Derrière l’Indomptable et les autres croiseurs de combat, les cuirassés de l’Alliance avaient légèrement altéré leur course pour survoler la Flottille sacrifiée et viser un point d’interception des deux cuirassés ennemis, encore distants de plusieurs minutes-lumière. Tout autour, les destroyers et croiseurs légers qui avaient fini de balayer les plus proches vaisseaux syndics cherchaient à rattraper les cuirassés. À l’arrière-garde de ce qu’on pouvait peu ou prou appeler la formation de l’Alliance arrivaient ses quatre auxiliaires rapides, escortés de quatre cuirassés, des deux croiseurs de combat de Cresida et d’une vingtaine de croiseurs légers et de destroyers. Contrairement aux autres bâtiments, les auxiliaires avaient maintenu le cap sur un point d’interception des bâtiments de radoub syndics, au centre de la bulle aplatie formée par la Flottille sacrifiée.
« Nos cuirassés de tête ne sont plus qu’à deux minutes-lumière de leurs homologues syndics qui ont reçu la désignation de “flottille syndic Bravo”, fit remarquer Desjani. Je me demande encore pourquoi le système ne les a pas baptisés “flottille Suicide”. »
Desjani marquait un point, mais Geary montra les auxiliaires de la flotte : « S’ils parviennent à se frayer un chemin en force jusqu’à nos auxiliaires, ils pourraient fichtrement bien nous nuire. »
Desjani secoua la tête. « S’ils réussissent à passer malgré tout ce que nous leur aurons envoyé, ils seront tellement affaiblis que les vaisseaux de Cresida pourront s’en charger.
— Les duels entre croiseurs de combat et cuirassés n’ont jamais fait mon bonheur », lâcha Geary. Il craignait que ses commandants agressifs ne se laissent emporter dans le feu de l’action. Mais leur ordonner de tempérer cette agressivité lui était interdit. Aucun ne l’écouterait. Il pressa de nouveau sa touche de communication. « À toutes les formations de croiseurs de combat de l’Alliance. Dès achèvement de vos passes de tir sur la Flottille syndic Bravo, freinez votre vélocité pour la régler sur celle de la Flottille sacrifiée et attendez les instructions. Tous les cuirassés de l’Alliance devront aussi exécuter cette manœuvre sitôt que la flottille syndic Bravo sera détruite. »
Pendant qu’il parlait, des navettes jaillirent des vaisseaux de l’Alliance qui fondaient sur la Flottille sacrifiée. La trajectoire de chacune s’incurva vers une cible spécifique. La plupart visaient l’épave de l’Audacieux, mais d’autres fonçaient vers les bâtiments de radoub et les vaisseaux de guerre proches afin de vérifier qu’ils étaient bel et bien abandonnés et que les unités de l’Alliance pouvaient s’en approcher sans risque.
Les navettes se dirigeaient encore vers leurs objectifs respectifs quand les croiseurs de combat de Duellos et Bravo se croisèrent à une vitesse combinée supérieure d’un poil à 0,2 c. À une telle vélocité, les effets relativistes distordent suffisamment l’image des objets extérieurs pour rendre malaisée l’acquisition d’une cible ; en outre, lorsque l’ennemi arrivait à portée des armes, la fenêtre de tir n’était plus que d’une infime fraction de seconde.
Quand les deux formations se séparèrent, Geary constata que les boucliers des cuirassés syndics étaient sans doute affaiblis, mais qu’aucune frappe n’avait fait mouche. Les Syndics, cependant, avaient concentré leur massive puissance de feu sur le Formidable, sans doute parce qu’ils s’étaient aperçus des dommages infligés au croiseur de combat de l’Alliance lors de son dernier engagement. Le Formidable avait essuyé un déluge de feu et perdu la majeure partie de son aptitude au combat, mais il avait au moins réussi à éviter que ses unités de propulsion fussent davantage endommagées et ne perdait pas de terrain sur ses collègues.
Brillant, Opportun et Inspiré frappèrent ensuite de conserve les cuirassés, affaiblissant un peu plus leurs boucliers. L’Opportun avait essuyé quelques méchantes frappes dans l’aventure.
Les quatre croiseurs de combat de Tulev concentrèrent leur feu sur le plus proche cuirassé syndic en le croisant sur bâbord, ouvrant ainsi quelques brèches dans ses boucliers ; mais le Dragon avait pris quelques coups.
Desjani lança ses croiseurs de combat dans la mêlée ; Geary espérait qu’elle limiterait leur passe de tir à prudente distance de cuirassés syndics encore extrêmement dangereux. Ceux-ci concentraient leur feu sur un Risque-tout déjà endommagé, mais Desjani avait organisé cette interception en l’éloignant le plus possible de l’ennemi, lui épargnant ainsi les dommages dont avait souffert le Formidable. L’Indomptable et le Victorieux pilonnaient celui des cuirassés dont les boucliers restaient les plus solides, affaiblissant encore sa protection tout en réussissant à éviter d’autres dégâts.
Ne restait plus à l’Illustre et l’Incroyable qu’à marmiter de nouveau le premier cuirassé ennemi. Quand les derniers croiseurs de combat de l’Alliance achevèrent leur passe de tir, les cuirassés syndics avançaient toujours, leurs boucliers sérieusement affaiblis mais leur blindage, leurs armes et leurs autres systèmes encore intacts, et filaient vers les auxiliaires de la flotte sur une trajectoire d’interception incurvée.
Mais les cuirassés des deuxième, cinquième et huitième divisions fondaient déjà sur eux. À deux contre douze, la lutte eût été déjà effroyablement inégale en n’importe quelle circonstance, mais, de surcroît, les cuirassés de l’Alliance disposaient encore de boucliers à leur pleine puissance, alors que ceux des syndics ne la recouvraient que lentement.
Geary sourit en voyant ses trois sous-formations se conformer au plan de manœuvre qui coordonnait leurs mouvements. Galant, Intraitable, Glorieux et Magnifique fendirent l’espace juste au-dessus des cuirassés syndics, suivis quelques millisecondes plus tard par Acharné, Représailles, Superbe et Splendide, dont la passe de tir s’effectua sous leur ventre, tandis que Téméraire, Résolution, Redoutable et Écume de Guerre les pilonnaient par tribord. Une telle force de frappe, déployée à cette vitesse, ne laissait aucune chance aux cuirassés syndics assiégés. Ils ripostèrent sans doute et réussirent à frapper une ou deux fois le Glorieux et le Téméraire, mais, quand ils s’éloignèrent, les douze cuirassés de l’Alliance laissaient derrière eux une boule de débris en expansion marquant l’emplacement de la destruction du premier, et l’épave tournoyante du second. Quelques capsules de survie s’évadèrent des vestiges du second cuirassé ennemi, qui s’écartait de son vecteur d’origine en culbutant silencieusement dans le vide.
Quand la dixième division du capitaine Armis arriva trente secondes plus tard à portée d’engagement, ses cuirassés durent se contenter de déchiqueter ces vestiges en plus petits fragments.