Sans rien dire de celle qu’aurait ressentie Tanya Desjani. La connaissant, elle aurait sans doute remis sa démission plutôt que d’endurer une telle disgrâce.
Sans doute l’écoutaient-ils et apprenaient-ils, mais, s’il poussait trop loin le bouchon, ils se rebelleraient contre ce qu’ils regarderaient comme une humiliation. Geary ne pouvait que s’y résoudre.
Indomptable, Risque-tout et Victorieux piquèrent donc sur une fraction de la formation syndic contenant un cuirassé déjà blessé et le croiseur de combat syndic rescapé. Dans la mesure où les vaisseaux de l’Alliance se déplaçaient à près de 0,08 c et les syndics à un peu plus de 0,1, l’instant de l’affrontement effectif fut trop bref pour que les sens humains en fussent affectés. Les Syndics étaient devant, et derrière une microseconde plus tard, tandis que l’Indomptable vibrait encore des frappes qui l’avaient touché alors qu’il était à la portée des armes ennemies.
« Brèches aux boucliers de proue et de bâbord, annonça la vigie chargée du contrôle des avaries. La batterie de lances de l’enfer un alpha a perdu une arme. Dommages structurels aux châssis 45 et 127.
— Très bien. » Desjani hocha la tête, les yeux fixés sur l’écran où s’affichaient les conséquences de la passe de tir du croiseur de l’Alliance. « On l’a eu ! »
Geary sentit qu’il souriait férocement, lui aussi. Le dernier croiseur de combat syndic cracha des capsules de survie puis explosa suite à la surcharge de son réacteur. Le cuirassé syndic déjà endommagé avait essuyé d’autres frappes et perdait lentement de sa vélocité.
Puis le sourire de Geary s’effaça. Les croiseurs de combat de l’Alliance se retournaient tous pour de nouvelles passes d’armes, les cuirassés et le reste de la flotte poursuivaient leur route et, bien que les auxiliaires et leurs escorteurs eussent sensiblement accéléré et incurvé leur trajectoire, tant latéralement que verticalement, les Syndics survivants s’en rapprochaient, quasiment à portée de tir. Les auxiliaires en fuite et leurs escorteurs rapprochés filant dans la même direction qu’eux, la vitesse relative des vaisseaux était beaucoup plus lente. L’affrontement se déroulerait assez lentement pour que les sens humains l’enregistrent.
Geary constata que Desjani l’observait et il montra les auxiliaires : « Si nous les perdions, peu importerait le nombre de vaisseaux syndics que nous aurions abattus aujourd’hui. Nous aurions malgré tout perdu la bataille.
— C’était un risque à prendre, déclara-t-elle à voix basse.
— Je sais. »
Le Guerrier, déjà pilonné à Vidha puis à Lakota au premier passage de la flotte, fit une embardée pour barrer la route aux Syndics qui visaient Titan et Gobelin. Deux avisos ennemis s’imaginèrent sans doute qu’ils pourraient passer sous le nez du cuirassé de l’Alliance gravement endommagé, mais ils apprirent à leurs dépens qu’il était encore capable d’un sursaut ; ses rares lances de l’enfer encore opérationnelles déchiquetèrent leur pauvre blindage. Juste derrière eux, un croiseur léger tenta d’engager le combat avec le Guerrier et fut lui aussi détruit.
Mais deux cuirassés syndics pratiquement indemnes arrivaient sur ses brisées. Des missiles en jaillirent, visant Titan et Gobelin. Le Guerrier et les destroyers de l’Alliance qui l’accompagnaient verrouillèrent leur tir sur les spectres et en effacèrent plusieurs, mais ils se retrouvèrent démunis face au cuirassé et ne purent engager directement le combat avec lui.
Le Guerrier effectua une nouvelle et douloureuse embardée pour se glisser devant eux et leur barrer la route, de sorte que les deux cuirassés ennemis concentrèrent leur feu sur celui de l’Alliance, l’estropièrent en quelques secondes et démolirent tous ses systèmes. Geary marmotta une brève prière en se représentant les ravages que ce tir de barrage avait dû infliger à l’équipage du Guerrier.
Restaient le Conquérant, l’Orion, le Majestic et les quelques croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers qui les escortaient. Le Conquérant, qui venait d’assister à mort du Guerrier, semblait pétrifié : il maintenait les mêmes trajectoire et vélocité que les cuirassés syndics qui s’en rapprochaient. L’Orion entreprit de glisser vers le haut puis rebroussa chemin pour se placer à proximité du Conquérant, comme s’il recherchait la protection du cuirassé intact.
Geary ne saurait jamais ce qu’avait entrepris le Majestic : si le serre-file et ultime cuirassé rescapé avait essayé de se retourner pour engager le combat ou tenté de fuir l’ennemi. Dans ses moments les plus charitables, il prêterait à son commandant et à son équipage, sans doute inspirés par le sacrifice du Guerrier, un courage recouvré et l’intention de racheter leurs manquements passés. Quoi qu’il en fût, les spatiaux du Majestic payèrent le prix de la lenteur des réparations des armes et défenses de leur bâtiment.
Les cuirassés syndics le criblèrent de leurs derniers missiles dans le but de submerger ses boucliers. Trois spectres les traversèrent et trouvèrent sa proue, balayant ses unités de propulsion. Puis, alors que le Majestic commençait à tournoyer et à culbuter sur lui-même, hors de contrôle, ils altérèrent leur trajectoire pour placer leur cible impuissante à la portée de leurs lances de l’enfer. Leur mitraille fit s’effondrer ses derniers boucliers puis leurs lances de l’enfer déchiquetèrent son blindage insuffisamment réparé et parsemé de points faibles.
Geary vit le Majestic scintiller sous ces coups redoublés, puis son image disparut momentanément sous ce déluge d’impacts, au fur et à mesure que d’autres missiles, d’autres rafales de mitraille et un tir ininterrompu de lances de l’enfer le déchiquetaient. Alors une explosion beaucoup plus puissante embrasa l’espace pendant quelques instants : le réacteur du Majestic avait explosé.
La lumière s’évanouit, laissant un champ de débris où quelques vaisseaux syndics rescapés cherchaient vainement une cible.
« Maudits soient-ils ! » marmonna Desjani. Geary se demanda si elle parlait des Syndics qui venaient de détruire le Majestic ou des officiers et des spatiaux du cuirassé de l’Alliance qui avaient creusé leur propre tombe.
Toujours figé sur la même trajectoire, le Conquérant liquidait toutes les unités légères syndics passant à sa portée. L’Orion dérivait de nouveau vers le haut, tout en conservant une position aussi avancée que celle du Conquérant, position qui lui interdisait pratiquement de défendre les auxiliaires. Mais les croiseurs lourds, croiseurs légers et destroyers de l’Alliance s’étaient écartés du Conquérant et coupaient au travers des escorteurs syndics qui tentaient d’atteindre Titan et Gobelin. Ces deux bâtiments déployaient tout le feu défensif, hélas insuffisant, dont ils étaient capables. Un missile heurta le Gobelin à mi-vaisseau, l’ébranlant. Un aviso réussit à s’approcher assez du Titan pour le frapper à deux reprises de ses lances de l’enfer, juste avant que le destroyer de l’Alliance Reprise ne déboule par en dessous et ne le détruise de plusieurs tirs bien ajustés.