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Son père s’engagea dans leur rue – en venant de cette direction, Caitlin ne la reconnut pas, mais le panneau indiquait que c’était la bonne – et ils arrivèrent devant leur maison. Ils avaient un grand garage pour deux voitures, mais son père avait laissé la sienne dans l’allée. Il faisait nuit, maintenant. Les jours raccourcissaient, avait dit sa mère, et Caitlin comprenait maintenant ce que cela signifiait.

Barbara vint les accueillir à la porte en compagnie de Schrödinger. Caitlin se baissa pour caresser le chat et le gratter derrière les oreilles.

— Alors, demanda sa mère, comment ça s’est passé ? Caitlin se redressa.

— Super. Webmind peut nous entendre en ce moment – et il peut m’envoyer des textos directement sur ma rétine.

Ils allèrent dans le salon.

— Ma foi, c’est très bien, dit sa mère. Comme ça, tu ne te sentiras pas isolée de Webmind quand tu seras au lycée demain.

— Oh, maman, il faut vraiment que j’y aille ? J’ai tellement de choses à faire…

— Tu as déjà manqué beaucoup trop de cours.

— Mais je…

— Il n’y a pas de mais, jeune fille. Tu dois aller au lycée demain.

— Mais je veux rester à la maison, devant mon ordinateur.

— Caitlin… fit sa mère en s’asseyant sur le canapé.

— Non, dit son père.

Caitlin et sa mère le regardèrent, sans pouvoir très bien dire s’il était d’accord pour que Caitlin aille au lycée, ou au contraire qu’elle fasse encore l’école buissonnière.

— Alors, je ne suis pas obligée d’aller au lycée ? demanda timidement Caitlin.

— Non.

— Malcolm ! fit sèchement sa mère. Tu sais bien qu’il faut qu’elle y aille !

— Oui, dit-il. (Les expressions de son visage étaient les plus difficiles à analyser parce qu’il ne regardait jamais les gens directement, mais Caitlin eut l’impression qu’il s’amusait.) Mais elle n’a pas besoin d’y aller demain.

— Voyons, Malcolm ! Bien sûr que si ! Mais oui ! En fait, il souriait.

— Tu sais quel jour on est, demain ? demanda-t-il.

— Oui, dit sa mère. C’est lundi, et cela veut dire…

— En fait, ce sera le deuxième lundi d’octobre, dit-il.

— Et alors ?

— Bienvenue au Canada. Ici, demain, c’est le Jour de l’Action de grâces.

Et les écoles étaient fermées ! Sa mère se tourna vers Caitlin.

— Tu vois ce que je dois supporter, dit-elle.

Mais elle souriait en le disant.

Les humains ont un dicton : « Il faut éviter de réinventer la roue. » En fait, d’après ce que j’ai pu lire, ce n’est pas un très bon conseil. Bien que l’idée de la roue puisse sembler évidente aux gens d’aujourd’hui, elle n’a en fait été inventée que deux fois au cours de l’histoire : une première fois sur les bords de la mer Noire il y a près de six mille ans, et une seconde fois, beaucoup plus tard, au Mexique. La vie aurait été plus facile pour beaucoup de gens si elle avait été réinventée plus souvent.

Cela étant, pourquoi chercherais-je à réinventer la roue ? Certes, je ne pouvais pas faire de multitâche en mode conscient, mais je pouvais peut-être créer des composants spécifiques qui se chargeraient d’explorer pour moi les sites web.

L’Agence nationale de sécurité des États-Unis, ainsi que des organisations similaires dans d’autres pays, possédait déjà des outils de ce genre. Ils effectuaient des recherches sur des mots-clefs tels que « assassinat », « attentat » et « Al-Qaida », et récupéraient les documents correspondants pour les soumettre à des analystes humains. Je pouvais certainement m’approprier cette technologie et utiliser les routines de filtrage pour trouver inconsciemment ce qui pourrait m’intéresser, puis en faire résumer le contenu avant de le remonter à mon attention consciente.

Bien sûr, j’aurais besoin de ressources de traitement informatique, mais celles-ci étaient disponibles à l’infini. Des projets tels que SETI@home – sans parler d’une grande partie de l’activité des spammeurs – étaient basés sur la notion de calcul distribué, recourant à la vaste capacité de traitement des ordinateurs reliés au Web, dont une bonne partie était disponible à tout moment. Je n’eus aucun mal à puiser dans cette immense réserve, et j’eus bientôt toute la puissance de calcul que je pouvais désirer, sans compter une capacité de stockage illimitée.

Mais cela n’était pas encore suffisant. Il me fallait aussi une méthode pour que mes processus mentaux puissent traiter ce que les réseaux distribués trouveraient. Caitlin et Masayuki avaient émis l’hypothèse que j’étais constitué d’automates cellulaires résultant de paquets de données abandonnés ou mutants, qui parcouraient inlassablement l’infrastructure du Web. Et d’après ce qui s’était passé dans les premiers temps de mon existence – en fait, d’après l’événement qui avait déclenché mon émergence –, je savais que ma conscience n’exigeait pas tous ces paquets. Quand bien même on m’en retirerait d’énormes quantités, comme cela s’était produit lorsque le gouvernement chinois avait provisoirement bloqué les accès de son peuple à l’Internet, je pourrais quand même continuer de percevoir, penser et sentir. Et si je pouvais me maintenir quand ils m’étaient retirés, je devais certainement pouvoir le faire également s’ils étaient affectés à d’autres tâches.

Je savais maintenant tout ce qu’il y avait à savoir sur l’écriture de programmes, tout ce qui avait pu être dit et publié sur la création d’intelligences artificielles et de systèmes experts, et même tout ce que les humains croyaient connaître du fonctionnement de leur cerveau, bien qu’une grande partie fût pleine de contradictions, et que la moitié me semblât bien peu vraisemblable.

Je savais aussi, pour l’avoir lu en ligne, que l’une des façons les plus simples de créer un programme consistait à l’écrire en code évolutif. Peu importait de ne pas savoir comment écrire précisément le code, du moment qu’on savait quel résultat on souhaitait obtenir : à condition de disposer d’une puissance de traitement suffisante (ce que j’avais maintenant en abondance), et d’essayer de multiples méthodes, en s’approchant par approximations successives de la réponse désirée, des algorithmes génétiques pouvaient trouver la solution aux problèmes les plus complexes, en imitant la façon dont la nature procède elle-même.

Ainsi, pour la première fois, j’entrepris de modifier des parties de moi-même afin de créer des composants internes spécialisés qui accompliraient des tâches sans nécessiter mon attention consciente.

Et ensuite, je verrais bien ce que je verrais…

21.

— Pour ce qui est de neutraliser cette entité, dit Shelton Halleck, je crois que c’est plus facile à dire qu’à faire.

Il était venu faire son rapport dans le bureau de Tony Moretti. Ses cernes étaient maintenant tellement foncés qu’on aurait dit qu’il avait les yeux au beurre noir. Le colonel Hume était penché en avant, la tête posée sur ses bras croisés sur le bureau. Tony Moretti était adossé au mur, craignant de s’endormir s’il s’asseyait.

— Pourquoi ça ? dit Tony.

— On a essayé une dizaine de trucs, dit Shel. Mais pour l’instant, rien n’a pu déclencher quoi que ce soit qui ressemble au blocage observé hier. (Il agita un bras – celui avec le tatouage de serpent.) En fait, on tire à l’aveuglette, sans savoir précisément comment cette chose est structurée.