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Desjani feignait encore de concentrer toute son attention sur son hologramme.

« Quand chargerons-nous les Syndics sur les navettes ? demanda-t-il d’une voix où perçait encore son irritation.

— Elles devraient déjà se diriger vers la soute », répondit-elle sur un ton qui parut à Geary un tantinet trop apaisant. Il se demandait encore s’il devait en prendre ombrage quand elle se leva. « J’allais descendre pour les voir décoller. »

Geary s’efforça de recouvrer son calme et se leva à son tour. « Puis-je vous accompagner ?

— Bien sûr, capitaine. »

Une scène identique à celle à laquelle ils avaient assisté onze jours plus tôt se déroulait dans la soute, sauf qu’au lieu de descendre des navettes la colonne de civils syndics y grimpait en traînant les pieds ; certains s’arrêtaient parfois pour adresser un bref signe de la main à l’un des spatiaux de l’Indomptable qui, venus assister à leur départ et alignés le long d’une paroi, les observaient sans mot dire. Les fusiliers semblaient toujours aussi menaçants dans leur cuirasse de combat, mais les Syndics avaient l’air de beaucoup moins les craindre.

L’ex-maire d’Alpha se tourna vers Desjani et Geary quand ils arrivèrent à sa hauteur. « Merci. J’aimerais pouvoir ajouter autre chose. Nous n’oublierons jamais ce que vous avez fait pour nous.

— Si l’occasion s’en présentait à l’avenir, tâchez de faire preuve d’autant de compassion pour les citoyens de l’Alliance, répondit Desjani à la surprise de Geary.

— Je vous en donne ma parole, et nous ne manquerons pas non plus de faire passer le mot. »

Son épouse s’avança d’un pas pour fixer Desjani avec ferveur : « Merci d’avoir sauvé la vie de mes enfants, madame.

— Capitaine », rectifia Desjani, non sans retrousser un coin de sa bouche en un sourire finaud. Elle baissa légèrement les yeux et fit un signe de tête au garçonnet, qui lui rendit solennellement son regard puis salua à la mode syndic. Elle lui retourna la politesse puis reporta le regard sur sa mère.

« Merci, capitaine, déclara cette femme. Puisse cette guerre s’achever avant que mes enfants n’aient à affronter votre flotte dans une bataille. »

Desjani acquiesça de nouveau sans mot dire puis, avec Geary, regarda les derniers civils syndics s’engouffrer dans les navettes. « C’est plus facile quand il n’a pas de visage », lâcha-t-elle quand toutes les écoutilles se furent refermées, d’une voix si sourde que seul Geary pouvait l’entendre.

Il lui fallut un moment pour comprendre. « Vous parlez de l’ennemi ?

— Oui.

— Aviez-vous déjà rencontré un Syndic ?

— Rien que des prisonniers de guerre, répondit-elle péremptoirement. Des Syndics qui avaient tenté de nous abattre peu auparavant, moi et d’autres citoyens de l’Alliance. » Elle ferma les yeux. « J’ignore ce qu’ils sont devenus pour la plupart. Je sais seulement ce qu’il est arrivé à quelques-uns. »

Geary hésita une seconde avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres. Il n’avait pris le commandement de la flotte que depuis peu quand il avait appris, avec horreur, que les prisonniers de guerre étaient parfois massacrés avec désinvolture, conséquence naturelle d’un siècle de conflit où les atrocités se nourrissaient mutuellement. Jamais il n’avait demandé à Desjani si elle avait participé à l’un de ces crimes.

Mais celle-ci rouvrit les yeux et le regarda en face. « J’en ai été témoin. Je n’ai jamais appuyé sur la détente, je n’en ai jamais donné l’ordre, mais j’y ai assisté sans intervenir. »

Geary hocha la tête sans cesser de soutenir son regard. « On vous avait enseigné que c’était acceptable.

— Ce n’est pas une excuse.

