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— Bien sûr, capitaine, répondit-elle. Dois-je préparer quelque chose pour cette réunion ?

— Contentez-vous d’y apporter vos méninges et votre bon sens. »

Une heure plus tard, Geary balayait du regard une salle de conférence où n’étaient physiquement présents que le capitaine Desjani, la coprésidente Rione et lui-même, tandis que les capitaines Duellos, Cresida et Tulev y assistaient virtuellement. À l’œil nu, leurs six silhouettes semblaient identiques, mais les quelque deux secondes de retard dans les réactions des trois officiers qui y assistaient par le truchement du logiciel de conférence trahissaient la nature virtuelle de leur présence. « Je tenais à m’entretenir avec vous car vous savez tous que nous soupçonnons l’existence d’une espèce intelligente non humaine de l’autre côté de l’espace syndic.

— Nous soupçonnons ? s’étonna Cresida. Au regard des preuves que j’ai pu en connaître, c’est bien davantage qu’un simple soupçon.

— Et il en existe d’autres que je n’ai pas encore eu le loisir de partager avec vous. » Ne sachant trop comment il devait formuler la suite, Geary marqua une brève pause. « Vous savez que nous nous apprêtions à vaincre une des flottilles syndics de Lakota quand une force ennemie beaucoup plus importante a émergé dans ce système par le portail de l’hypernet. Conséquemment, elle s’y est retrouvée pratiquement piégée et a failli être anéantie. » Rione seule savait de quoi il parlait ; les autres n’en avaient aucune idée et tous le fixaient en s’efforçant visiblement d’établir le rapport avec les extraterrestres. « Le service du renseignement de l’Indomptable a intercepté un certain nombre de signaux provenant des vaisseaux de cette flotte et révélant très clairement que ces Syndics étaient stupéfaits de se retrouver à Lakota. Ils avaient emprunté leur hypernet pour gagner le système d’Andvari. »

Il leur laissa le temps de digérer cette information. Sans doute la meilleure spécialiste de l’hypernet de la flotte, Cresida réagit la première. « Ils auraient fait une erreur aussi grossière ? Non, c’est parfaitement impossible. Il n’existe aucun moyen de viser une destination par l’hypernet et d’en atteindre une autre. »

Geary opina. « C’est ce que l’on m’a appris. Aucun qui nous soit connu, en tout cas. »

Desjani comprit la première, le visage rouge de fureur. « Ce sont eux qui l’ont fait. Quels qu’ils soient. Ils ont modifié la destination de cette flotte pour que nous croulions sous le nombre.

— C’est effectivement la seule conclusion logique, convint Geary. Ils sont intervenus dans une tentative pour nous détruire.

— Pourquoi ? » De façon guère surprenante, Tulev voyait au-delà de la fureur que lui inspiraient les agissements des extraterrestres et en cherchait plutôt la raison.

« Je veux bien être pendu si je le sais. Ils ne veulent pas que nous rentrions chez nous. Parce qu’ils préfèrent que l’Alliance ne gagne pas cette guerre ? Je ne le pense pas. S’ils voulaient aider les Syndics à nous vaincre, ils leur fourniraient certaines de leurs avancées technologiques, mais, autant que nous le sachions, ils ont livré secrètement celle de l’hypernet à l’Alliance et aux Mondes syndiqués à peu près au même moment, voilà quelques décennies.

— Qui sont-ils ? demanda Desjani. Que savons-nous d’eux ? »

Cette fois, Geary haussa les épaules. « Ténèbres et hasardeuses hypothèses scientifiques. Nous en voyons certains signes, laissant entendre qu’ils sont quelque part par là-bas et interviennent dans cette guerre, mais rien de tangible. S’ils ont effectivement détourné cette flottille syndic, ça signifie non seulement qu’ils sont capables de trafiquer l’hypernet d’une manière qui nous reste incompréhensible, mais encore qu’ils peuvent surveiller clandestinement notre flotte, la localiser, préciser sa destination et transmettre, presque en temps réel, ces informations sur des distances interstellaires. » Ses interlocuteurs dévisageaient Geary à mesure qu’ils prenaient conscience de ce que cela signifiait, mais aucun ne mit en doute ces conclusions logiques.

