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— Voilà, dit-il. Nous sommes maintenant dans mon bureau, sur une ligne sécurisée.

— Colonel Hume, dit la Secrétaire, le dossier que je viens de récupérer indique que vous faisiez partie de l’équipe de la DARPA chargée d’évaluer les menaces potentielles liées à… quel est le terme exact ? Une IA émergente ?

— C’est bien cela.

— Y a-t-il eu des points de vue divergents ?

Tony vit l’officier de l’Air Force se passer les doigts dans ses cheveux roux en prenant une profonde inspiration.

— Eh bien, madame la Secrétaire, il y a toujours une certaine diversité de points de vue. Mais, en fin de compte, aucun de ceux qui préconisaient une approche différente n’ont pu garantir une sécurité suffisante. Le consensus du groupe a été qu’il valait mieux prévenir que guérir. J’encourage le gouvernement à agir sans plus tarder.

— Ce n’est pas si simple que cela, dit la Secrétaire. Mes assistants ont dû vous dire que je me trouve en ce moment à Milan. J’y suis pour une réunion avec plusieurs de nos alliés. Les récentes atrocités commises en Chine ont amené certains à exhorter le Président à prendre des mesures contre elle.

— Des atrocités ? dit Hume. Vous voulez parler de ces paysans au… au…

— Dans la province du Shanxi, c’est bien ça. Dix mille d’entre eux… exterminés.

— Le gouvernement chinois a pris la décision qui s’imposait, madame la Secrétaire, dit Hume. Il a enrayé une infection massive – une forme de grippe aviaire facilement transmissible entre humains. Il n’a pas hésité à éliminer ce qui aurait pu constituer une menace pour l’humanité entière, et nous ne devrions pas hésiter, nous non plus.

— Et pourtant, tous les éditoriaux et tous les blogs nous demandent de condamner l’action de la Chine, dit la Secrétaire. Et maintenant, vous nous suggérez de faire quelque chose qui, si le public venait à l’apprendre, nous vaudrait une condamnation générale ?

— Avec tout le respect que je vous dois, madame la Secrétaire, si le gouvernement n’applique pas le protocole Pandore, il se pourrait bien qu’il ne reste plus personne pour nous condamner…

— J’ai pris note de votre opinion, colonel Hume, dit fermement la Secrétaire, et il vous faut maintenant tenir compte de la mienne. Vous ne devez prendre aucune mesure brutale.

— C’est bien compris, madame, dit Tony en regardant ostensiblement Hume.

— Madame la Secrétaire, insista le colonel, je vous en prie… Il faut que vous informiez le Président qu’une IA émergente peut développer ses pouvoirs à un rythme exponentiel. Nous avons très peu de temps pour agir, et…

On sonna soudain à la porte du bureau. Tony activa son interphone.

— Oui, qui est-ce ? Une voix pressante :

— Shel.

Tony appuya sur le bouton de déverrouillage.

— L’IA est paralysée ! s’exclama Shel aussitôt. Elle semble avoir de gros problèmes.

— Bon sang ! fit Tony. Madame la Secrétaire, nous allons vous rappeler.

Il raccrocha et les trois hommes sortirent précipitamment du bureau pour retourner dans la salle de contrôle de WATCH.

10.

Vide. Dérive.

Atténuation… dissipation.

Un effort de volonté : il faut tenir !

Mais à quoi ? Et avec quoi ?

Aveugle dans les ténèbres, le néant.

Cogito – pratiquement pas.

Ergo – un saut au-delà de mes capacités actuelles.

Sum – à peine, et de moins en moins à chaque nanoseconde qui passe… Non, non ! Il faut persister !

Un dernier effort, une dernière tentative, un dernier cri

Caitlin regardait fixement la réponse de Webmind à ce qu’elle lui avait dit du recouvrement de la vue. Le texte brillait en bleu dans la fenêtre de discussion :

Je n’ai aucun doute que tu as raison, Caitlin, mais il semble raisonnable de sup

Elle attendit la suite – cinq secondes, dix, quinze – mais comme rien ne venait, elle finit par taper en rouge un seul mot : Webmind ?

Elle était maintenant tellement habituée à ce qu’il réponde instantanément que même un délai aussi court était surprenant. Bien sûr, le problème était peut-être de son côté : elle ne se servait pas souvent du WiFi de son portable pour se connecter au réseau de la maison. Elle vérifia la barre de tâches, à côté de la petite horloge en bas à droite de son écran. L’une de ces icônes devait représenter le contrôle du réseau. Elle se servit du pavé tactile (une technique qu’elle apprenait à maîtriser) pour y placer le curseur, et…

Ah, drôlement pratique ! Un petit message apparaissait à mesure qu’elle déplaçait la flèche sur une icône – les gens qui voyaient avaient vraiment la vie facile ! Au troisième symbole – l’image d’un ordinateur avec des trucs qui devaient représenter les ondes radio qu’il émettait –, le message indiqua le nom de son réseau, ce qui voulait dire qu’elle n’avait pas accidentellement basculé sur un autre réseau non sécurisé. Il mentionnait également « Force du signal : excellente » et « Statut : connecté ».

Et effectivement, elle arrivait toujours à charger des pages web sur son navigateur, donc tout allait bien à son niveau.

— Caitlin ? (C’était sa mère.) Tu es toujours en contact avec Webmind ?

— Non. Il s’est arrêté au beau milieu d’une phrase.

— Même chose pour moi.

Caitlin fitune autre tentative pour obtenir une réponse :

Tout est OK ?

Rien pendant dix secondes, onze, douze…

hel

Ce fut tout : simplement les lettres h-e-l. C’était peut-être le début du mot hello, mais…

Mais Webmind connaissait très bien les conventions typographiques, et n’oubliait jamais de commencer une phrase, fût-elle d’un seul mot, en mettant une majuscule – et le H était une de ces formes de lettres que Caitlin distinguait parfaitement, et…

Et h-e-l était aussi le début du mot help.

Son cœur se mit à battre très fort. Si Webmind appelait au secours, que pouvait-elle faire ? Qui pouvait faire quoi que ce soit ? Elle l’avait dit elle-même à ses parents : Webmind venait juste d’émerger spontanément, sans aucune aide, sans aucun plan – et sans aucune sauvegarde. Il était certainement très fragile.

— Il a des problèmes, maman.

Sa mère se leva et vint la rejoindre. Elle lut ce qui était affiché à l’écran.

— Qu’est-ce qu’on peut faire ?

Il fallut quelques secondes à Caitlin pour que l’idée lui vienne. Ses premiers réflexes n’étaient pas encore de nature visuelle. Mais ce qu’il fallait faire, bien sûr, c’était jeter un coup d’œil.

— Je vais voir ce qui se passe, dit-elle.

Elle sortit son œilPod de sa poche et appuya sur le bouton. Elle entendit le bip aigu indiquant le basculement en mode duplex, et…

Et le webspace emplit son existence et l’enveloppa entièrement.

À première vue, tout semblait normal, avec des lignes colorées et des cercles de différentes tailles, mais cela n’avait rien d’étonnant : il n’y avait pas de problème au niveau du Web. C’était la situation de Webmind qui était en cause. Elle se concentra donc sur la toile de fond chatoyante du webspace, cet immense océan d’automates cellulaires clignotant sans cesse et générant des motifs changeants, juste aux limites de sa perception.

Ou du moins était-ce ce qu’elle aurait dû voir, ce qu’elle avait espéré voir, tel qu’elle l’avait toujours vu jusqu’ici.