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Elle s’interrompit. « Quand nos établissements de Dilawa ont été abandonnés, voilà une vingtaine années, on a estimé qu’il reviendrait trop cher d’emporter les minerais bruts entassés dans les réserves de ses installations minières. Il en reste encore de grandes quantités sur place. Si jamais vous aviez besoin de vous approvisionner en fournitures après votre départ… »

La fenêtre s’éteignit et Geary se rejeta en arrière, pensif.

« Pouvons-nous lui faire confiance ? demanda Desjani.

— Je n’en sais rien. Où est la coprésidente Rione ?

— Dans sa cabine, je crois.

— Envoyez-lui une copie de ce message et demandez-lui son avis. » La bouche de Desjani esquissa une moue et elle hésita assez pour que Geary s’en rendît compte. « Laissez tomber. Je m’en charge. »

Cinq minutes plus tard, Rione montait sur la passerelle. « Je la crois sincère.

— Elle veut des pourparlers, s’attend à nous voir vaincre la flottille syndic et nous a appris où nous pouvions trouver des minerais bruts pour réapprovisionner nos auxiliaires, souligna Geary. Si jamais les autorités syndics en avaient vent, sa tête tomberait aussitôt. »

Rione acquiesça d’un hochement de tête, l’air songeuse. « Cette réaction laisse supposer que le pourrissement dans la hiérarchie syndic atteint un niveau inattendu. La dirigeante d’un système stellaire ennemi nous apprenant sans ambages que la guerre lui est devenue insupportable…

— Sans compter qu’elle prend notre parti contre ses propres forces », fit remarquer Desjani, qui semblait déchirée entre gratitude et répulsion.

Au lieu de lui répondre, Rione s’adressa à Geary : « La flotte syndic a été un rouage essentiel de la machine qui permettait aux dirigeants des Mondes syndiqués de garder le contrôle de leur territoire. Quiconque voulait faire preuve d’un peu d’indépendance pouvait s’attendre à voir débarquer des vaisseaux de guerre chargés d’imposer la volonté de leur Conseil exécutif. Plus vous lui infligez de dommages, plus les dirigeants locaux, comme cette femme, ont le loisir d’en faire à leur guise.

— Cette flotte ne se compose pas moins de ses compatriotes, déclara Desjani. Qu’elle soit prête à nous applaudir devrait nous permettre de nous faire une opinion sur elle. »

Rione secoua de nouveau la tête et s’adressa encore à Geary : « Un système stellaire ignoré par l’hypernet devrait proportionnellement fournir moins d’effectifs à la flotte et, à mesure que le temps passe, se sentir de moins en moins lié aux Mondes syndiqués. »

Geary reporta le regard sur Desjani et se rendit compte que les deux femmes s’ignoraient mutuellement et ne s’adressaient qu’à lui, comme si elles se trouvaient dans deux pièces distinctes et ne pouvaient communiquer que par son truchement.

Desjani haussa légèrement les épaules. « La dirigeante syndic que nous venons de voir est une politicienne, et, en tant que telle, elle doit sans doute éprouver moins de compassion pour les sacrifices de son personnel militaire. »

Rione crispa sans doute les mâchoires à cette réflexion, mais elle ne regarda pas Desjani pour autant. « Vous avez mon opinion, capitaine Geary. Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai d’autres problèmes à régler. » Elle pivota sur elle-même et quitta la passerelle.

Geary se comprima un instant le front du bout des doigts pour tenter de chasser une migraine menaçante. « Capitaine Desjani, murmura-t-il, si bas qu’elle seule pouvait l’entendre, je vous serais reconnaissant de ne pas ouvrir les hostilités avec la coprésidente Rione.

— Ouvrir les hostilités ? s’étonna Desjani sur le même registre. Je ne comprends pas, capitaine. »

Il lui jeta un regard pénétrant, mais Desjani le fixait en affichant un étonnement dont la sincérité ne pouvait qu’être feinte. « Je ne tiens pas à entrer dans les détails.

— Je crains pourtant que vous n’y soyez contraint, capitaine. »

S’agissant du commandement de la flotte, Desjani le regardait sans doute comme guidé par les vivantes étoiles, mais il en allait visiblement tout différemment de ses relations avec Rione. « Tâchez de vous conduire comme si vous étiez dans la même pièce.

