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Ça ne signifiait pas pour autant qu’ils ne pussent entretenir une relation de travail intime, et, de fait, les derniers événements semblaient avoir encore souligné la valeur capitale de l’assistance qu’elle pouvait lui apporter dans une situation critique. Mais il devrait veiller à ne pas franchir cette limite, à ne pas donner l’impression qu’il faisait pression sur elle d’une manière non professionnelle. Elle ne l’avait jamais invité à se déclarer, et il n’avait pas le droit d’en faire seulement état.

Quant aux supputations courroucées de Rione, selon lesquelles Desjani serait éprise de lui, il ne fallait pas en tenir compte. Il ne pouvait ni partir du principe qu’elles étaient fondées, ni, surtout, réagir en conséquence. Il vaudrait mieux pour tout le monde qu’elles fussent infondées.

Il finit par se rappeler ce qui avait déclenché sa (dernière) dispute avec Rione et afficha la liste préliminaire du personnel de l’Alliance libéré sur l’Audacieux. Elle était d’une longueur plus qu’appréciable, même s’il se refusait à la comparer avec celle de tous les spatiaux perdus avec leur vaisseau dans ce système stellaire. Au demeurant, il ne tenait pas non plus à s’attarder trop longuement sur l’idée que ces prisonniers libérés pourraient servir à remplacer les pertes au combat de ses bâtiments survivants. La plupart de ces ex-prisonniers étaient des engagés récents, évidemment, avec, parmi eux, un nombre relativement correct de sous-officiers. La liste ne comprenait qu’un seul officier dont le grade était supérieur à celui de lieutenant. Le regard de Geary s’attarda quelques instants sur le nom du capitaine de frégate Savos, puis il remarqua que Savos se trouvait pour l’instant à bord de l’Implacable et il appela ce croiseur de combat. « Si le capitaine Savos est disponible, j’aimerais m’entretenir avec lui. »

Dix minutes plus tard, l’Implacable répondait que Savos était prêt pour cet entretien. Geary se leva, s’assura que sa tenue était impeccable puis demanda à l’Implacable d’activer la connexion.

L’image du capitaine Savos, ex-commandant intérimaire du croiseur léger Éperon, détruit pendant la première visite de la flotte de l’Alliance au système stellaire de Lakota, était piteuse. Visiblement neuf, son uniforme lui avait sans doute été fourni par quelqu’un de l’Implacable pour remplacer celui qu’il avait abîmé en abandonnant son vaisseau avant d’être capturé et emprisonné, mais l’homme lui-même était le reflet de ce qu’il avait traversé au cours des dernières semaines. Il était un tantinet décharné et le stress de la détention avait creusé son visage de rides amères. Un pansement couvrait tout un côté de sa figure et son œil gardait les traces d’une vilaine ecchymose. Il s’efforça néanmoins de rester au garde-à-vous et de saluer. Geary lui rendit aussitôt son salut, en se sentant légèrement coupable de l’avoir convoqué et en se demandant pourquoi personne ne s’était donné la peine de le prévenir de la méforme du capitaine Savos. « Repos, capitaine. Asseyez-vous. Prend-on bien soin de vous sur l’Implacable ? »

Savos s’assit prudemment, légèrement raide, comme s’il s’efforçait de rester au garde-à-vous, puis il hocha la tête. « Oui, capitaine. L’Implacable nous a tous merveilleusement bien traités. Même si les vivres repris aux Syndics laissent quelque peu à désirer.

— J’en sais quelque chose. Je commence déjà à regretter les barres Danaka Yoruk, ce que je n’aurais jamais cru possible. » Geary s’interrompit. « Comment vous sentez-vous ?

— Beaucoup plus heureux que je ne l’aurais imaginé il y a seulement deux jours, déclara Savos avec un sourire qui s’effaça très vite. Les Syndics ne nous nourrissaient pas suffisamment et nous traitaient parfois très mal. Mais tout ira bien pour nous désormais.

— Vous êtes le plus haut gradé survivant de la liste des prisonniers libérés.

— De ceux de l’Audacieux, en effet, capitaine, confirma Savos. J’ai entendu certains bruits qui me laissent à penser qu’un ou plusieurs capitaines auraient aussi été capturés par les Syndics mais transférés à bord d’autres vaisseaux aux fins d’interrogatoire. » L’officier s’interrompit, l’air malheureux. Geary comprit ce qui l’affligeait : la même souffrance qu’il avait lui-même ressentie à la perspective, tout à fait envisageable, que des prisonniers de guerre de l’Alliance aient été détenus sur certains des vaisseaux ennemis détruits par la flotte. On n’avait eu aucun moyen de le vérifier ni de les sauver, mais cette idée ne manquait pas de le perturber chaque fois qu’il réfléchissait aux combats livrés dans ce système.

Savos reprit la parole : « Après avoir ordonné d’abandonner l’Éperon, je crains d’être resté un bon moment inconscient suite à d’autres frappes infligées au vaisseau. Mes hommes m’ont aidé à embarquer sur une capsule de survie, mais je n’ai repris mes esprits qu’au bout de plusieurs jours. C’est sans doute pour cette raison qu’on m’a laissé sur l’Audacieux au lieu de me transférer pour m’interroger comme d’autres officiers supérieurs.

— Que pensent nos médics de votre commotion ?

— Rien qu’ils ne puissent guérir, capitaine. » Savos se fendit d’un sourire frisant la grimace et porta la main au bandage de sa tête. « Si je n’avais pas été soigné, j’aurais sans doute connu de sérieux problèmes un peu plus tard, mais on m’a affirmé que tout irait bien désormais.

— Parfait. Navré pour l’Éperon. »

Savos afficha de nouveau une mine affligée avant de répondre : « Ce n’est pas le seul bâtiment que nous ayons perdu, capitaine.

— Non. Mais il a fait chèrement payer sa disparition. Votre vaisseau s’est bien battu. » Geary savait que tout bon commandant aspirait à se l’entendre dire. « Le combat avec la flotte de poursuite syndic a eu pour conséquence de mélanger prisonniers libérés et spatiaux des bâtiments que nous venions de perdre. Nous faisons encore le tri des premiers et, dès que nous aurons la liste de l’équipage de l’Éperon, je veillerai à vous en transmettre une copie.

— Merci, capitaine.

— Nous en distribuerons probablement dans toute la flotte pour les vaisseaux qui ont besoin de remplacer leurs pertes lors des derniers combats. Si vous tenez à vous retrouver sur le même vaisseau que certains de vos hommes, faites-le-moi savoir. »

Savos hocha la tête. « Merci, capitaine. »

Geary le scruta un instant. L’homme l’avait impressionné et il lui fallait un nouveau commandant pour l’Orion. Savos pourrait-il s’en acquitter ? Passer d’un croiseur léger à un cuirassé serait peut-être un bien grand pas, surtout s’il souffrait de séquelles de ses blessures. Mieux valait ne pas trop le pressurer. Il verrait dans quel état serait cet officier à l’arrivée de la flotte à Brandevin et prendrait alors sa décision. « Je sais que les gens du renseignement procèdent au débriefing de tous les prisonniers libérés, mais y aurait-il quelque chose dont je devrais être informé sans plus tarder, selon vous ? »

Savos réfléchit un instant. « Nous n’avons pas appris grand-chose. On nous extirpait de nos compartiments par petits groupes pour nous affecter à des sections de corvée, sinon nous y restions enfermés. Il y a pourtant une chose que vous devriez savoir.

— Laquelle ?

— Nous ignorions ce qui se passait, hier, mais les Syndics me savaient le plus haut gradé des prisonniers de l’Audacieux.