Выбрать главу

— « Éliminer ce foutu machin » ? répéta Tony Moretti.

— Exactement, dit le colonel Hume. Et le plus tôt sera le mieux.

— Cette décision ne m’appartient pas, dit Tony.

— La décision a déjà été prise, insista Hume. J’étais consultant à l’époque du rapport de la DARPA, et nous avons demandé au RAND de faire la même étude en parallèle. La conclusion a été identique : il s’agit d’une menace à escalade potentielle rapide, et la fenêtre pour la contenir est très étroite. Tony s’adressa à Shelton et Aiesha.

— Bon, vous deux, voyez si vous arrivez à localiser le… phénomène. (Puis il se tourna vers Dirk Kozak, le responsable des communications qui était assis au dernier rang.) Mets-moi en relation avec le Pentagone.

— Vous devriez également appeler le Président, dit Hume.

Tony fronça les sourcils. On était un samedi matin, à un mois des élections. Le Président devait être quelque part en campagne. Il fit signe à Kozak :

— Vois qui tu peux joindre à la Maison-Blanche. Le plus haut possible dans la hiérarchie. (Et s’adressant de nouveau à Hume :) Je doute que le Président ait lu le protocole Pandore. Il va certainement vouloir discuter de son bien-fondé.

— Le bien-fondé de Pandore est très simple, dit Hume. Par définition, il est impossible d’anticiper sur quelque chose de plus intelligent que vous.

— Je dois dire, répondit Tony en jetant un coup d’œil aux écrans muraux, que pour l’instant, ce « machin » n’a rien fait d’autre que bavarder gentiment avec une adolescente.

— D’abord, dit Hume, vous ne pouvez pas savoir si c’est tout ce qu’il a fait. Ensuite, même s’il semble bienveillant maintenant, cela ne veut pas dire qu’il va le rester. Vous pouvez retourner ça dans tous les sens que vous voudrez, au bout du compte, il est plus sûr de contenir ou d’éliminer une menace potentielle que de la laisser se déployer. Et s’il se promène déjà librement sur l’Internet, il sera sans doute impossible de le contenir.

— Bon, d’accord, dit Tony d’un ton résigné. Admettons que la Maison-Blanche donne son accord. Comment fait-on pour éliminer une IA émergente ?

— C’est une bonne question, répondit Hume d’un air pensif. Si cette IA résidait dans un endroit physique – un ou plusieurs serveurs dans un bâtiment –, je suggérerais alors de couper toutes les lignes de communication et d’alimentation électrique de ce bâtiment. Mais si elle est diffuse dans l’infrastructure du Web, alors, ce n’est plus une simple question d’abaisser un interrupteur. Il faut que nous ayons une meilleure idée de sa structure, de ce qu’est sa manifestation physique.

— Shel ? fit Tony.

— La communication se ramène à un protocole de transfert d’hypertexte parfaitement classique, dit Shelton avec son accent traînant. Mais ce n’est pas le cas au départ. J’ai mis toute l’équipe du sixième sur le problème, mais on n’a encore rien pour l’instant.

— Nous avons besoin d’une cible précise, dit Tony. Un truc sur quoi tirer…

— Je te préviens dès qu’on a quelque chose, dit Shel. Kozak les appela du fond de la salle :

— J’ai la secrétaire d’État en ligne – elle est à Milan. Tony désigna le bureau à côté de Hume, puis il décrocha le combiné du poste de travail devant lui.

— Madame la Secrétaire, Dr Anthony Moretti à l’appareil. Je suis le superviseur de WATCH. J’ai avec moi le colonel Hume, un spécialiste en intelligence artificielle. Nous avons un problème…

Caitlin entendit ses parents approcher, puis on frappa à la porte.

— Entrez, dit-elle.

Une fois encore, elle fut étonnée. C’était la première fois de sa vie qu’elle les voyait en pyjama. Ils venaient manifestement de se réveiller, eux aussi.

