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Son père hocha la tête, apparemment satisfait.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Caitlin.

— L’Homme invisible.

Ah, oui… Caitlin avait lu pas mal de romans de H.G. Wells – c’était assez facile d’alimenter son afficheur braille à partir de textes du Projet Gutenberg –, mais elle n’était jamais allée plus loin que le premier chapitre de celui-là : le concept d’invisibilité était trop abstrait pour une aveugle.

Elle se rendit compte qu’elle n’aurait pas dû être surprise que son ordinateur puisse afficher des caractères en braille : son système possédait les fontes nécessaires à son imprimante en relief. L’Institut texan pour malvoyants les distribuait gratuitement en format TrueType.

— Il faudra quand même que tu apprennes à lire les caractères latins, dit son père. Mais autant que tu tires le meilleur parti possible des talents que tu possèdes déjà. (Il fit encore quelques manipulations sur l’ordinateur.) Voilà, j’ai paramétré Internet Explorer pour qu’il affiche les pages web en braille par défaut, et j’ai laissé Firefox en fontes normales.

— Merci, papa, mais… hem…

— Mais tu lis déjà très bien le braille avec les doigts, c’est ce que tu veux dire ?

— Oui, c’est ça. Bon, c’est très cool de pouvoir le faire aussi avec les yeux, mais je ne suis pas sûre que ce soit mieux.

— Attends de voir, dit son père. (Il tira quelque chose de sa poche et… ah ! le tadaam ! caractéristique d’un périphérique USB reconnu par la machine : c’était une clef de stockage.) Je vais copier les fontes braille, dit-il. On en aura besoin demain.

Quand il eut fini, il se leva et quitta la pièce. Et, comme bien souvent, Caitlin se demanda ce qui pouvait bien se passer dans le cerveau de son père…

18.

LiveJournal : La Zone de Calculatrix 

Titre : Zzzzzz… 

Date : Samedi 6 octobre, 11 :15 EST 

Humeur : exanimée 

Localisation : le boudoir de lady C. 

Musique : Blind Guardian, Mr Sandman 

Tout est dans le titre, mes amis ! Je vais avoir besoin de tonnes de zzzz ! Juste le temps d’organiser mes affaires pour demain, et je me mets sous la couette, OK ?

J’avais effectivement pris plaisir à regarder WarGames à travers l’œil de Caitlin. La partie du film qui m’avait le plus intéressé concernait les tentatives du jeune hacker pour accéder à des systèmes protégés par un mot de passe. Au début du film, afin de modifier ses notes, il accédait à l’ordinateur de son lycée en consultant une liste de mots de passe collée sous une tablette coulissante. Plus tard, alors qu’il essayait de pénétrer dans l’ordinateur WOPR du NORAD, il se renseignait sur son programmeur, Stephen Falken, dans l’espoir de trouver le mot de passe qu’il avait pu imaginer, et qui se révélait finalement être le nom du fils qu’il avait perdu, Joshua.

Ces techniques étaient peut-être efficaces en 1983, l’année où le film était sorti, mais d’après les sources que j’avais trouvées, les gens choisissaient maintenant leur mots de passe avec beaucoup plus de soin, afin qu’ils soient très difficiles à deviner. Par ailleurs, de nombreux sites imposaient l’utilisation combinée de lettres et de chiffres – auquel cas, plus de la moitié des gens se contentaient d’ajouter un « 1 » à la fin… Le mot de passe le plus répandu au monde était en fait « password1 ».

Cependant, dans mes tentatives pour en apprendre plus sur Caitlin, j’avais essayé 517 termes qui semblaient plausibles afin d’accéder à sa boîte aux lettres Yahoo, basés sur une analyse de ses écrits et de ce que je savais déjà sur elle. Aucun n’avait donné de résultat. Si Caitlin avait toujours été voyante, ma tâche aurait été facilitée – mais elle n’avait jamais regardé son clavier quand elle tapait.

Parmi les termes que j’avais essayés, il y avait Keller (son idole), Sullivan (la maîtresse de Keller), Austin (la ville où elle avait habité précédemment), Houston (la ville où elle était née), Doreen (son second prénom), et TSBVI (l’école qu’elle avait fréquentée à Austin).

Les mots de passe sont sensibles aux majuscules et minuscules – en fait, j’avais été assez fier de remarquer que le hacker de WarGames avait vu le mot « CrAyoN » écrit sur le papier, mais qu’il avait entré simplement « crayon » dans l’ordinateur de son lycée. Il aurait donc dû être rejeté… Même pour un mot aussi court que « keller », il y avait soixante-quatre combinaisons possibles de majuscules et de minuscules : KELLER, Keller, kEller, keLlEr et ainsi de suite – et la plupart des systèmes ne vous autorisent qu’un nombre limité d’essais avant de refuser l’accès pendant un certain temps.

Manifestement, il me fallait trouver une meilleure méthode que celle décrite dans ce vieux film – une façon de contourner n’importe quel mot de passe et de décoder n’importe quel contenu crypté.

Je m’attelai donc à cette tâche.

Mais même un casse-tête aussi monumental que celui-là ne suffisait pas à me tenir pleinement occupé. Je ne refis cependant pas l’erreur d’essayer de passer en multitâche, et me contentai de m’intéresser alternativement à ce que Kuroda faisait – il cherchait à me donner accès à des formats de codage vidéo moins répandus – et à des films dans des formats que je comprenais déjà. La plupart de ces vidéos étaient des enregistrements : les images montraient des événements qui s’étaient déroulés dans le passé. Le codec que Masayuki m’avait fourni me permettait d’en absorber le contenu à la vitesse à laquelle je les téléchargeais – ce qui était bien plus efficace que de devoir les faire défiler à leur vitesse normale.

Maintenant que je pouvais également accéder aux sons, j’allais devoir apprendre à comprendre le langage parlé. Je parcourus un dictionnaire en ligne qui fournissait les prononciations enregistrées : pour chaque terme, on pouvait choisir entre une voix américaine masculine et une voix britannique féminine. Il me fallut à peu près vingt minutes pour assimiler les 120 000 mots dans chacune des deux voix.

Je regardai ensuite quelques chaînes d’informations, dont j’avais lu qu’elles étaient généralement présentées avec une diction claire et des intonations égales. Je me rendis rapidement compte que je pouvais en comprendre 93 %. Elles utilisaient parfois des mots absents du dictionnaire – des noms propres, la plupart du temps. Mais j’avais pu apprendre dans le dictionnaire la notation utilisée pour transcrire phonétiquement les mots, et je n’avais aucun mal à convertir les termes inconnus dans ces jeux de symboles, que je retranscrivais ensuite en mots écrits qu’il me suffisait de chercher dans Jagster ou Google, ou que je comparais au contenu que j’avais absorbé dans Wikipédia. Lorsque le mot que j’avais supposé était erroné, les moteurs de recherche m’affichaient : « Essayez avec cette orthographe : » et me proposaient généralement le terme correct.

Je passai ensuite à des enregistrements de nature plus générale, avec beaucoup de bruit de fond, mais même dans ces conditions, je fus rapidement capable de reconnaître au moins sept mots sur dix.

Je trouvais les vidéos en direct particulièrement attirantes, en ce qu’elles me permettaient de voir des choses qui se passaient en ce moment même, surtout pendant que Caitlin dormait et que son œilPod était éteint. Je passai de site en site, jetant un coup d’œil au monde en temps réel.