— Vos ancêtres…

— M’ont dit que c’était mal, le coupa-t-elle, ce qui lui arrivait rarement quand elle s’adressait à lui. Je le savais, je le sentais, j’ai refusé d’écouter. J’accepte d’en assumer la responsabilité. Je sais que j’en paierai le prix. C’est peut-être pour cette raison que nous avons perdu tant de vaisseaux dans le système mère syndic. Et que la guerre dure depuis tant d’années. On nous punit parce que, en estimant que c’était un mal nécessaire, nous nous étions égarés hors du droit chemin. »

Il n’allait certainement pas condamner ni même repousser quelqu’un qui avait accepté d’en endosser pleinement le blâme. Mais il pouvait au moins la soutenir. « Ouais. Peut-être bien qu’on nous châtie. »

Elle se rembrunit. « Capitaine ? Pourquoi vous punirait-on pour des actes commis alors que vous n’étiez pas avec nous ?

— Je suis avec vous, non ? Je fais partie de cette flotte et je suis loyal à l’Alliance. S’il faut que vous soyez punis, alors moi aussi. Je n’ai pas souffert de la guerre aussi longtemps que vous, mais tout ce que j’avais m’a été ôté. »

Desjani secoua la tête et se renfrogna davantage. « Vous venez de dire que cette flotte était la vôtre et que votre loyauté allait à l’Alliance. Il vous reste au moins cela. »

Geary la fixa en fronçant à son tour les sourcils ; il n’avait jamais vu la chose sous cet angle, se rendit-il compte avec surprise.

Desjani lui jeta un regard véhément. « On vous a envoyé à nous parce que nous avions besoin de vous. On nous a accordé une seconde chance. À vous aussi, au lieu de vous laisser mourir à Grendel ou après, alors que les systèmes de votre module de survie allaient probablement vous lâcher. On ne nous fait grâce que si nous donnons la preuve que nous la méritons. »

Elle le surprenait encore, tant en lui faisant miroiter un point de vue qu’il n’avait jamais envisagé qu’en l’incluant dans ce « nous ». En le regardant comme un de ses pairs plutôt que comme un héros solitaire tout droit sorti du mythe. « Vous avez sans doute raison, déclara-t-il. Nous ne gagnerons cette guerre de destruction qu’en commettant un suicide collectif, en déclenchant l’extinction de l’espèce humaine par l’explosion de tous les portails de l’hypernet. Si elle doit un jour s’achever, il nous faudra non seulement vaincre les Syndics sur le champ de bataille, mais aussi, s’ils consentent à exprimer des remords sincères, accepter de leur pardonner. Peut-être nous donne-t-on effectivement un exemple à suivre. »

Desjani garda un instant le silence et Geary ne reprit pas la parole. Les portes internes de la soute se refermèrent puis ses portes externes s’ouvrirent et le pigeon décolla, emportant ses passagers vers la station syndic. Desjani reporta finalement le regard sur lui. « J’ai aspiré pendant très longtemps à châtier les Syndics, à leur faire autant de mal qu’ils nous en font.

— Je peux en comprendre la raison, répondit Geary. Merci de m’avoir aidé à sauver ces civils. Je sais que ça contrevenait à nombre de vos convictions.

— À mes convictions antérieures », rectifia-t-elle. Elle n’ajouta rien, mais Geary patienta, pressentant une suite. « Mais le cycle de la vendetta est sans fin, reprit-elle. Je ne tiens pas à tuer ce garçon quand il sera en âge de combattre. Je viens de m’en rendre compte.

— Moi non plus. Pas davantage que son père ni sa mère. Et je ne veux pas non plus qu’il massacre des citoyens de l’Alliance. Comment y mettre un terme, Tanya ?

— Vous en trouverez le moyen, capitaine.

— Merci. »

C’était un sarcasme et il savait que ça se sentait, mais Desjani se contenta de lui sourire. « Vous avez vu comment ils nous regardaient ? Ils avaient peur au début, puis ils sont passés par une phase d’incrédulité avant de nous en être reconnaissants. » Son sourire s’effaça et son regard se perdit dans le néant. « J’aime combattre. J’aime affronter les meilleurs combattants syndics en tête à tête. Mais je ne supporte plus de massacrer des gens comme eux. Pourrions-nous convaincre les Syndics de cesser de bombarder des cibles civiles ?