Geary soupira puis s’adressa de nouveau au colonel des fusiliers : « Rectification. Ne le réglez pas encore sur surcharge. Attendez un moment. » Puis il se tourna vers Rione. « Pourquoi ne pas faire sauter l’Audacieux ? Pourquoi permettre aux Syndics de le reprendre ?
— Je ne suggère pas de les laisser le récupérer, répliqua-t-elle froidement. D’innombrables vaisseaux ennemis sont lancés à notre poursuite et nous devrions utiliser toutes les armes disponibles pour rétablir l’équilibre. Piégez ce bâtiment pour qu’il explose, non pas à une heure préétablie, mais quand les Syndics l’investiront de nouveau. »
Geary ne put réprimer une grimace à cette idée. Pourtant, si haïssables que fussent les chausse-trappes, elles restaient des armes acceptables en pareil cas. Puis une autre pensée se fit jour en lui : « Peut-être pourrions-nous piéger tous les vaisseaux pour qu’ils explosent quand les Syndics les réoccuperont. »
La bouche de Desjani, qui écoutait, se tordit en une moue agacée. « Hélas, ça ne leur nuira que lorsque notre combat sera terminé dans ce système.
— Eh bien, en effet, convint Geary, mais ce n’est pas comme si nous pouvions… »
Il laissa traîner sa voix puis jeta un regard stupéfait à son capitaine de pavillon.
Celle-ci écarquilla les yeux. « Tous ces vaisseaux syndics désertés fonctionnent avec un réacteur. Si nous pouvions les régler pour qu’ils explosent au moment voulu…
— Comme des mines ?
— Exactement ! D’énormes mines obéissant à un détonateur de proximité ! Il nous suffirait d’attirer la flotte syndic assez près de la Flottille sacrifiée…
— Ça ferait effectivement un foutu champ de mines ! Pouvons-nous le réaliser ? » demanda-t-il à Desjani.
Celle-ci pivota vers son officier d’ingénierie. « Lieutenant Nicodeom, j’ai besoin d’une évaluation. Pouvons-nous piéger un vaisseau syndic abandonné afin qu’il fonctionne comme une mine et fasse exploser son réacteur dès l’entrée d’une cible dans son enveloppe d’engagement ? »
Le lieutenant parut d’abord surpris puis pensif. « La meilleure façon de procéder serait sans doute d’utiliser une mèche de mine connectée aux systèmes de contrôle du réacteur. Ça exigerait un gros travail, commandant, parce qu’il faudrait régler sa programmation en fonction de l’estimation du rayon de destruction du réacteur, tenir compte du délai nécessaire à la surcharge du réacteur de chaque bâtiment, poser quelques câbles de contrôle et créer des interfaces avec les systèmes de contrôle du réacteur syndic.
— Où se trouvent les ressources nécessaires dans la flotte ? s’enquit Desjani.
— Nos meilleurs ingénieurs en armement sont à bord des auxiliaires, commandant. C’est aussi là que sont entreposées les mèches de mine. Il faudrait amener les auxiliaires près du vaisseau syndic que vous comptez piéger ou transférer par navette le personnel et le matériel des auxiliaires à ce bâtiment. »
Le sourire de Desjani s’élargit d’une oreille à l’autre. « Vous avez entendu, capitaine ? »
Geary hocha la tête, conscient de sourire lui aussi. Les quatre auxiliaires se trouvaient auprès des vaisseaux de guerre syndics de la Flottille sacrifiée, là précisément où leur présence était requise. « Il me semble qu’il est temps d’appeler le capitaine Tyrosian. Espérons que ses ingénieurs n’auront pas besoin de spécifications pour exécuter ce travail en vitesse. »
Le lieutenant Nicodeom reprit la parole : « C’est une gageure, capitaine Geary. Configurer les mèches sur chaque vaisseau syndic et les connecter toutes en un très bref délai, c’est exactement le défi qu’aimerait relever tout bon ingénieur en armement, rien que pour le plaisir. Chercher un nouveau moyen de faire exploser un énorme objet ? On ne peut guère trouver mieux.