— Ce n’est pas le cas, capitaine. Elle a quitté la passerelle.

— Est-ce que vous vous payez ma tête, capitaine Desjani ?

— Non, capitaine. J’en serais bien incapable. » Parfaitement sérieuse, autant que Geary pût le dire.

Il était manifestement temps de battre en retraite. Il ne pouvait ni s’appesantir ni prendre la mouche sans attirer l’attention du personnel de la passerelle, et il n’avait pas besoin de ça. « Merci, capitaine Desjani. Vous m’en voyez ravi. J’ai d’autres sujets d’inquiétude pour l’instant. »

Au moins Desjani donnait-elle l’impression de se mordre les lèvres quand il sortit à son tour pour tenter de rattraper Rione. Il la soupçonnait de pouvoir lui apporter d’autres lumières et, surtout, il avait une question à lui poser.

Elle ne marchait pas très rapidement, aussi la rejoignit-il à mi-chemin du bout de la coursive. « Dis-moi la vérité, l’exhorta-t-il. L’Alliance est-elle aussi mal en point ? Et prête à flancher ?

— Pourquoi poses-tu cette question ? demanda-t-elle d’une voix plus neutre que jamais.

— Parce que cette preuve de la déconfiture des Syndics n’a pas eu l’air de te faire plaisir. Tu m’as dit que l’armée se plaignait du gouvernement de l’Alliance, que tout le monde en avait plus qu’assez de la guerre, mais est-ce vraiment aussi moche là-bas que dans l’espace syndic ? L’Alliance est-elle sur le point de s’effondrer ? »

Rione s’arrêta, le regard braqué sur le pont, et hocha lentement la tête en détournant les yeux. « Un siècle de guerre, John Geary. Nous ne pouvons pas être battus et eux non plus, mais les deux bords peuvent accentuer la pression jusqu’à ce qu’ils se fracassent.

— C’est pour cela que tu t’es jointe à cette expédition ? Pas seulement parce que tu craignais de voir l’amiral Bloch tenter de se poser en dictateur, mais parce que tu étais certaine de son succès et convaincue que, désabusés et las de cette guerre interminable, les citoyens de l’Alliance le suivraient.

— Bloch n’aurait pas réussi, affirma-t-elle calmement. Il serait mort.

— Tu l’aurais tué. » Elle hocha la tête. « Il devait connaître tes intentions. Il avait dû prendre des précautions.

— En effet. » Un petit sourire joua fugacement sur les lèvres de Rione. « Elles n’y auraient pas suffi. »

Geary la dévisagea. « Et que serait-il advenu de toi ?

— Je n’en sais trop rien. Peu importait. L’essentiel, c’était d’empêcher l’ascension d’un tyran. »

Il ne décelait aucune touche de sarcasme ni de duperie dans sa voix. Rione parlait sérieusement. « Pour le tuer, tu consentais donc à mourir ? Tu me fiches parfois une trouille d’enfer, Victoria.

— Je me fais quelquefois le même effet. » Elle était toujours d’un sérieux absolu. « Je te l’ai dit, John Geary. Je croyais l’homme que j’aimais mort à la guerre. Je n’avais plus aucune raison de vivre sinon mon dévouement à l’Alliance. Si elle menaçait de partir en morceaux, il ne me resterait plus rien. Mon mari est mort pour elle et, si besoin, je peux en faire autant.

— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit tout de suite ? »

Rione le fixa quelques instants avant de répondre. « Parce que, si tu avais été coulé dans le même moule que l’amiral Bloch, tu n’aurais nullement eu besoin d’encouragements. En revanche, si effectivement tu avais ressemblé à Black Jack, tu ne m’aurais jamais crue, parce que la perspective d’un effondrement de l’Alliance t’aurait été insupportable. Il fallait que tu en voies suffisamment par toi-même pour comprendre à quel point ça avait mal tourné. Et je t’ai donné quelques indices, même si tu n’as pas toujours su les reconnaître. » Elle secoua la tête. « Je t’ai sondé, je t’ai observé, j’ai fait tout ce que je pouvais pour influer sur ton attitude envers la situation présente.