« Les Syndics en savent certainement davantage sur eux, ajouta Rione en s’adressant au petit groupe. Mais ce savoir a été tenu sous le boisseau, et même leur existence reste ignorée de la majorité des citoyens des Mondes syndiqués. Seuls leurs plus hauts dirigeants sont peut-être au courant de tout. Nous n’avons rien trouvé dans les archives que nous avons saisies.

— Sont-ils humains ? se demanda Tulev.

— Je ne le pense pas, répondit Geary. S’ils l’étaient, pourquoi les Syndics auraient-ils dissimulé leur existence ? Et comment une puissance humaine assez forte pour confiner les Syndics derrière leur frontière pourrait-elle exister sans que nous en ayons eu vent ? Il lui faudrait bien sortir de quelque part.

— Pas humains, donc. » Tulev secoua la tête. « Comment raisonnent-ils ? Pas comme nous.

— Malgré tout, nous pouvons sûrement comprendre leurs mobiles », insista Desjani.

Duellos réfléchissait, le front plissé. « Quand j’étais petit, ma grand-mère m’a soumis une vieille énigme. Elle pourrait nous aider à comprendre ce à quoi nous avons affaire.

— Vraiment ? Laquelle ? »

Duellos s’accorda une pause de cabotin. « Plume ou plomb ? »

Geary attendit la suite, mais rien ne vint. « C’est tout ?

— C’est tout. Plume ou plomb ?

— Quelle énigme peut-elle bien vous demander de choisir entre deux substances ? demanda Cresida avant de hausser les épaules. Je donne ma langue au chat. Quelle est la réponse ?

— Tout dépend. » Duellos sourit ; tout le monde semblait agacé. « Celui qui pose l’énigme est un démon, figurez-vous. C’est lui qui décide de la bonne réponse. Pour la trouver, encore faut-il deviner ce qu’il pense sur le moment.

— Comment pourrait-on bien savoir ce que pense un démon ? » Geary n’avait pas prononcé ces paroles qu’il comprenait où voulait en venir Duellos. « Pareil pour les extraterrestres.

— Exactement. Comment répondre à une question posée par quelqu’un d’inhumain quand on n’a aucune idée de sa signification ni de la réponse à laquelle il s’attend ?

— Et qu’attendent-ils de nous ? demanda Cresida. Honneur ou mensonges ? » Tous se tournèrent vers elle. « Avec qui ces extraterrestres sont-ils entrés en contact ? Avec les Syndics. »

Rione hocha la tête. « Dont les dirigeants ont violé tous les accords qu’ils avaient passés avec nous, même quand s’y conformer aurait servi les intérêts des Mondes syndiqués à long terme.

— Les dirigeants des Mondes syndiqués ne raisonnent pas sur le long terme, fit remarquer Duellos. La seule chose qui compte pour eux, ce sont les avantages à court terme. »

Geary secoua la tête. « Se seraient-ils montrés assez stupides pour employer ce genre de tactiques contre une espèce extraterrestre dont la technologie est manifestement supérieure à celle de l’humanité ? » Il lut la réponse sur tous les visages. « Ouais. Peut-être bien. » Après tout, ces mêmes dirigeants n’avaient-ils pas violé à plusieurs reprises les accords passés avec la flotte, tout en sachant qu’elle pouvait aisément exercer des représailles et anéantir des planètes entières.

« Cette technologie supérieure a sans doute été pour eux un appât irrésistible, fit amèrement observer Rione. Ils ont dû s’efforcer de l’acquérir par tous les moyens et laisser les extraterrestres sur l’impression qu’on ne pouvait pas se fier à l’espèce humaine. De sorte qu’on pourrait regarder toutes les mesures qu’ils ont prises comme purement défensives, et uniquement destinées à neutraliser l’humanité.