— Merci, lieutenant. » Geary activa le circuit de communication pour appeler Tyrosian puis l’informa brièvement de ses besoins. « Vos gens en seront-ils capables, capitaine Tyrosian ? demanda-t-il ensuite. Je reste conscient que c’est un très difficile défi technologique en si peu de temps, et je me suis aussi laissé dire que seuls les meilleurs ingénieurs en armement sauraient le relever. » Il pouvait difficilement se montrer plus direct, mais l’heure n’était pas à la subtilité. En outre, il avait affaire à quelqu’un du génie, de sorte que la subtilité risquait de toute façon de lui échapper.
Le regard du capitaine Tyrosian, qui tendait parfois à se glacer quand elle affrontait des questions opérationnelles, s’illumina d’enthousiasme. « Faire des vaisseaux syndics désertés une arme ? Des détonateurs de proximité ? Voulez-vous qu’on les connecte tous et qu’on les programme pour créer une explosion globale ?
— Ouais, ce serait fantastique.
— Considérez que c’est chose faite, capitaine, affirma Tyrosian avec assurance. Quand est-ce que ça devra être prêt ?
— Dans deux heures environ. »
L’ingénieur sursauta visiblement puis hocha la tête : « Ils seront prêts, capitaine. »
L’image de Tyrosian s’effaçant, Geary lança un regard à Rione : « Merci pour la suggestion. »
La coprésidente haussa les sourcils. « Votre idée me semble surpasser de loin ma modeste proposition.
— Elle ne nous serait jamais venue sans votre contribution », fit-il remarquer.
Desjani coula un regard vers Rione et inclina la tête en signe de tacite assentiment. La coprésidente lui retourna un sourire contraint.
Geary se remit à étudier l’hologramme du système stellaire en se massant le menton d’une main, l’air de n’avoir pas remarqué le jeu de scène. « Le hic, ce sera d’inciter les Syndics à entrer dans la zone dangereuse au moment voulu. Nous devrons les y attirer sans qu’ils soient conscients qu’on les mène par le bout du nez. Pas facile.
— Je suis bien certaine que vous trouverez un moyen, affirma Rione.
— Nous disposons déjà de leurres sur place, pour les appâter vers la Flottille sacrifiée », fit observer Desjani.
Geary fixa l’hologramme en fronçant les sourcils, conscient qu’elle parlait des auxiliaires. Sans eux, la flotte serait perdue ; elle manquerait nécessairement de cellules d’énergie et de munitions avant d’atteindre l’espace de l’Alliance. Les protéger était donc d’une importance cruciale, en même temps qu’ils faisaient les meilleures cibles pour une attaque ennemie. « Nous l’avons déjà fait à Sancerre. Goberont-ils une deuxième fois l’hameçon ?
— Il suffit de procéder de manière différente, argua Desjani.
— Des suggestions ? » demanda Geary.
Il se trouva qu’elle avait bel et bien quelques idées. Pas forcément de celles que Geary approuvait totalement, mais assez intéressantes pour qu’on les creusât jusqu’à échafauder un plan véritable. Il jetait de temps en temps un regard à Rione pour voir si elle avait quelque chose à ajouter, mais la coprésidente se contentait de fixer son écran, le visage de marbre.
« Capitaine Tyrosian, ordonnez à toutes les navettes et à tous les spatiaux qui ne s’emploient pas à piller les bâtiments de radoub syndics ou à piéger les carcasses pour qu’elles explosent de dépouiller de manière flagrante les autres vaisseaux syndics de leurs matériaux. »
L’ingénieur, qui s’apprêtait manifestement à lui annoncer fièrement que le pillage progressait sensiblement, se pétrifia au beau milieu d’une phrase, l’air décontenancée. « Capitaine ?
— Je veux que les Syndics nous voient en train de grappiller désespérément tout ce qui nous tombe sous la main, reprit Geary. Vivres, matériel, n’importe quoi. Ils doivent se persuader que vous tenez à vous attarder le plus longtemps possible auprès de la Flottille sacrifiée pour faire main basse sur tout ce que vous pourrez. Nous devons avoir l’air de manquer cruellement de réserves, capitaine Tyrosian.