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Des sourires fleurirent presque partout. Geary remarqua que le capitaine Casia se renfrognait en bout de table et que le capitaine Yin la fixait nerveusement. « Hélas, poursuivit-il, “tous” ne méritent pas ces louanges. Lors de notre dernier engagement, deux vaisseaux ont esquivé le combat. Ou, plutôt, deux commandants. » L’atmosphère se tendit brusquement à se rompre, dans un silence si pesant que le plus léger bruit eût paru assourdissant. Le visage de Casia s’était empourpré et de celui de Yin avait pâli. Nul ne les regardait. Le soutien dont ils bénéficiaient naguère s’était dissipé.

Geary fixa Casia : « Capitaine Casia, vous êtes dès à présent relevé de votre commandement du Conquérant. Votre second en sera désormais le commandant intérimaire. Capitaine Yin, vous êtes relevée de vos fonctions de commandant intérimaire de l’Orion. L’officier des opérations de ce vaisseau occupera désormais cette fonction. Ces deux décisions prennent effet immédiatement. Vous serez transférés tous les deux à bord de l’lllustre et affectés à la tâche que le capitaine Badaya jugera bon de vous assigner. » Il s’était demandé quel sort il devait réserver à Yin et Casia, qui s’étaient opposés ouvertement à lui lors de semblables réunions, et l’idée de les coller sur le même vaisseau qu’un Badaya, qui le soutenait pour de mauvaises raisons, lui avait paru aussi propice que brillante dans sa simplicité.

Les lèvres de Yin s’activèrent, mais aucun son n’en sortit. Casia, en revanche, se leva et s’exprima d’une voix forte : « Vous ne pouvez pas relever de ses fonctions un officier supérieur sans une bonne raison ! »

Geary s’efforça de ne pas hausser le ton. « Votre vaisseau a esquivé le combat. Vous aviez reçu l’ordre de protéger les auxiliaires de la flotte et vous vous en êtes trop éloigné pour les défendre efficacement. Vous n’avez engagé le combat qu’avec ceux des bâtiments ennemis qui s’approchaient assez du vôtre pour le menacer, tout en refusant l’affrontement quand le devoir et l’honneur l’exigeaient.

— Et vous m’accusez de lâcheté ? hurla pratiquement Casia.

— Oui. »

Ce dernier mot résonna dans toute la salle. Porter publiquement une telle accusation dans une flotte à ce point obsédée par la notion d’honneur était tout bonnement impensable.

Le capitaine Tulev rompit le silence qui suivit la réponse monosyllabique de Geary : « Je suis malheureusement contraint de convenir que les enregistrements du combat confirment pleinement les propos du capitaine Geary.

— En ce cas, fit remarquer le capitaine Armus en se penchant en avant, le visage et la voix dures, et je suis entièrement d’accord avec le capitaine Tulev à cet égard, relever les capitaines Casia et Yin de leur commandement est loin de constituer le châtiment requis pour de tels agissements.

— Fusillons ces poltrons », marmonna quelqu’un.

Un tohu-bohu s’ensuivit, chacun hurlant de son côté tantôt pour soutenir cette proposition, tantôt pour protester. Geary tapa sur la touche qui lui permettait de les réduire tous au silence (l’un des atouts majeurs, selon lui, du logiciel de conférence) puis attendit quelques instants qu’on lui prêtât de nouveau attention. « Je sais que le règlement de la flotte m’autorise à ordonner l’exécution de tout officier qui aurait fait preuve de lâcheté en se dérobant devant l’ennemi sur le champ de bataille. » Il fixa de nouveau Casia et constata avec surprise que l’autre soutenait son regard alors même que la peur s’affichait sur son visage. Qu’il ne s’effondrât point lui inspira malgré lui un certain respect pour cet homme.

« Le règlement de la flotte exige le peloton d’exécution », lâcha le capitaine Kila de l’Inspiré. Pourquoi diable avait-elle finalement choisi de prendre aujourd’hui la parole à la conférence stratégique ?

Quelle qu’en fût la raison, elle le défiait et tentait de l’acculer à prendre une décision qu’il aurait préféré éviter. Il secoua la tête. « Ce n’est pas exact. »

Kila avait l’air plus intriguée qu’hostile. « Le règlement est très clair à cet égard et n’autorise aucune exception. » Des têtes opinèrent tout autour de la table. Yin semblait à deux doigts de tomber dans les pommes.

Geary secoua de nouveau la tête. « Tout officier de la flotte devrait assurément être familiarisé avec le paragraphe trente-deux du règlement, n’est-ce pas ? “En toute circonstance, le commandant de la flotte devra exercer en toute indépendance son jugement et prendre les mesures nécessaires et appropriées sans tenir compte à la lettre des règles citées plus haut, du moment qu’elles n’enfreignent pas les lois de l’Alliance ni ne violent le serment qu’il a prêté de la défendre contre tous ses ennemis extérieurs ou intérieurs.”

— Mais était-ce censé s’appliquer en pareil cas ? s’enquit le capitaine Armus.

— Je peux vous le garantir. » Geary parcourut encore la tablée des yeux. « Le règlement de la flotte a été adopté voilà environ cent dix ans. J’étais aspirant à l’époque, et j’ai dû assister à des réunions d’information tenues par les officiers qui avaient pondu ces nouvelles règles. »

Le capitaine Kila, qui semblait sur le point de reprendre la parole, s’en abstint précipitamment.

« Capitaine, je vous reconnais le droit de contourner le règlement en l’occurrence, mais je n’en comprends pas la raison, déclara Cresida à la surprise de Geary. Pourquoi faire grâce à des officiers dont les manquements ont contribué à la perte d’autres vaisseaux ? S’ils avaient soutenu le Guerrier et le Majestic, ces deux bâtiments auraient peut-être survécu au combat, sans rien dire des destroyers et des croiseurs légers détruits en défendant les auxiliaires. »

C’était une question justifiée. « Pour parler carrément, capitaine Cresida, j’ai choisi de ne pas faire exécuter ces deux officiers parce que je ne me sentais pas miséricordieux. »

Cette réponse lui valut des regards stupéfaits et mystifiés, dont ceux de Cresida. « Vous ne vous sentiez pas miséricordieux ?

— Non. » Geary jeta un regard vers Casia et Yin. « Dépêcher ces deux officiers dans les bras de leurs ancêtres mettrait fin à leurs souffrances en ce monde. Mais, tant qu’ils vivront, ils devront affronter certains de ceux à qui ils ont manqué. Il leur faudra regarder en face tous ceux qui savent qu’ils ont préféré la lâcheté, et ce jusqu’à la fin de leurs jours. »

Le silence s’éternisa jusqu’à ce que Tulev reprît la parole. « Êtes-vous certain, capitaine Geary, qu’ils percevront ce mépris et cet opprobre aussi âprement que vous ou moi ? Ne se féliciteront-ils pas tout simplement de n’avoir pas perdu la vie, ni par sens du devoir ni en punition de leurs manquements ? »

Autre question justifiée. Geary reporta encore les yeux sur Casia qui le fixait, le visage hanté, et sur Yin qui tremblait quasiment et évitait de croiser les regards. « En donnent-ils l’impression, capitaine Tulev ? »