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— Tout ce que tu pouvais ? » Rione elle-même avait ressenti la froideur de cette formulation. « Tu m’as dit une fois que tu ne couchais pas avec moi dans le seul but de m’influencer. »

Elle soutint son regard. « Ce n’était pas mon seul mobile, en effet. Mais ça jouait. Content ? Tu as joui de moi et moi de toi, et, au cœur de la nuit, il m’arrivait de te chuchoter à l’oreille que tu devais protéger l’Alliance de ceux qui risquaient de la détruire au nom de son salut. Oh, j’ai pris plaisir à faire l’amour avec toi, je l’admets ouvertement. Mais le jour est venu où j’ai compris que je n’avais plus à te craindre et que les sentiments que je commençais à éprouver pour toi étaient une trahison à l’égard d’un époux que j’aimais toujours et qui vivait peut-être encore. Je ne t’ai pas abandonné à elle par noblesse d’âme, John Geary. Mais pour moi, et parce que j’avais fait le nécessaire. »

Il avait ses doutes. Ni le maintien ni l’expression de Rione ne s’étaient altérés, mais il se souvenait des paroles avinées qu’elle avait prononcées à une certaine occasion, et il constatait qu’en dépit de la désinvolture avec laquelle elle justifiait ses actes Rione ne se résolvait toujours pas à citer le nom de Tanya Desjani. « Tu ne m’as abandonné à personne, et surtout pas au capitaine Desjani.

— Tu peux toujours continuer à te mentir à toi-même, John Geary, mais fais-moi un peu confiance.

— Pourquoi rester à bord de l’Indomptable, en ce cas ? Les vaisseaux rescapés de la République de Callas sont encore assez nombreux pour que tu te transfères sur l’un d’eux.

— Parce que tu auras besoin de moi à tes côtés à notre retour. En alliée, pas comme une épée de Damoclès. Je sais déjà comment nos dirigeants politiques réagiront au retour de Black Jack Geary, sauveur de la flotte et de l’Alliance. Tu refuseras d’accepter ce que d’aucuns t’offriront en contrepartie de l’extension de leur autorité. Tu ne feras pas non plus ce que tant d’autres craignent : accaparer tout le pouvoir. Non, John Geary, insista-t-elle. Tu te tiendras sur les remparts de l’Alliance et tu la défendras contre tous ses ennemis, intérieurs et extérieurs, parce que c’est ainsi que tu es, un homme issu d’un passé moins complexe. Et je t’apporterai mon appui contre ceux de l’intérieur qui chercheront à te manipuler ou qui, mus par la crainte, se dresseront contre toi.

— Contre moi ? Penses-tu que la direction politique de l’Alliance pourrait s’en prendre à moi ?

— Si je faisais partie du Conseil de gouvernement à ton retour, je recommanderais aussitôt ton arrestation et ta mise à l’isolement, en prétendant publiquement que tu es parti en mission secrète. Parce que je verrais en toi un homme coulé dans le même moule que l’amiral Bloch ou le capitaine Falco. Mais je t’ai vu réagir différemment et j’en ferai part aux sénateurs. Crois-moi, déclara-t-elle, tu auras besoin de moi. Même les politiciens qui me détestent, et ils sont nombreux, savent que je ne trahirais pas l’Alliance. Tous tiendront le plus grand compte de mes paroles. »

Geary détourna les yeux et se massa la nuque d’une main en s’efforçant de réfléchir. Si ardue que lui eût toujours paru la tâche de ramener cette flotte en un seul morceau dans l’espace de l’Alliance, il s’était toujours imaginé que le reste de son existence serait d’une grande simplicité : il rendrait son tablier, s’installerait quelque part où l’on ne le reconnaîtrait pas, s’efforcerait de se soustraire à la légende de Black Jack Geary et aux attentes irréalistes de ceux qui le croyaient envoyé par les vivantes étoiles pour sauver cette flotte et l’Alliance. Il n’avait pas cessé de se focaliser sur cette certitude pour éviter d’être submergé, alors même que l’idée de se détourner de la flotte et de ses gens lui semblait de moins en moins acceptable. Il devait désormais s’avouer qu’avant de se défaire de ces responsabilités il aurait, à tout le moins, davantage de problèmes à résoudre qu’il ne l’avait cru. « Merci, Victoria. Je reste persuadé que ton soutien sera décisif. »

Elle secoua la tête. « Ne me remercie pas. Je ne le fais pas pour toi.