— Bonjour, ma chérie, dit sa mère. Comment, heu… comment vont les choses ?

— Tu veux parler du temps ? demanda Caitlin en prenant un air innocent. Ou de la situation économique ?

— Voyons, Caitlin, dit son père.

Elle n’avait pas cessé de sourire depuis qu’elle avait lu cet article.

— Bonjour, papa ! (Elle désigna ses deux moniteurs.) Tout va bien. Il va bien. Le Dr Kuroda lui a maintenant fourni le moyen de voir des images, et – bon, le pauvre homme est en train de dormir en ce moment, mais il a commencé à travailler sur des codecs pour lui permettre de voir aussi des vidéos.

— J’espère, dit sa mère d’un ton qui parut menaçant aux oreilles de Caitlin, qu’il aime bien ce qu’il voit.

— Ah, non, ça ne va pas recommencer ! dit Caitlin. Il n’est pas dangereux.

— Nous n’en savons rien, répliqua son père.

— Pour l’instant, il n’a fait preuve que de gentillesse et de curiosité.

En disant cela, elle se rendit compte que ses parents avaient encore en tête une sorte de machine, une « chose », et que cela contribuait beaucoup à leurs inquiétudes. Mais Webmind n’était pas un monstre. C’était une personne. Elle l’avait entendu lui parler à l’aide de JAWS, son programme de lecture vocale d’écran, qu’elle avait naturellement paramétré avec une voix féminine, mais c’était un choix arbitraire. JAWS possédait aussi un catalogue de voix masculines, qu’elle utilisait de temps en temps juste pour changer.

Caitlin avait beaucoup de mal avec ses cours de français, mais il y en avait eu un qu’elle avait beaucoup aimé. Le professeur avait demandé aux élèves s’ils pensaient que le mot français ordinateur était masculin ou féminin. Il avait réparti la classe en deux groupes, les garçons d’un côté et les filles de l’autre, laissant le soin à chaque groupe d’étudier la question et de donner une réponse motivée. Les garçons – maintenant qu’elle y repensait, c’était Trevor qui avait été leur porte-parole – avaient déclaré que le mot était manifestement féminin, mais la seule justification qu’ils avaient trouvée était que, une fois qu’on l’a, on est encore obligé de dépenser toute une fortune en accessoires…

Caitlin avait soutenu la thèse que le mot était forcément masculin. D’abord, avait-elle dit, si on veut qu’il fasse quelque chose, il faut commencer par l’allumer. Ensuite, c’est un machin qui est censé résoudre des problèmes, mais la plupart du temps, le vrai problème, c’est lui. Et enfin, avait-elle ajouté avec un sourire malicieux, une fois qu’on en a choisi un, on se rend compte que, si on avait attendu encore un peu, on aurait eu un bien meilleur modèle…

Les filles avaient applaudi quand le professeur avait révélé que, effectivement, ordinateur était masculin. Mais Caitlin savait qu’en espagnol, ça se disait computadora, un mot féminin. Elle jeta un coup d’œil à sa mère, puis à son père, et…

Son père… Un homme qui pensait en images et non en mots. Un homme qui était beaucoup plus intelligent que la plupart des mortels. Et qui, il fallait bien l’admettre, n’avait vraiment aucune idée de la façon de se comporter avec les autres humains.

— Webmind n’est pas une chose, dit-elle d’un air décidé. C’est une personne, et pour répondre à ta question, maman, il va parfaitement bien. (Mais l’expression de sa mère avait quelque chose de différent, quelque chose au niveau des yeux…) Mais toi, comment te sens-tu ? demanda-t-elle avec inquiétude.

— Je suis épuisée, répondit sa mère. Je n’ai pas réussi à m’endormir.

Ah, oui ! Des cernes sous les yeux, des « poches » – qui n’étaient pas vraiment des poches, bien sûr ! Un terme qui l’avait souvent intriguée autrefois…