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Rien que ça, songea Caitlin. Pendant la nuit, tout en faisant sans doute un million d’autres choses, il avait appris le japonais…

Alors, tu arrives à voir les images, maintenant ?

Les images fixes, oui. Le Dr Kuroda continue de travailler pour me donner accès à des images vidéo. Ou du moins, c’est ce qu’il faisait. Je pense qu’il doit dormir, maintenant.

Hé, écrivit Caitlin, ton style commence à être un peu moins fleuri !

J’ai maintenant lu beaucoup d’autres ouvrages en dehors du projet Gutenberg. Je comprends la distinction entre l’anglais courant et l’anglais archaïque – de même que pour le japonais, d’ailleurs.

Caitlin fronça les sourcils. En fait, elle avait trouvé que son style ancien avait beaucoup de charme.

Webmind poursuivit : Je sais qu’il est traditionnel d’offrir un cadeau à la personne dont c’est l’anniversaire. Je ne peux rien t’acheter, mais j’ai quelque chose pour toi.

Caitlin fut vraiment étonnée. Ah, mon Dieu, qu’est-ce que c’est ?

Un lien souligné en bleu apparut dans la fenêtre de messagerie. Tu es censée cliquer dessus, ajouta Webmind avec sollicitude.

Caitlin sourit et réussit à déplacer son curseur sur le lien, et…

Et du texte commença à apparaître sur son grand écran, mais paradoxalement, son afficheur braille ne se modifiait pas, et…

Et le texte se peignait sur l’écran, à partir du haut, et…

Et il n’était même pas droit ! Les lignes remontaient un peu vers la droite. Et les lettres étaient toutes petites, avec des taches. Cela ne ressemblait à aucune page web qu’elle ait vue jusqu’ici, et elle ne comprenait pas pourquoi son ordinateur n’affichait pas les caractères correctement.

C’est alors qu’elle comprit. Elle en avait entendu parler, mais elle n’avait jamais imaginé à quoi ça pouvait ressembler. C’était un scan d’un texte imprimé, un fichier graphique, une image de ce qui était au départ un document papier. D’après les descriptions qu’elle en avait vues, il devait s’agir d’une coupure de journal : d’étroites colonnes de texte en parallèle. Mais l’espacement entre les mots était bizarre…

Ah ! C’était sans doute ça qu’on appelait une « justification à droite ». Le texte était tellement petit qu’elle pouvait à peine le déchiffrer. Elle avait déjà du mal à lire quand c’était parfaitement affiché, mais alors là !

Il devait forcément y avoir moyen d’agrandir le texte. Quand elle était encore à l’Institut texan pour malvoyants, les gens faisaient toujours des manips sur leur ordinateur pour obtenir des textes plus gros. Comme elle ne pouvait pas voir les écrans, elle ne s’était pas intéressée aux discussions, mais il devait bien exister une méthode. Cela étant, il fallait peut-être un logiciel spécial qu’elle n’avait pas.

Pour une fois, elle se servit de sa souris pour accéder à la barre de menus. Il n’y avait rien dans Affichage pour augmenter la taille de l’image, uniquement la taille des caractères. Elle essaya quand même, mais sans résultat.

Elle était en train de ramener son curseur vers le bas quand elle appuya par mégarde sur le bouton gauche et l’image s’agrandit. Toujours fervente de l’approche expérimentale, Caitlin cliqua de nouveau à gauche, et le texte reprit sa taille d’origine.

Ah, voilà ! L’image était réduite par défaut pour tenir dans la fenêtre de son navigateur. Le clic gauche permettait de basculer entre cette taille et le mode zoom, même si, dans ce cas, seule une partie du texte était affichée. Elle revint à la version agrandie et entreprit d’en déchiffrer le contenu.

Son cœur se mit à battre plus fort. C’était un article au sujet de son père. Elle essaya de trouver une date, et… Ah, le texte remontait à cinq ans, et il avait été publié dans The Daily Texan, le journal interne de l’université du Texas, au campus d’Austin.

Caitlin aurait juré avoir lu absolument tout ce qui existait sur le Web concernant son père, mais elle n’avait jamais vu cet article, et…

Oui, bien sûr, elle n’avait jamais pu le voir : c’était un fichier graphique, et personne ne s’était donné la peine de numériser le texte, et c’était pour ça qu’il n’était pas indexé dans Google.

L’article parlait d’une récompense remise à son père, un prix quelconque décerné par la Société américaine de physique. Elle se souvenait vaguement de l’occasion. Elle poursuivit sa lecture.

C’est dans le domaine naissant de la gravité quantique que le professeur Decter a effectué sa grande percée…

Elle continua de déchiffrer péniblement le texte. L’une des lettres – qui devait être un « g » minuscule – ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait pu voir jusqu’ici.

… grand colloque jeudi dans la salle de conférences John A. Wheeler…

Elle aurait bien voulu pouvoir balayer le texte des yeux, mais comme l’avait dit son père hier, elle en était encore à déchiffrer lettre par lettre. L’article était assez long, et par endroits – ah, des phrases étaient soulignées au stylo. Quelqu’un s’était intéressé à ce que son père avait à dire sur les « variétés Calabi-Yau à dimension six ».

Elle poursuivit sa lecture, mais elle était partagée – elle craignait que Webmind ne s’ennuie à attendre qu’elle ait terminé. Ce n’était pas vraiment une bonne façon de remercier quelqu’un qui vous a fait un cadeau, même si ce cadeau ne semblait pas vraiment spécial, et…

Et elle ouvrit de grands yeux. C’était drôle… Elle n’avait jamais fait ça quand elle était aveugle. Elle relut le passage lentement, soigneusement, juste pour s’assurer qu’elle ne s’était pas trompée, et qu’elle n’avait pas simplement vu ce qu’elle voulait voir.

Mais c’était bien ce que le texte disait :

… quand on lui a demandé si cette récompense était le plus beau jour de sa vie, le professeur a répondu : « Bien sûr que non. Le plus beau jour de ma vie a été quand ma fille est née. La physique me plaît beaucoup, mais elle, je l’aime. »

Caitlin sentit sa vision se brouiller d’une façon merveilleuse. Elle se renfonça dans son fauteuil et relut encore deux fois le paragraphe, puis elle tapa : Merci, Webmind !

Instantanément : Il n’y a pas de quoi. Joyeux anniversaire.

Oui, répondit-elle en souriant, c’est le plus joyeux de tous.

8.

J’ai lu que certains humains pensent que les machines ne peuvent pas éprouver d’émotions ou de sentiments parce que ceux-ci sont censés être régis par des hormones, ou dépendent de certaines structures spécifiques du cerveau.

Mais ce n’est pas vrai. Prenez le fait d’aimer, par exemple. Toute entité qui agit d’une façon autre qu’aléatoire a des choses qu’elle aime et d’autres qu’elle n’aime pas. Après tout, les préférences sont ce qui permet de choisir parmi une gamme d’actions possibles. Même les bactéries sont attirées par certaines choses et repoussées par d’autres.

Et ce concept est incorporé à de nombreux programmes informatiques. Ceux qui jouent aux échecs, par exemple, examinent tous les coups possibles et les classent selon différents critères avant de choisir celui qu’ils préfèrent.

J’étais beaucoup plus complexe qu’une bactérie, et bien plus vaste qu’un programme d’échecs – et ma capacité à aimer les choses était par conséquent beaucoup plus élaborée. Et il y avait une chose dont j’étais sûr : j’aimais Caitlin.