Geary observait la trajectoire de la flotte syndic : le pan le plus large de sa grosse boîte pivotait vers l’avant sur un vecteur qui contraindrait la sphère aplatie de la Flottille sacrifiée à traverser presque directement son centre. Dans la mesure où les auxiliaires de l’Alliance avaient légèrement plongé vers le bas et où la flotte syndic arrivait en surplomb, cette sphère aplatie s’inclinait un tantinet vers le haut par rapport à la seconde, réduisant ainsi l’angle de pénétration. La longueur et la largeur de la boîte étaient d’une dimension supérieure à celle du diamètre de la sphère écrasée, mais elle était aussi un peu moins profonde. Alors même que la flotte syndic piquait vers son interception des auxiliaires, nombre de ses vaisseaux procédaient à de menus ajustements de leur trajectoire, destinés le plus souvent à leur faire frôler le dessus ou le dessous de la Flottille sacrifiée afin de lui permettre de traverser leur formation.
Les paramètres des détonateurs de proximité intelligents, cannibalisés des mines de l’Alliance et fixés aux coques des épaves, étaient réglés pour déterminer l’effet destructeur des armes improvisées auxquelles ils étaient désormais reliés ; les détonateurs eux-mêmes calculaient le moment où ils devraient faire exploser leurs charges pour toucher des cibles fondant sur eux à une vitesse pratiquement égale au dixième de celle de la lumière. Quand la formation syndic atteignit le point idéal, ils déclenchèrent la surcharge des réacteurs encore en activité des vaisseaux abandonnés et créèrent une ondoyante sphère de chaos où les Syndics se précipitèrent sans avoir le temps de réagir.
Une région entière de l’espace s’embrasa quand explosèrent tous ces réacteurs, parmi lesquels celui de l’Audacieux ; le cuirassé blessé porta à l’ennemi un dernier coup fatal. Un épais champ de débris, de particules à haute vélocité et de décharges d’énergie s’épanouit tous azimuts et atteignit son intensité et sa taille maximales pendant la fraction de seconde où la formation syndic traversait cette zone de l’espace.
Tendu, Geary vit le centre de la boîte syndic disparaître au sein de cette explosion massive. Ses flancs se trouvaient sans doute en dehors de la zone de destruction mais le centre avait écopé, presque à la perfection.
Quelques instants plus tard, l’écran réactualisait les données et procédait à l’évaluation des pertes syndics, tout en continuant d’afficher les derniers râles d’agonie de la Flottille sacrifiée.
Des acclamations étouffées s’élevaient tout autour de Geary. Le capitaine Desjani laissa échapper un bref gloussement jubilatoire. Geary se contentait de fixer l’hologramme, pétrifié, choqué par l’énormité des dommages infligés à l’ennemi.
Tous les vaisseaux de la Flottille sacrifiée avaient disparu, bien entendu, vaporisés par l’explosion de leur réacteur. La plupart des avisos présents dans le rayon de la déflagration s’étaient aussi volatilisés, réduits en miettes trop petites pour qu’on pût identifier ceux qui se trouvaient au plus près de l’explosion. Des fragments plus importants balisaient l’emplacement des vestiges de croiseurs légers et de ceux des croiseurs lourds touchés de plein fouet. Deux de ces derniers émergèrent encore intacts du champ de dévastation, mais tous leurs systèmes avaient été soufflés et ils piquaient désespérément vers le bas et par bâbord. Seuls cinq croiseurs lourds avaient survécu, à l’extérieur de la formation syndic.
Tous les croiseurs de combat présents dans la zone de destruction avaient été frappés : certains étaient littéralement réduits en morceaux tandis que d’autres, toujours d’un bloc, étaient désormais privés de leurs systèmes opérationnels. Des treize croiseurs de combat de la flotte syndic, neuf étaient détruits ou désemparés.
De ses trente et un cuirassés, vingt avaient été pris dans l’explosion. Huit de ces derniers étaient encore intacts mais hors de combat. Neuf autres étaient sévèrement endommagés et poursuivaient leur route en titubant, leurs boucliers enfoncés et de nombreux systèmes HS. Les trois derniers étaient blessés mais toujours en état de combattre.
« Il me semble que les chiffres ont basculé en notre faveur », déclara Desjani, dont les yeux brillaient déjà du désir de combattre, car les forces opposées allaient bientôt se rencontrer.
Il y avait de bonnes chances pour que le commandant en chef syndic eût connu la mort pendant la destruction de la Flottille sacrifiée ou qu’il se trouvât encore sur un des bâtiments dont tous les systèmes étaient HS et fût dans l’incapacité de communiquer avec ses vaisseaux. Sans autres instructions, les survivants se plieraient aux derniers ordres qu’ils avaient reçus et continueraient de fondre sur les auxiliaires en fuite. Leur formation épousait à présent les contours d’une boîte dont le centre déchiqueté traînerait en arrière à mesure que ses vaisseaux blessés prendraient du retard.
Le Furieux et l’Implacable, dont la charge désespérée affrontait désormais un ennemi très amoindri, transpercèrent un des flancs de la boîte syndic vide et concentrèrent leur feu sur le cuirassé de tête dès qu’une fenêtre de tir s’ouvrit puis se referma en un éclair. Les escorteurs des croiseurs de combat de l’Alliance focalisèrent le leur sur des unités plus légères et abattirent quelques avisos et deux croiseurs légers.
Les vaisseaux de Cresida s’éloignant comme des bolides pour négocier l’ample tournant exigé par une nouvelle passe d’armes, le cuirassé ennemi, qui avait essuyé plusieurs salves de missiles spectres, de mitraille et de lances de l’enfer, commença de quitter sa position ; ses systèmes de propulsion de poupe fonctionnaient toujours à plein rendement, mais ses sections de proue étaient cabossées et lacérées.
« Le Furieux a essuyé plusieurs frappes, annonça la vigie de combat d’une voix nette. Une batterie de lances de l’enfer et un projecteur de champ de nullité HS. L’Implacable a perdu deux batteries de lances et un de ses systèmes de propulsion souffre d’avaries minimes. Deux croiseurs de combat ont épuisé tous leurs missiles et leur mitraille lors de cette passe. L’Utap a perdu tous ses systèmes de combat, mais il peut encore manœuvrer. L’Arbalète et le Bec de corbeau ont subi de sérieux dommages, mais ils maintiennent la formation. »
Moins de deux minutes plus tard, les sous-formations de la flotte atteignaient leurs divers points d’interception. Le capitaine Tulev mena de nouveau Léviathan, Dragon, Inébranlable et Vaillant à l’assaut d’un autre flanc de la flotte syndic. Les croiseurs de combat de l’Alliance concentrèrent encore leur feu et, cette fois, détruisirent un cuirassé syndic déjà gravement endommagé et un croiseur de combat qui partit à la dérive, tous ses systèmes HS.
Le capitaine Duellos fit ensuite donner Courageux, Formidable et Intrépide, qui blessèrent gravement un autre cuirassé, puis les cinq croiseurs de combat rescapés des sixième et septième divisions passèrent en trombe et liquidèrent deux de leurs trois derniers homologues syndics.
Ce fut ensuite au tour de la quatrième division de croiseurs de combat d’intervenir. Si primordial que fût le retour de l’Indomptable dans l’espace de l’Alliance, Geary ne voyait aucun moyen de lui éviter le combat. Même s’il avait publiquement annoncé que le bâtiment contenait la clé de l’hypernet ennemi, l’équipage aurait réclamé à cor et à cri sa participation à la bataille et éprouvé la plus grande honte à la perspective de son désengagement.