Oh, pour l’amour de mes ancêtres ! « Je l’interroge sur les opérations de la flotte. Quel mal y a-t-il à cela ?
— Aucun, bien sûr, répliqua Rione sur un ton qui démentait ses paroles, avant de répondre dans la foulée à la question antérieure. Vos ennemis au sein de la flotte se tiennent tranquilles. Ils patientent. Ils n’agiront que quand la situation dans ce système stellaire sera éclaircie, de peur de permettre aux Syndics de nous tendre un dangereux traquenard. »
Geary hocha la tête mais garda ses pensées pour lui. Si j’échoue, ils auront ce dont ils ont besoin pour obtenir mon remplacement à la tête de la flotte. Cela dit, si ça devait se produire, il ne resterait vraisemblablement plus grand-chose à commander. Et aucun, apparemment, ne tient à triompher de la présence syndic dans ce système.
Son regard se reporta sur l’hologramme pour de nouveau chercher ce qui aurait dû s’y trouver. Toujours aucune trace de la flotte syndic qui les poursuivait et aurait déjà dû émerger au point de saut pour Ixion. Les doigts de Geary pianotaient fébrilement sur le bras de son fauteuil de commandement. Pourquoi n’était-elle pas encore apparue ? La flotte de l’Alliance était déjà depuis deux heures dans ce système stellaire. Chaque minute supplémentaire était sans doute un cadeau du ciel, mais il se méfiait des cadeaux qui vous tombent dessus pour des raisons incompréhensibles. Alors qu’il avait fait part à Rione de son espoir d’un répit de trois heures et qu’il avait même prié dans ce sens, il évaluait en fait à moins de deux heures le délai avant l’irruption des éléments de tête de la flotte syndic. Même en tenant compte du battement qu’il lui faudrait pour se réorganiser et faire volte-face à Ixion dès qu’elle découvrirait que la flotte de l’Alliance avait de nouveau sauté vers Lakota, une flottille d’une taille substantielle aurait déjà dû s’y montrer.
Un autre message hautement prioritaire lui parvint, provenant cette fois de l’Ocréa, à trente secondes-lumière de distance, ce qui impliquait un échange sans doute fort lent mais pas intolérable. Geary se demanda pourquoi le croiseur lourd l’appelait puis se rappela qu’il lui avait ordonné de recueillir et d’interroger des Syndics. « Ici Geary. Ont-ils parlé ? »
Le commandant de l’Ocréa hocha la tête. « Au moins l’un d’eux. La plupart se sont contentés de ressasser les absurdités syndics ordinaires, selon lesquelles être un citoyen des Mondes syndiqués reste un privilège. Mais un officier a manifestement décidé qu’il était impossible de détruire cette flotte et que tous ceux qui s’y efforceraient iraient contre la volonté des vivantes étoiles. Il vide son sac et dit tout ce qu’il sait, probablement en se persuadant que c’est le seul moyen de se racheter du péché qu’il a commis en nous attaquant. » Il s’interrompit pour guetter la réaction de Geary.
« Cette attitude me plaît », fit observer ce dernier.
Le commandant de l’Ocréa opina une minute plus tard. « À moi aussi, capitaine. Ce spatial syndic ne savait pas grand-chose, mais au moins que nous avons détruit leur navire amiral avant de sauter pour Ixion. Leur commandant en chef le plus élevé en grade ne s’en est pas tiré, et les deux officiers d’un rang inférieur mais équivalent qui sont désormais à leur tête se disputent le commandement de la flotte qui nous a poursuivis à Ixion. Notre informateur ne se le rappelle pas précisément, mais il pense que ça s’est passé il y a au moins quatre heures. Peut-être même un peu plus de cinq, alors que la flottille syndic d’ici ne réagit toujours pas. » Il attendit la réponse de Geary.
« Au moins quatre heures ? » Certes, il avait pris pour cible le centre de la flottille syndic dans cet espoir, mais, jusque-là, il ne savait pas qu’il avait réussi. « Votre bonhomme en est certain ?
