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— On n’exige pas de vous la perfection.

— N’est-ce pas ce que les vivantes étoiles attendent de moi ? » demanda-t-il, non sans sentir sa voix se tendre.

Desjani fronça les sourcils. « Je ne suis pas assez avisée pour savoir à quoi elles s’attendent, mais au moins assez intelligente pour me rendre compte qu’elles n’auraient pas opté pour un émissaire humain si elles avaient aspiré à la perfection. Gagner revient souvent à faire une seule erreur de moins que l’ennemi, capitaine, ou à se relever une dernière fois après avoir mordu la poussière. Vous y parvenez dans les deux cas. »

Il lui jeta un regard d’approbation. « Merci. Je me souviens vous avoir entendu dire à plusieurs reprises que vous me saviez humain, mais il m’arrive parfois de penser que vous vous attendez de ma part à une perfection quasi divine. »

Elle se rembrunit davantage. « Ce serait blasphématoire, capitaine ! Et injuste à votre égard.

— Mais ne vous y attendez-vous pas encore ? » Qu’elle avouât le croire parfait était une chose, certes, mais qu’elle continuât de croire en lui en le sachant imparfait serait autrement lourd de sens.

« Si, Capitaine. » Elle baissa furtivement les yeux. « Mes ancêtres me soufflent de croire en vous, et aussi que… que nous étions destinés à servir ensemble. »

Conscient de devoir peser ses mots, Geary s’accorda un instant de réflexion avant de répondre : « Je suis content que nous servions ensemble. Vous vous êtes montrée d’une aide… inestimable.

— Merci, capitaine. »

Sans trop savoir pourquoi, il éprouva brusquement le besoin d’aborder certain sujet : « Le Vambrace a été détruit pendant le combat. J’ai constaté que le lieutenant Riva en avait réchappé. Il se trouve maintenant à bord de l’Inspiré.

— Je suis certaine qu’il s’en portera bien, répondit Desjani d’une voix nettement plus fraîche. Les officiers du beau sexe sont nombreux sur l’Inspiré, en admettant qu’il ne s’éprenne pas cette fois d’un matelot. » Elle le vit réagir et haussa les épaules en affectant la désinvolture. « Le lieutenant Riva a coupé les ponts avec moi depuis une décennie, même si je n’en ai pris la mesure que récemment. Je regretterai toujours la perte d’un spatial de l’Alliance, quel qu’il soit, mais il m’est indifférent de ne plus jamais entendre parler de lui.

— Pardon, déclara Geary. D’avoir mentionné son nom, je veux dire.

— Pas grave. Depuis notre relation, j’ai beaucoup appris sur les hommes et sur ce qu’un homme devrait être. » Elle baissa la tête et se mordilla la lèvre. « Mais nous parlions de rentrer chez nous et de votre capacité à nous y ramener.

— Ouais. »

Ni le manque d’enthousiasme que trahissait la voix de Geary ni sa signification implicite n’avaient échappé à Desjani : « Ça reste encore votre patrie, capitaine.

— Vraiment ? » Geary se tut, conscient que Desjani, comme si elle avait su qu’il lui restait quelque chose à ajouter, attendait qu’il poursuivît. « Dans quelle mesure ma patrie a-t-elle changé en un siècle ? Tous ceux que j’ai connus sont morts. Je vais rencontrer leurs enfants, maintenant très âgés, et leurs petits-enfants. Les immeubles que j’ai vu construire seront décatis. Ceux qui étaient déjà vétustes de mon temps auront été rasés et remplacés. À bord de ce vaisseau, je peux encore faire mine d’ignorer que le temps a passé, mais, une fois de retour dans l’Alliance, tout ce que je verrai me rappellera que le monde que j’ai connu est mort et enterré. »

Desjani soupira. « Vous ne manquerez pas d’amis.

— Oh que si ! Ce dont je ne manquerai pas, c’est de gens qui voudront côtoyer Black Jack Geary, répondit-il en laissant transparaître son amertume à cette perspective. Ils ne s’intéresseront pas à l’homme que je suis, mais au grand héros pour qui ils me prennent. Comment l’éviter ? Comment me faire des amis quand cette aspiration me suivra partout où j’irai ?

