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— Aurait-il commis tant d’erreurs ? »

Elle agita la main avec fureur. « Son lot d’erreurs, à tout le moins. Comme l’armée. Mais il ne s’agit pas de ça. Il s’agit de la frustration. Un siècle de guerre et l’on ne voit toujours pas le bout du tunnel. Les gens aspirent à quelque chose, n’importe quoi, qui pourrait leur faire entrevoir sa fin. » Rione secoua la tête en le regardant. « Et voilà que tu surgis. Le héros dont la légende affirme qu’il reviendra sauver l’Alliance au moment où elle en aura le plus besoin. Comment t’étonner que tant d’yeux se tournent vers toi ?

— Ce héros est un mythe, insista-t-il.

— Non, pas complètement. Et, quoi qu’il en soit, ce que tu penses ne compte pas. L’important, c’est ce que croient les gens. Tu peux sauver l’Alliance. Ou tu peux la détruire. Il m’a fallu un certain temps pour le comprendre. Tu incarnes l’ancien dualisme : le rédempteur d’un côté et le destructeur de l’autre. J’ai d’abord vu en toi le destructeur puis le rédempteur, et maintenant je vois les deux. » Elle secoua à nouveau la tête. « Je ne t’envie pas de personnifier ces deux rôles adverses, mais c’est là le sort d’un héros de légende.

— Je ne me suis pas porté volontaire ! » Geary se leva et se remit à arpenter furieusement la cabine. « C’est vous, les gens du gouvernement, qui avez fait de moi ce héros légendaire et l’idole de tous les écoliers de l’Alliance pendant que, plongé dans le sommeil de survie, je dérivais dans le système de Grendel, parce que vous aviez besoin d’une icône et d’un porte-drapeau.

— Le gouvernement de l’Alliance a créé un mythe, John Geary. Mais toi tu es bien réel, et tu as effectivement le pouvoir de sauver ou d’anéantir l’Alliance. Si tu ne l’as pas encore pleinement accepté, fais-le maintenant. »

Geary cessa de faire les cent pas pour lui jeter un regard amer. « Je n’ai jamais été homme à croire que j’avais été envoyé par les vivantes étoiles pour sauver l’univers, ni même la seule Alliance. »

Rione le fixa en arquant un sourcil : « C’est sans doute ce qui t’interdit de la détruire. Peut-être est-ce pour cette raison que tu as été élu.

— Ne me dis pas que tu te mets toi aussi à y croire ! » Il eut un geste de dépit. « J’en ai déjà plus qu’assez ! N’en jetez plus.

— J’avais pourtant l’impression que tu ne détestais pas voir ton capitaine préféré te regarder avec des yeux brillant d’adoration.

— Non, je n’aime pas ça. Et, non, elle ne me regarde pas ainsi. Mais pourquoi le capitaine Desjani s’immisce-t-elle brusquement dans la conversation ? »

Pour toute réponse, Rione se contenta de se lever : « J’ai d’autres problèmes à régler. Tu as toujours l’intention de sauter vers Brandevin comme prévu ?

— Oui, aboya-t-il, encore exaspéré. Nous atteindrons le point de saut dans quatre jours, sauf nouvel “accident”. »

Rione se dirigea vers l’écoutille puis se retourna vers Geary. « Si j’avais su qu’on allait saboter cette navette, j’aurais tenté de l’empêcher. Certes, j’étais convaincue que Casia et Yin devaient mourir en raison de leurs agissements et parce que je voyais en eux une menace pour l’Alliance, mais je n’aurais pas permis qu’on tue des innocents. »

Il la dévisagea. « Cette idée ne m’aurait même pas effleurée.

— Elle t’aurait tôt ou tard traversé l’esprit. »

Geary continua de fixer l’écoutille après son départ ; il se rendait compte qu’elle avait raison et se demandait pourquoi ses alliés l’effrayaient parfois autant que ses ennemis.

