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La réponse suivante des Syndics ne parvint à la flotte qu’à une heure-lumière de Wendig I, alors qu’à son actuelle vélocité elle mettrait encore dix heures à atteindre la planète : « Nous allons vous faire confiance puisque nous n’avons pas le choix. Certains de nos concitoyens ont revêtu nos quelques combinaisons de survie encore en état de marche pour nettoyer le terrain d’atterrissage désigné. Nous serons tous là à vous attendre. »

Desjani l’écouta en affichant une mine résignée. Rione dissimulait ses pensées derrière un masque impassible. Tous les autres, du moins ceux que Geary pouvait voir, semblaient se demander, confondus, pourquoi il prenait cette peine. Plutôt déprimant, d’une certaine façon. Mais on n’élevait plus aucune objection et, en soi, c’était déjà réconfortant.

Les navettes s’élancèrent dès que la flotte s’approcha de Wendig, tandis que ses vaisseaux réduisaient leur vélocité pour leur laisser le temps d’atterrir, de charger et de les rejoindre. Geary supervisait la manœuvre depuis la passerelle de l’lndomptable. Un détachement de fusiliers spatiaux en cuirasse de combat intégrale était présent à bord de chaque navette, juste au cas où. Geary n’avait guère été enthousiasmé par cette idée, dans la mesure où leur présence réduisait d’autant la capacité de chargement des appareils et où il faudrait donc multiplier leur nombre, mais le colonel Carabali avait insisté, et il avait reconnu la sagesse de sa suggestion, vigoureusement argumentée.

« Tous les pigeons ont atterri », rapporta la vigie des opérations.

Sur son écran, Geary voyait une image en surplomb des navettes posées au sol, dont des fusiliers se déversaient pour se poster en sentinelle ou filtrer les passagers, tandis qu’on étirait les tubes d’évacuation jusqu’au sas donnant accès à la ville. Il bascula brièvement sur le canal vidéo d’un des fusiliers. L’extérieur de la ville syndic donnait l’impression d’être abandonné depuis beau temps : des amas de neige et de sable toxiques s’accumulaient au pied des parois, et des pièces d’équipements brisés et cannibalisés jonchaient le sol d’un décor privé de vie. Geary ne put s’empêcher de frissonner à la vue de ce spectacle de désolation. « Se retrouver piégé dans ce désert glacé… Vous pouvez vous l’imaginer ? » demanda-t-il à Desjani.

Elle jeta un regard aux images mais ne souffla pas mot.

« Chargement terminé », annonça le colonel Carabali. Il s’agissait d’un débarquement, avait-elle insisté, donc d’une expédition réservée aux fusiliers. « On ramène les tubes d’évacuation dans les navettes. Décollage dans trois minutes selon estimation.

— Aucun problème, colonel ?

— Pas encore, capitaine. » Confrontée à plus de cinq cents Syndics, Carabali était manifestement persuadée que des problèmes se produiraient avant longtemps.

« Les pigeons décollent à l’heure prévue, signala la vigie des opérations. Jonction avec les vaisseaux estimée à vingt-cinq minutes. »

Desjani tapa sur quelques touches. « Colonel Carabali, veuillez nous confirmer qu’on a fouillé tous les Syndics sans découvrir ni armes ni matériel de destruction.

— Absolument, répondit Carabali, l’air légèrement offusquée d’entendre un officier de la flotte suggérer que ses fusiliers ne connaîtraient pas leur boulot. Fouille complète. Ils sont clairs. Ils ne possèdent pas grand-chose. »

Geary et Desjani gagnèrent la soute des navettes pour assister au débarquement des civils syndics répartis sur l’Indomptable. Ils arrivaient à la queue leu leu entre deux rangées de fusiliers en cuirasse de combat, au garde-à-vous et armés jusqu’aux dents. Certains faisaient mine de plastronner, mais tous semblaient terrifiés. Au nombre de cinquante et un, ils portaient des vêtements civils dépareillés ; Geary en conclut qu’ils avaient dû faire des razzias sur les vieux dépôts et surplus dès qu’ils étaient venus à bout de leurs propres réserves. Tous étaient passablement émaciés ; leurs rations alimentaires avaient dû s’épuiser au cours des dernières années et ils étaient sans doute réduits à la portion congrue.

Ils évitaient aussi de regarder autour d’eux, de fixer le vaisseau ou le personnel de l’Alliance présent dans la soute. En les observant, Geary comprit brusquement qu’ils n’avaient sans doute jamais rencontré d’étrangers ni mis les pieds hors de chez eux. Si éloignés dans le temps et l’espace des origines de l’humanité, ces Syndics évoquaient d’anciens indigènes insulaires lors de leur première rencontre avec des navires venus d’ailleurs. Pas seulement des navires, en l’occurrence, mais des vaisseaux de guerre transportant censément leurs ennemis jurés.

Plantée à côté de Geary, l’échine roide et le visage impassible, Desjani regardait ces civils ennemis poser le pied sur le pont de son bâtiment.

Geary reconnut l’homme avec qui il s’était entretenu et s’avança à sa rencontre. « Soyez les bienvenus à bord du vaisseau amiral de la flotte de l’Alliance. Nous allons devoir vous mettre tous sous bonne garde, et les vaisseaux de guerre ne sont pas conçus pour de très nombreux passagers, de sorte que vos quartiers risquent d’être passablement bondés. »

L’homme hocha la tête. « Je suis le maire de… Bon, j’étais le maire d’Alpha. Nous ne pouvons guère nous plaindre de l’accueil ni de nos conditions d’hébergement. Il fait chaud et l’air est enfin respirable. Sincèrement, nous n’étions pas persuadés que nos systèmes de survie tiendraient jusqu’à l’arrivée de vos navettes. » Le souvenir d’une attente voisine de la torture hantait encore son regard. « Mais nous savions au moins que vous arriviez. Il n’est plus passé aucun vaisseau par ici depuis que les compagnies ont plié bagage. Avant de recevoir votre appel, nous nous préparions à tirer à la courte paille. Selon certains, les plus vieux n’auraient même pas eu à le faire puisque, de toute façon, nous n’allions pas tenir bien longtemps. »

On imaginait sans peine ce qu’avaient éprouvé ces gens. « Pourquoi n’avez-vous pas été évacués avec les autres habitants de ce système stellaire ? »

Le maire eut un geste déconcerté : « Nous n’en savons rien. Tous ceux qui sont restés travaillaient pour des sous-traitants de la même compagnie et nos cadres sont partis sur le dernier bâtiment, envoyé par une autre. On nous avait dit que d’autres vaisseaux arriveraient bientôt. On ne les a jamais vus.

— Nous allons vous conduire à Cavalos. C’est donc qu’ils sont finalement arrivés, ces vaisseaux. »

Le maire eut un rictus nerveux. « Mieux vaut tard que jamais, non ? Vous dites que vous êtes le capitaine John Geary ? Nous connaissons ce nom. Il est dans nos manuels d’histoire, mais je doute qu’ils tiennent les mêmes discours que les vôtres. Vous êtes son petit-fils ? »

Geary secoua la tête. « Non. Lui-même. C’est une longue histoire, ajouta-t-il, constatant que le maire le dévisageait d’un œil incrédule. Mais qu’il vous suffise de savoir que j’ai combattu à Grendel lors de la première bataille de cette guerre et que, si les vivantes étoiles y consentent, j’assisterai aussi à la dernière. »