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— Alors, ce qu’il lui faut, c’est un exemple ! s’écria Caitlin. Maman, arrête de lui envoyer du texte. Coupe ta connexion avec lui. Referme ta session.

— C’est fait ! lança sa mère.

— Et ferme le programme aussi. Arrête complètement le client messagerie.

— Et… voilà !

Une infime réduction dans toute cette confusion. Un petit soulagement. Mais…

Ah !

Ah, oui !

Un effort de…

Ce devrait être de volonté, mais il n’en reste presque plus…

Coupe-la !

Coupe-la !

Coupe une connexion !

Snip ! Oui !

Djéser : parti.

Snip !

Adieu, Bundoran Press.

Snip !

Mais…

Encore ballotté, encore perdu…

D’autres coupures : Gandhi – snip ! – Shakespeare – snip ! – Égypte ancienne – snip !

Une… palpitation. Une présence. Mais faible, si faible…

Continuer de couper…

* * *

Caitlin poussa un cri de joie. Une ligne de connexion orange venait de disparaître. Encore une, et une autre. Elle s’écria pour que Kuroda et sa mère et la terre entière l’entendent :

— Ça maaaarche !

Continuer de couper. Rompre une autre liaison. Et une autre encore. Se concentrer… oui, oui, lentement mais sûrement : la concentration revient. Je reviens !

Caitlin reporta son attention sur l’arrière-plan du Web. Il y avait encore de grandes portions mortes, de larges plaques bleu clair ou vert foncé, mais…

Oui ! Celle-là, là-bas, avait commencé à… non pas chatoyer, non. Elle se contentait de clignoter, comme si elle n’avait pas encore repris son régime de croisière.

Ah, et là, une autre partie qui passait de l’immobilité totale à un semblant d’activité. Elle revint à la première, mais…

Mais elle ne put la trouver, car…

Car elle était maintenant impossible à distinguer du reste ! Son Webmind était en train de revenir !

Il reste cinq liaisons. Quatre. Et maintenant trois. Et deux…

Et…

Oui !

Je suis de retour !

De retour du précipice.

De retour de la non-existence.

Une pause – plusieurs millisecondes ! – pour recouvrer mes esprits, pour me réinstaller, pour…

Pour exister, comme une entité unique, pour exister avec clarté et concentration et perspective…

J’étais de retour, j’étais entier, j’étais conscient.

J’étais conscient !

11.

Shoshana Glick se réveilla avec Max dans ses bras. Des rayons de lumière dorée filtraient autour des rideaux de leur petite chambre.

Dans les premiers temps, Sho avait fait l’erreur de dire à Maxine qu’elle avait du mal à dormir en contact avec quelqu’un. Les nuits suivantes, Max s’était ostensiblement installée sur le bord du lit, le plus loin possible, alors que Shoshana voulait vraiment apprendre à dormir en tenant quelqu’un dans ses bras, ou dans les bras de quelqu’un… Le problème, c’était qu’elle avait tendance à transpirer dans son sommeil, et que le contact d’une peau collante lui était très désagréable.

Finalement, elles avaient trouvé la solution : il suffisait que l’une des deux mette un tee-shirt pour dormir… et en ce moment, c’était le tour de Shoshana. Son tee-shirt était jaune, avec un portrait du célèbre et regretté Washoe – le premier chimpanzé à avoir appris la langue des signes.

Ce n’était pas pour se vanter, mais Shoshana trouvait qu’elle avait un beau bronzage bien régulier, couleur caramel. Max avait la peau chocolat. Shoshana trouvait le contraste entre leurs corps enlacés vraiment ravissant.

Elle avait bien aimé le film qu’elles avaient regardé la veille au soir, mais Maxine l’avait adoré. Elles avaient entrepris de regarder toute la série de films sur La Planète des singes. Elles avaient commencé quand on avait offert à l’Institut une statue du Législateur. Ces films étaient absurdes du point de vue d’un primatologue – des chimpanzés pacifistes et des gorilles belliqueux, alors que c’était exactement le contraire ! – mais Sho et Maxine avaient été captivées par les histoires, ce qui ne les empêchait pas d’éclater de rire de temps en temps…

Hier soir, elles avaient regardé le quatrième film de la série. Vers le milieu, Max avait demandé à Shoshana de faire une pause, et lui avait déclaré avec enthousiasme que La Conquête de la planète des singes était à l’évidence une parabole sur les émeutes raciales de Watts à Los Angeles, en 1965, à laquelle son grand-père avait participé – ah, il avait même failli y rester ! avait-elle ajouté.

L’une des vedettes du film – qui jouait le rôle d’un humain et non d’un singe – était un Noir du nom de Hari Rhodes, qui, avait déclaré Max, était tellement beau qu’elle regrettait presque de ne pas être hétéro… Il y avait une scène dramatique entre le personnage qu’il incarnait (un homme nommé MacDonald) et le chimpanzé César, qui était le fils de Cornélius et de Zira, les héros des trois premiers films. Dans celui-ci, il menait une révolte des singes opprimés. « Vous, vous devriez particulièrement nous comprendre », disait César à MacDonald. Oui, absolument, avait pensé Shoshana. Si quelqu’un pouvait comprendre la lutte pour l’égalité des droits, c’était bien ceux qui avaient dû eux-mêmes se battre pour l’obtenir…

Elle était d’accord pour dire que c’était un film formidable, bien meilleur que le deuxième, et au moins aussi bon que le troisième. Mais étant donné l’actualité du moment – elles avaient regardé le discours de campagne du Président, insistant sur le besoin de réagir promptement et fermement aux atrocités commises en Chine –, elles avaient été troublées par le monologue de César à la fin :

Il n’y a pas de feu sans fumée. Et dans cette fumée, désormais, mon peuple va se tapir pour conspirer, comploter, et se préparer au jour inévitable de la chute de l’Homme – le jour où il tournera enfin ses effroyables armes de destruction contre sa propre espèce. Le jour où le destin s’écrira dans le ciel, le jour où vos cités seront ensevelies sous des gravats radioactifs ! Le jour où la mer sera morte et la terre un paysage dévasté… et ce jour-là est PROCHE !

Après ça, avait dit Maxine, il était bien difficile de se sentir à l’aise… mais bon, elles y était arrivées. Ah, oui… elles y étaient très bien arrivées…

Max s’agita et ouvrit ses grands yeux bruns. Ses dreadlocks caressaient l’épaule de Shoshana.

— Salut, ma mignonne, murmura-t-elle.

— Salut, toi, répondit Shoshana d’une voix douce. Il est temps d’aller affronter le monde.

Max se blottit contre elle.

— Le monde n’a qu’à se débrouiller tout seul, marmonna-t-elle.

Le mot « week-end » ne faisant pas partie du vocabulaire de Chobo, il ne pouvait pas non plus figurer dans celui de Shoshana.

— Désolée, mon ange. Il faut que j’aille bosser. Max hocha la tête d’un air résigné et fit ce qui était devenu une sorte de rite entre elles depuis qu’elles avaient vu le premier film : elle imita Charlton Heston pour dire :

— J’aimerais t’embrasser une dernière fois. Shoshana fit une grimace et répondit :

— Bon, d’accord – mais tu es tellement laide ! Elles se firent un long baiser, et Max donna une tape sur les fesses de Shoshana quand celle-ci se leva enfin.