— Oui, capitaine. Hélas, il ne peut nous fournir aucun détail précis sur l’effectif de la flotte qui nous a suivis à Ixion, sinon qu’elle est « grosse ». La seule autre information utile dont il semble se souvenir, c’est qu’on a ordonné à certains des vaisseaux syndics les plus gravement endommagés abandonnés à Lakota de transférer quelques-uns de leurs spatiaux sur les bâtiments qui nous traquent. Sans doute pour pallier les pertes subies au combat, croit-il savoir. Mais il a ajouté que beaucoup de leurs vaisseaux manquaient ces derniers temps de personnel qualifié. Les Syndics ont l’air d’avoir perdu un nombre plus important que d’ordinaire de spatiaux entraînés ; davantage, en tout cas, que ne pourra en remplacer leur pipeline. » Cette fois, le commandant de l’Ocréa sourit avec satisfaction.
« Beau travail, déclara Geary avec la plus grande sincérité. Croyez-vous qu’il vaille la peine de conserver certains de nos prisonniers pour les transférer sur un vaisseau doté de méthodes d’interrogatoire plus sophistiquées ?
— J’en doute réellement, capitaine. Même celui-là, qui a pourtant déballé à peu près tout ce qu’il pouvait, ne sait rien de plus que ce que je viens de vous apprendre. À mon avis, ça ne vaut pas le coup de les garder à bord. » Le commandant de l’Ocréa parut soudain frappé par une idée inattendue. « Nous ferions mieux de les remettre dans leurs capsules de survie et de les larguer. C’est ce que nous avons d’ailleurs fait récemment avec d’autres, n’est-ce pas ? »
Geary hocha la tête en s’efforçant de dissimuler son soulagement. Il n’y a pas si longtemps, le commandant de l’Ocréa, comme ses autres officiers, aurait tout bonnement rendu les prisonniers syndics à l’espace, du moins si traiter avec eux lui avait paru trop difficile. Qu’il eût spontanément suggéré d’en débarrasser la flotte en recourant à une solution plus humaine était un bon signe : le signe que la notion d’honneur recouvrait peu à peu son sens initial.
L’officier sourit : « Y aurait-il un message des vivantes étoiles que nous pourrions retransmettre à ce type pour qu’il le diffuse largement ? »
Geary faillit sauter sur l’occasion puis se ravisa. Ça lui semblait mal, d’une façon indéfinissable, comme si quelqu’un lui donnait un avertissement qu’il ne pouvait ni voir ni entendre, seulement sentir. « Ce ne serait peut-être pas une très bonne idée. Il peut toujours répandre ses conceptions personnelles, mais je ne voudrais pas offenser les vivantes étoiles en prétendant parler en leur nom. »
Le sourire du commandant de l’Ocréa s’effaça. « Je ne suggérais pas un sacrilège, capitaine.
— Je sais. Mais ce que nous trouvons bon ne trouve peut-être pas grâce à leurs yeux. D’accord ? Mieux vaut prévenir que guérir.
— En effet. » Le commandant de l’Ocréa hocha encore la tête. « Nous semblons jouir de leurs faveurs pour l’instant, et je ne voudrais pas nous les mettre à dos. Merci, capitaine. Nous larguerons les modules de survie syndics dans les dix minutes qui viennent…
— Ça me paraît bien. Merci pour votre excellent boulot. »
La fenêtre du commandant de l’Ocréa se refermant, Geary se retourna vers Desjani et Rione pour leur annoncer ces nouvelles avant de leur en donner son interprétation personnelle : « Les deux commandants en chef rescapés tiennent l’un et l’autre à s’attribuer le mérite de la destruction de notre flotte à Ixion, aussi passent-ils des heures à se disputer le commandement. Les Syndics n’ont-ils pas comme nous une échelle hiérarchique basée sur le grade et l’ancienneté, coprésidente Rione ? »
Elle secoua la tête. « L’échelon de leurs commandants en chef est à cheval sur les deux hiérarchies civile et militaire. Il est partiellement déterminé par leur grade, mais aussi par leur influence politique.