épaules…

2

Au prix d’un bel effort, Osborne s’extirpa de la Honda. Il avait dormi d’un sommeil de plomb sur le sofa d’Amelia, il émergeait à peine et les pilules de codéine lui vrillaient la tête. L’assistante du coroner avait insisté pour qu’ils partagent un petit déjeuner consistant ; le bacon et les beans expédiés, elle le déposait devant l’hôtel Debrett avant de regagner son travail. En attendant, il avançait au radar.

— Ça va aller ?

— Oui, dit-il en se débarrassant de la portière. Encore merci pour le rafistolage…

— Pas de quoi.

Par la vitre ouverte de la Honda, Amelia lui jeta un dernier regard.

— Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? dit-elle. Casser la gueule au monde entier ?

— Il n’en vaut pas la peine…

Osborne posa sa main sur celle d’Amelia. Elle était chaude et douce comme sont les mains des femmes.

— À plus tard, dit-il.

Laissant la fille qui lui avait sauvé la vie à son bout de trottoir, il marcha jusqu’à l’hôtel Debrett.

Là, le barman lui adressa un signe de bienvenue depuis les vitres ouvertes, auquel il ne répondit pas. L’esprit encore vaporeux, il grimpa jusqu’à sa chambre d’hôtel et trouva la mallette au pied du lit. Il l’ouvrit, sniffa un peu de cocaïne pour contrebalancer les effets de la codéine, puis but deux grands verres d’eau avant de regagner la rue.

Dehors les humains vivaient comme si de rien n’était. Étrange de se retrouver parmi eux… Osborne contourna le bâtiment, protégeant ses yeux du soleil. La Chevrolet était toujours parquée dans la ruelle voisine. Il jeta le PV le long du caniveau et la mallette sur la banquette.

Ça sentait l’herbe et le tabac froid dans l’habitacle. Il fila vitres ouvertes vers le motorway, des mirages plein la tête…

Onehunga Road, succession de bicoques érigées à la va-vite : d’après la feuille d’embauche du Phénix, Will Tagaloa habitait au numéro 124, en plein South Auckland, le quartier le plus misérable de la ville. Trois frères : Will, Jesse et Steven Tagaloa, qui vivaient toujours chez leur père Mike. Aucun n’était fiché.

Sur le trottoir jonché de papiers gras, des effluves de friture s’éparpillaient dans la moiteur de l’été. Osborne gara la Chevrolet devant le numéro 124 et s’envoya une nouvelle ligne, pour tenir le coup.

Mike Tagaloa travaillait la nuit comme manutentionnaire à l’usine frigorifique d’Endeson. Un vieux Ford break était garé à l’ombre d’un pêcher efflanqué qui faisait office d’arbre fruitier. Osborne sonna deux fois avant qu’une voix mal réveillée ne l’incite à rester sur le perron.

La bedaine dépassant de moitié, tee-shirt Nike et jean délavé, des pognes à casser des pierres, Mike Tagaloa détestait qu’on le réveille pendant la sieste.

— Vous êtes quoi, vous ? Flic ? Si c’est pour que je vous parle des gars, vous pouvez sortir tout de suite ! grogna le Maori, mêlant le geste aux postillons.

Osborne se fit une brève idée de l’ambiance qui régnait dans la maison.

— Je cherche vos fils, dit-il, plus particulièrement Will. Il est où ?

— J’sais pas.

— Ah oui ?

— Je les ai pas vus depuis des semaines, rétorqua Mike.

— Ils n’habitent plus ici ?