Les lances de l’enfer de l’Indomptable lacérèrent le cuirassé ennemi visé puis des champs de nullité, projetés par leRisque-tout, le Victorieux et lui, forèrent des trous dans sa coque. Desjani laissa échapper un long soupir quand son vaisseau abandonna derrière lui un ennemi brisé, puis elle hocha la tête pour Geary. « Oui, capitaine. Vous avez gagné.
— Nous avons gagné, rectifia-t-il. C’est cette flotte qui a remporté la victoire, pas moi.
— Vous y avez contribué », fit sèchement remarquer Rione.
Geary inspira profondément avant d’appeler sa flotte : « À toutes les unités de la flotte de l’Alliance : poursuite générale. Rompez la formation et veillez à ne laisser échapper aucun bâtiment ennemi. Les destroyers et croiseurs légers qui ne sont pas en train de combattre doivent recueillir les capsules de survie des vaisseaux de l’Alliance. »
L’espace du système de Lakota était désormais saturé d’épaves et de centaines de modules de survie syndics. Les bâtiments de Geary continuaient de pilonner les vaisseaux ennemis survivants mais endommagés, les submergeant et ajoutant encore, à mesure qu’ils les décimaient, d’autres débris et capsules de survie à ce fourmillement.
Mais la victoire n’avait pas été acquise sans douleur. Le Majestic avait cessé d’exister, tout comme les croiseurs lourds Utap, Vambrace et Fagot. Les défenseurs des auxiliaires avaient essuyé de lourdes pertes. Outre le Flanconade, les croiseurs légers Brigantine, Carte et Ote avaient été détruits, ainsi que les destroyers Brassard, Kukri, Hastarii, Pétard et Spicule. La plupart des autres vaisseaux de la flotte avaient subi des dommages, à divers degrés de gravité, et perdu des spatiaux. Comparé aux pertes des Syndics, le coût de la victoire était sans doute insignifiant, mais, en songeant aux morts de sa flotte, Geary dut réprimer une poussée de déprime.
« On ne peut pas sauver le Guerrier, capitaine », annonça lugubrement Desjani.
Eût-il voulu le nier qu’il n’aurait pu le faire. Le Guerrier s’était bien battu, et, pour protéger les auxiliaires, son équipage avait plus que largement répondu à l’appel du devoir. Il méritait de survivre et de regagner fièrement l’espace de l’Alliance. Mais le cuirassé, déjà lourdement endommagé, avait été criblé de tirs : ses unités de propulsion étaient détruites et les trous de sa coque compromettaient ses systèmes de survie. En consultant les relevés et les images du Guerrier, Geary ne put que se remémorer l’épave de l’Audacieux. « Capitaine Suram, votre équipage et vous, vous vous êtes conduits d’une manière qui ne peut que faire honneur à vos ancêtres, mais le Guerrier est désormais irréparable. Abandonnez votre vaisseau, ordonna-t-il.
— Nous recevons un appel du Guerrier, uniquement audio, sur le canal d’urgence, annonça la vigie des transmissions bien avant qu’une réponse ne leur parvînt. Le signal est très faible, mais nous l’avons boosté. »
Geary appuya sur la touche « Accepter l’appel » et écouta le message ; la voix du capitaine Suram était étrangement distordue par le rehaussement électronique : « Tous nos systèmes sont HS à l’exception des contrôles d’urgence du réacteur. Nous tentons de le shunter. Le Guerrier ne peut plus continuer le combat. De nombreuses capsules de survie ont été détruites ou endommagées au cours du dernier engagement. Ceux de nos spatiaux que pourront contenir les modules encore intacts abandonnent le vaisseau. En l’honneur de nos ancêtres.
— Continuer le combat ? s’étonna Geary.
— Ils sont aveugles maintenant que tous leurs systèmes sont HS, expliqua Desjani. Ils peuvent sans doute percevoir à l’œil nu, avec l’aide du modeste équipement de grossissement de leur combinaison, une explosion et certains signes de la bataille, mais ils ne peuvent pas savoir qu’il s’agit de nous, ni même se douter que nous avons nettoyé les Syndics. Il faut absolument dépêcher des appareils là-bas pour recueillir le reste de leur équipage, ajouta-t-elle précipitamment. Je recommanderais…
— Capitaine ! appela une autre vigie d’une voix alarmée. Nous recevons des signaux indiquant que le cœur du réacteur du Guerrier est instable. Les systèmes de contrôle d’urgence ont dû être endommagés aussi, et ils flanchent.
— Délai avant explosion ? s’enquit Desjani.
— Imprévisible, capitaine. Il pourrait tenir jusqu’à l’extinction, s’ils y parviennent, ou avoir déjà explosé sans que son image ne nous soit encore parvenue. »
Desjani jeta à Geary un regard funèbre. Ce dernier hocha la tête, conscient que la décision lui revenait. Tout vaisseau tentant de s’approcher du Guerrier pour sauver son équipage piégé risquait d’être pris dans l’explosion de son réacteur. « Qui recommanderiez-vous pour le sauvetage de ces spatiaux ? demanda-t-il à Desjani.
— Les destroyers du vingtième escadron, répondit-elle aussitôt. Ils sont encore regroupés et en bonne position, mais le Guerrier a dérivé loin de la bataille après avoir été sonné, ou, plutôt, la bataille s’est poursuivie pendant qu’il restait sur place. Il leur faudra près d’une demi-heure pour atteindre l’épave et régler leur vélocité sur la sienne.
— D’accord. » Geary tapa sur ses touches en continuant de réfléchir en même temps qu’il transmettait : « Vingtième escadron de destroyers, des spatiaux du Guerrier sont piégés à son bord. Le cœur de son réacteur présente des fluctuations incontrôlables et pourrait exploser à tout instant. Quels sont les destroyers de votre escadron qui se porteraient volontaires pour se rapprocher du Guerrier et récupérer son équipage survivant ? »
La réponse ne mit qu’un bref instant à lui parvenir, mais l’attente lui parut d’une longueur éprouvante. « Ici le capitaine de corvette Pastak du Gavelock. L’Arabas, le Balta, le Dao, le Gavelock, le Kururi, le Sabar et le Wairbi sont volontaires pour porter assistance à l’équipage du Guerrier. À tous ces vaisseaux : procédez à l’interception du Guerrier au maximum de votre accélération. »
Geary consulta son écran : tous les destroyers rescapés de cet escadron. « Ne me laissez jamais oublier ce geste, murmura-t-il à Desjani.
— Comptez sur moi. Vous attendiez-vous à une autre réaction ?
— Je n’en sais rien. Je sais seulement que je suis follement fier de commander à cette flotte.
— Estimation du délai nécessaire aux destroyers pour atteindre le Guerrier : vingt-trois minutes, annonça la vigie des manœuvres.
— Tentez de faire parvenir aux rescapés du Guerrier un message leur annonçant l’intervention des destroyers.
— À vos ordres, capitaine ! Nous sommes en liaison avec ses capsules de survie et elles pourront peut-être le relayer. »
Geary hocha distraitement la tête : son esprit ne se dépeignait que trop aisément la scène qui devait se dérouler à bord du Guerrier : les quelques matelots capables de travailler sur le cœur du réacteur s’efforçant d’en garder le contrôle, tandis que les autres attendaient la mort ou leur sauvetage sur l’épave de leur vaisseau. « Le capitaine Suram se trouve-t-il sur une de ces capsules ? demanda-t-il, pressentant déjà la réponse.