La transmission depuis ce qui avait été la seule planète habitable du système de Lakota était striée d’interférences et le son lui-même grésillait de parasites. Geary tapa sur une touche pour amplifier l’action des filtres et l’image s’améliora, tandis que le son redevenait audible, mais toujours entrecoupé d’étranges blancs quand le logiciel s’efforçait sans succès de deviner quel mot il devait employer.

Un homme se tenait au premier plan, derrière une table autour de laquelle étaient assises une demi-douzaine de personnes des deux sexes. Tous donnaient l’impression de porter les mêmes vêtements depuis plusieurs jours et d’avoir vécu dernièrement des heures particulièrement difficiles. Ils se trouvaient dans une salle dépourvue de fenêtres visibles, dont l’architecture et les agencements suggéraient un abri souterrain.

L’homme s’exprimait d’une voix teintée de lassitude et de désespoir, et il clignait les yeux d’épuisement. « Nous prions tous les vaisseaux présents dans ce système stellaire de transmettre l’annonce du désastre qui nous a frappés aux autorités qui pourraient nous porter secours. Lakota III est sous le coup d’une violente activité orageuse. On estime que dix à vingt pour cent de son atmosphère se sont volatilisés. La plupart des installations électriques de la planète ont été détruites par la décharge d’énergie qui l’a frappée. Nous sommes incapables de procéder à une évaluation du nombre des morts, mais il s’élève certainement à plusieurs millions. Nous n’avons pu contacter personne sur l’hémisphère directement frappé par l’onde de choc. Les survivants manquent cruellement de vivres, d’abris et de tout le nécessaire. Prévenez tous ceux qui pourraient nous venir en aide, s’il vous plaît. »

L’image vacilla, puis le message se répéta en boucle.

Geary coupa la connexion et laissa échapper un long soupir désespéré. « Nous ne pouvons strictement rien faire. »

Desjani opina lugubrement. « Pas même envoyer des navettes dans cette atmosphère sans risquer de les perdre.

— Avez-vous repéré des signes de la présence de prisonniers de guerre de l’Alliance sur cette planète ? »

Elle secoua la tête, la mine abattue. « Quelques indications marginales. Mais, même s’ils s’y trouvaient, nous ne pourrions pas les atteindre. Ce monde restera un enfer jusqu’à la stabilisation de son atmosphère. »

Geary tapa sur ses touches de communication. « Autorités de Lakota III, ici le capitaine John Geary, commandant en chef de la flotte de l’Alliance. Nous sommes au regret de ne pouvoir vous porter secours dans l’immédiat, mais nous n’en avons pas la capacité. Nous préviendrons de votre situation critique toutes les autorités des Mondes syndiqués que nous croiserons sur notre route. » Il prit brusquement conscience que, compte tenu de l’anéantissement de tant de systèmes électroniques, les autorités de Lakota III n’avaient peut-être aucune idée de ce qui se passait au-delà de leur atmosphère. « Sachez que quelques vaisseaux civils des Mondes syndiqués ont survécu à la décharge d’énergie et se dirigent vers les points de saut de ce système. J’ai donné à mes unités l’ordre de ne pas engager le combat avec eux et je leur ai fourni des enregistrements clairs du désastre pour aider les autorités d’autres systèmes stellaires à subvenir à vos besoins. Puissent les vivantes étoiles vous assister et vos ancêtres vous apporter tout le réconfort dont ils sont capables. »

Il mit fin à la transmission puis se tourna vers la vigie des communications. « Tâchez de transmettre ce message à la source de l’appel de détresse et rediffusez-le en boucle jusqu’à ce que nous quittions ce système. Et réexpédiez l’appel de détresse aux vaisseaux marchands syndics qui sont en passe d’en sortir. » Il ne pouvait guère faire davantage, compte tenu de la configuration militaire de sa flotte. « Capitaine Desjani, je vais tenir une conférence restreinte dans une heure. J’aimerais que vous y assistiez.