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— Ces messieurs aimeraient te parler, dit-il une fois qu’ils se furent un peu éloignés dans le couloir.

— Oui ?

— Je m’appelle LaFontaine, dit l’un des deux hommes. (Il avait un accent canadien français, et des cheveux très bruns.) Mon collègue Mr Park et moi-même faisons partie du CSIS.

— Du quoi ?

— Le Canadian Security Intelligence Service, répondit LaFontaine.

Mais Webmind avait réagi plus vite que lui, et Caitlin avait déjà vu les mots s’afficher en braille devant elle.

— C’est comme un service d’espionnage ? demanda Caitlin.

— En fait, c’est un service d’espionnage, dit Lafontaine. Rien de métaphorique là-dedans.

La vision que Caitlin avait du monde se mit à tanguer, et elle comprit que c’était l’effet que ça faisait quand on levait les yeux au ciel. Manifestement, LaFontaine se croyait beaucoup plus intelligent qu’elle… et dans son expérience, en général, les gens qui croyaient ça se trompaient.

— Allons dans un endroit plus tranquille, dit Mr Auerbach.

Il les emmena dans le couloir, et alors que les premières notes de Ô Canada se faisaient entendre, ils arrivèrent devant une porte portant l’inscription : « Salle d’Histoire ». Le proviseur l’ouvrit et ils entrèrent dans une pièce comportant quelques grands bureaux repoussés contre les murs, une longue table centrale et une fenêtre aux rideaux marron à moitié tirés.

— Merci, Mr Auerbach, dit Park. Nous vous préviendrons quand nous en aurons fini.

— Je ne sais vraiment pas si je dois vous laisser seuls, dit le proviseur.

— Comme je vous l’ai déjà dit tout à l’heure, répliqua Park, il s’agit d’une affaire de sécurité nationale, que seules les personnes concernées ont le droit de connaître – et avec tout le respect que je vous dois, monsieur, vous n’avez pas le droit. (Il sortit un petit appareil de sa poche.) Nous enregistrons tout – pour la protection de mademoiselle Decter aussi bien que la nôtre. Et maintenant, si vous voulez bien nous laisser ?

Caitlin vit que Mr Auerbach n’était pas très content d’être congédié de la sorte, mais il finit par hocher la tête et quitter la pièce.

Ils attendirent la fin de l’hymne national – mais Caitlin nota que ces agents fédéraux n’avaient pas hésité à s’asseoir sans attendre – et quand ce fut terminé, La Fontaine dit :

— Et maintenant, mademoiselle Decter, nous aimerions vous poser quelques questions à propos de Webmind.

Le cœur de Caitlin faillit littéralement jaillir de sa poitrine, et Webmind lui transmit un Putain de merde tout à fait approprié… Mais elle s’efforça de prendre un air innocent.

— Qui ça ?

— Allons, mademoiselle Decter, dit LaFontaine. Mr Park et moi, nous avons déjà eu une dure journée – nous avons pris le premier vol pour Toronto ce matin, et il nous a fallu encore une heure pour venir de Pearson. Ne jouons pas à ces petits jeux, d’accord ? Nous sommes parfaitement au courant de l’existence de Webmind et de votre implication, et nous aimerions vous poser quelques questions à ce sujet.

Essaie d’en apprendre un peu plus sur ce qu’ils savent déjà, transmit Webmind. 

Caitlin hocha la tête.

— Ma foi, oui, bien sûr, dit-elle, mais… Je ne comprends pas très bien. Vous pensez que Webmind est… qui ? Moi ?

— N’essayez pas de jouer les imbéciles, mademoiselle Decter, dit LaFontaine. Nous savons qu’il s’agit d’une intelligence émergente sur le Web, et nous savons que vous le savez aussi. Nous aimerions entendre ce que vous savez d’autre sur ce Webmind. Comment il est physiquement constitué, par exemple. Dans quelle partie de l’infrastructure du Web il réside, et…

— Je n’en ai pas la moindre idée, dit Caitlin. Park intervint.