— Merci tout de même. Veux-tu que nous parlions de la bataille qui se prépare ?

— Tu t’en tireras très bien. Comme toujours. »

Geary était à deux doigts d’exploser. « Bon sang, la dernière chose dont nous ayons besoin, cette flotte et moi, c’est d’une trop grande confiance en moi ! Je vais m’efforcer de minimiser nos pertes, mais ce combat ne sera ni gagné d’avance ni sans douleur ! »

Rione eut un sourire exaspérant. « Tu vois ? Tu le sais déjà. Tu n’as pas besoin de me l’entendre dire. Autre chose ?

— Oui, lâcha-t-il en grinçant des dents. Pour quelle destination opterais-tu ensuite ? Dilawa ou Anahalt ? »

Rione l’arrêta d’un geste. « Fie-toi à ton instinct, capitaine Geary. Il est bien plus fiable que le mien, du moins tant que nous serons dans l’espace syndic.

— Et pouvons-nous ou non nous fier à cette dirigeante syndic ? Tu ne m’as toujours pas donné ton avis.

— Bien sûr que non. Mais ça ne signifie pas qu’elle n’est pas sincère cette fois. Vérifie si ce qu’elle affirme concernant Dilawa correspond aux guides des systèmes stellaires syndics que nous avons réquisitionnés. » Rione tourna les talons et s’éloigna. « C’est en tout cas mon opinion de politicienne, reprit-elle en parlant par-dessus son épaule. Si tu veux l’opinion d’un militaire, demande à ton capitaine. Vous aurez ainsi une bonne occasion de vous retrouver intimement pour un motif professionnel. »

Il la regarda s’éloigner sans rien ajouter qui pût l’inciter à lui décocher une autre flèche.

Quatre heures avant le contact avec les Syndics. La flotte de l’Alliance et leur flottille n’étaient plus séparées que par un peu moins de cinquante minutes-lumière et se déplaçaient toutes deux à 0,1 c, leur vélocité combinée les rapprochant à 0,2 c, vitesse maximale d’engagement pour l’acquisition de cibles. Il voyait à présent ce qu’avaient fait les vaisseaux syndics un peu moins d’une heure plus tôt, tout comme eux prenaient connaissance de la position de la flotte à ce même instant. Il était encore trop tôt pour adopter la formation de combat et permettre ainsi au commandant ennemi de percer à jour sa stratégie.

« Capitaine Geary ? Nous devons vous montrer quelque chose. »

Il accusa réception du message de Desjani et se hâta vers le compartiment d’où elle l’avait envoyé, tout en s’efforçant, lorsqu’il croisait des spatiaux de l’Indomptable, de ne pas trop ouvertement afficher son appréhension. Bien qu’il dût impérieusement se concentrer sur la bataille imminente, il n’avait pas cessé d’être distrait par d’autres inquiétudes, notamment la crainte d’un méfait de ses ennemis de l’intérieur. Apparemment, ils avaient encore tenté de frapper.

Geary découvrit que le compartiment hébergeait une station de contrôle des systèmes principaux, ce qui semblait encore confirmer ses craintes. L’écoutille se refermant derrière lui, il constata la présence de Desjani, de l’officier de la sécurité des systèmes de l’lndomptable et celle, virtuelle, du capitaine Cresida. « Que diable se passe-t-il encore ? »