— Ce ne sera pas facile, admit-elle. Mais les gens finiront par vous apprécier pour ce que vous êtes. Comme l’ont fait ceux de cette flotte. Par voir en vous celui que vous êtes réellement et pas seulement le héros. Je vois bien comment vous réagissez à ces paroles, mais, pardonnez-moi, vous êtes effectivement un héros. Sans vous, tous les spatiaux de cette flotte seraient morts ou internés dans un camp de travail syndic. Il faut vous en convaincre.

— Je pourrais me fourvoyer mortellement et nous conduire finalement à cette issue, fit-il remarquer. Écoutez, j’aimerais autant que vous évitiez ce mot de “héros”.

— La flotte sait.

— Pas la flotte. Vous. »

Desjani garda un instant le silence puis hocha la tête. « Vous avez parfois besoin d’échapper à cela et je peux le comprendre. Mais je n’en reste pas moins persuadée que vous trouverez le bonheur à votre retour. Vous rencontrerez des gens. Ils apprendront à vous connaître, répéta-t-elle. Exactement comme certains d’entre nous.

— Bien sûr. Les gens de cette flotte me connaissent. Mais il me faudra les quitter. » Cette fois, Desjani s’abstint de répondre et Geary, en jetant un regard dans sa direction, constata qu’elle fixait le pont, le visage tendu tant elle cherchait à masquer ses émotions. Pour la première fois, il songea réellement à se séparer d’elle, à cesser de la voir tous les jours, et cette perspective lui fit l’effet d’un coup de poing dans le ventre. Il se demanda si son visage trahissait cette prise de conscience. « Tanya…

— Non, s’il vous plaît. Ça ne ferait qu’aggraver les choses. »

Geary ne comprit pas tout à fait ce qu’elle voulait dire, mais au moins qu’elle avait raison d’une certaine façon. « D’accord.

— Vous aurez la coprésidente Rione, ajouta-t-elle précipitamment.

— Non. Ce n’est même pas vrai aujourd’hui. Pas comme vous l’entendez. » Il haussa les épaules en espérant ne pas se montrer trop cynique. « Nous nous servons l’un de l’autre. Il me faut un interlocuteur qui fasse preuve de scepticisme à mon endroit et consente à exprimer ouvertement ses doutes, et elle… je ne sais pas trop ce qu’elle recherche.

— Vous lui donnez tout ce dont elle a besoin, semble-t-il », déclara Desjani à voix basse.

Geary réussit tout juste à ne pas tiquer. Desjani marquait un point. Et elle tapait dans le mille. À quoi bon faire l’amour avec une femme quand on n’est pas sûr des sentiments qu’on éprouve pour elle ? « Pas ces derniers temps. Et ça s’interrompra peut-être entièrement.

— Si l’intérêt de la flotte l’exige…

— Ce serait une excellente excuse, n’est-ce pas ? Précisément le genre d’abus de pouvoir que je suis censé éviter. »

Elle eut un petit sourire. « En effet.

— Ce n’est d’ailleurs pas comme si nous nous entendions si bien, Rione et moi. Surtout quand… » Il s’interrompit brutalement, conscient qu’il avait failli dire « surtout quand elle est jalouse de vous ».

Mais Desjani fixait un point du néant encore plus lointain, l’air de l’avoir effectivement entendu prononcer ces paroles. « Je n’ai strictement rien fait pour provoquer cela. Et vous non plus.

— Elle semble pourtant le croire, fit-il remarquer avec dépit. Comme la majorité de la flotte, manifestement. Que diable allons-nous faire, Tanya ? »

Desjani savait que, cette fois, il ne faisait pas allusion aux Syndics ni à la flotte. Elle fixa encore quelque temps un angle de la passerelle avant de répondre d’une voix ferme et parfaitement maîtrisée : « Nous ne pouvons rien faire, capitaine.