— Mademoiselle Decter, j’ai lu un dossier sur vous dans l’avion. Je sais l’intérêt que vous portez aux mathématiques et à l’informatique. Vous ne pouvez pas nous faire croire que vous n’avez pas exploré ces questions jusqu’à obtenir des réponses. En fait, vous deviez déjà avoir une bonne idée de ce qui se passait, pour vous être ainsi trouvée impliquée avec Webmind.

Caitlin plissa les yeux.

— Pourquoi voulez-vous savoir tout ça ?

— Je sais que vous êtes enregistrée à SETI@home, mademoiselle Decter, dit LaFontaine. C’est exact, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Eh bien, connaissez-vous les protocoles internationaux concernant la suite à donner en cas de détection de signaux extraterrestres ?

— Non, pas comme ça de tête.

— Ils précisent que les radiofréquences des signaux extraterrestres doivent être isolées de toute utilisation humaine, afin de ne pas risquer d’être noyées. (Les coins de sa bouche se relevèrent légèrement.) Notre directive est de procéder de la même façon en ce qui concerne Webmind : veiller à protéger convenablement les ressources dont il a besoin pour exister. Nous voulons être sûrs que rien n’interfère avec lui.

— Ma foi, si… commença Caitlin.

Mais des mots en braille apparurent soudain devant ses yeux : Il ment.

Caitlin fut tellement surprise qu’elle dit à voix haute :

— Comment ça ?

LaFontaine répondit quelque chose, mais elle se concentra sur le texte que Webmind lui transmettait maintenant : Analyse des tensions du spectre vocal et des micro-expressions en arrêt sur image.

Elle secoua la tête. Encore un talent que Webmind avait acquis apparemment sans effort.

— Je ne sais rien de l’infrastructure physique de Webmind, dit-elle.

— Voyons, mademoiselle Decter, dit LaFontaine. Nous sommes ici pour aider Webmind. Alors, je vous en prie, dites-nous sur quels serveurs spécifiques se trouve Webmind, ou son code source.

— Je ne sais pas.

— Mademoiselle Decter, il vaudrait mieux pour vous et pour lui que vous coopériez.

— Écoutez, je suis une…

Elle s’arrêta aussitôt, mais LaFontaine avait correctement deviné ce qu’elle s’était apprêtée à dire.

— Une citoyenne américaine ? Oui, c’est exact. Ce qui signifie que vous n’êtes pas canadienne. Ici, vos droits sont plutôt limités, mademoiselle Decter. Et je crois comprendre que votre mère essaie d’obtenir un permis de travail. Je sais aussi que le permis de votre père est provisoire et révocable à tout moment. Nous vous serions vraiment reconnaissants si vous collaboriez pleinement avec nous.

— Ça, c’était une grosse erreur, dit Caitlin d’une voix très calme. De menacer mes parents. De les menacer dans leur travail.

— Le Dr LaFontaine essaie seulement de mettre en évidence la gravité de la situation, intervint Park.

— Ah, c’est donc « docteur » LaFontaine ? dit Caitlin. Webmind avait dû être intrigué, lui aussi, car il lui transmit aussitôt : Trouvé : c’est un informaticien, employé par le CSIS spécifiquement pour traiter des affaires de terrorisme basées sur le Web.

Terrorisme ! songea Caitlin, profondément vexée. Mais elle se contenta de dire :

— Est-ce que c’est même légal que vous me parliez en ce moment ? Je n’ai que seize ans. Vous ne devriez pas plutôt parler à mes parents ?

— C’est parfaitement légal, et par ailleurs, comme vous l’avez vu, votre proviseur sait que nous sommes ici.

Caitlin les regarda tous les deux.

— Je ne cherche pas à faire des difficultés, mais je ne peux vraiment pas répondre à vos questions.

— Vous ne pouvez pas ? Ou vous ne voulez pas ? demanda LaFontaine.