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De son côté, Shoshana regrettait que ce dernier film ait souffert d’un budget manifestement ridicule : des mutants, affreusement défigurés par une explosion nucléaire, attaquaient la cité des singes à bord d’un car de ramassage scolaire ! Mais Max avait dit : « Non, non, au contraire, c’est génial ! Un car de ramassage scolaire ! C’est une allégorie sur l’intégration forcée. »

Shoshana aimait tendrement Max, mais là, franchement, elle avait trouvé qu’elle poussait un peu… Cela étant, pour sa part, elle avait été sidérée de voir dans le film un orang-outan du nom de Virgile, qui était le plus intelligent de tous les singes. Elle avait toujours cru que la grande fierté du Feehan avait été ainsi baptisée en l’honneur du poète latin, mais finalement, le copain de Chobo tirait apparemment son nom du personnage du film.

Dans Bataille, Virgile était joué par Paul Williams. Shoshana était allée jeter un coup d’œil dans IMDb, car elle était curieuse de voir à quoi ressemblaient ces acteurs sans leur maquillage. C’était triste à dire, mais dans le cas de Williams, la différence était à peine perceptible… Mais elle avait été étonnée d’apprendre qu’il composait également des chansons, et qu’il était l’auteur de We’ve Only Just Begun, de Just an Old-Fashioned Song et de bien d’autres encore.

Sur le chemin de l’Institut, Shoshana se demanda si Virgile – le vrai Virgile – avait parlé avec Chobo aujourd’hui. Celui-ci se levait généralement à l’aube, et comme il y avait trois heures de décalage avec Miami, Virgile devait être réveillé, lui aussi. Ah, bon sang, elle espérait bien… Elle espérait que quelqu’un pouvait encore communiquer avec Chobo.

Le 7-à-23 était un peu plus loin. Elle s’y arrêta et entra s’acheter un café. Le jeune boutonneux était de nouveau derrière le comptoir. Il avait appris sa leçon et ne la traita pas de « femme au singe », mais il n’avait pas encore trop compris les limites.

— Qu’est-ce qui est arrivé à votre queue-de-cheval ? demanda-t-il.

Sho avait les cheveux qui tombaient sur ses épaules. Elle n’eut pas envie d’expliquer.

— J’ai pensé qu’il était temps de changer un peu, dit-elle.

— Ça vous va bien, répondit-il.

Bon, ça pouvait encore aller. « C’est foutrement sexy », avait déclaré Maxine.

— Merci, dit-elle.

Dans Bataille, César demandait à Virgile s’ils pouvaient choisir leur avenir, ou s’ils étaient condamnés à une fin violente. Virgile répondait que la violence n’était qu’un avenir possible parmi d’autres. Ils pouvaient décider de changer de voie, choisir un autre destin. Shoshana décida d’acheter quelques Hershey’s Kisses, la friandise préférée de Chobo, au cas où le singe serait sage aujourd’hui.

Elle paya et reprit la route par cette chaude matinée. Quand elle arriva à l’Institut, elle ne vit pas la Lincoln noire du Dr Marcuse : il était parti assister à une conférence à Los Angeles en compagnie de Werner.

Elle entra dans le bungalow et vérifia où était Chobo sur les écrans du circuit fermé. Il se promenait à quatre pattes juste devant le petit pavillon. Shoshana pensa un instant attendre que quelqu’un d’autre arrive, mais finit par décider de prendre le risque. Elle mit deux Kisses dans un sac en plastique et ressortit, en prenant quand même une précaution : elle chaussa des lunettes de soleil à verres réfléchissants, qui lui permettaient de regarder Chobo sans qu’il s’en rende compte.

En traversant la grande pelouse, elle aperçut un vol d’oiseaux se dirigeant vers le sud. Il ne faisait jamais vraiment froid, ici, mais il n’y avait aucun doute que l’hiver approchait.

Chobo avait dû l’apercevoir avant même qu’elle n’ait franchi la passerelle. Il ne fit pas mine de la charger – mais il ne se précipita pas non plus de l’autre côté de l’île.

Elle s’approcha en faisant le signe Hello, hello.

Chobo resta assis sur les talons. Shoshana attendait, très littéralement, un signe…

Enfin, elle en obtint un. Ce n’était pas grand-chose, un simple geste de la main, un seul mot, le mot qu’elle venait à l’instant de lui communiquer. Mais au bout d’un moment, Chobo se releva et partit en courant. En soupirant, Shoshana monta jusqu’au pavillon pour vérifier que le dispositif de webcam fonctionnait bien, et…

Et la toile posée sur le chevalet n’était plus vierge.

Elle s’en approcha, mais fut incapable de voir ce que c’était censé représenter. D’abord, Chobo avait placé la toile en orientation paysage, mais ce n’était pas un paysage qui y figurait. Si ç’avait été le cas, il aurait forcément peint la partie supérieure en bleu ou en noir pour représenter le ciel.

Chobo n’était pas le premier singe à peindre des tableaux. Ce qui était remarquable, c’était qu’il faisait de l’art figuratif, et non de l’art abstrait avec des taches de couleur.

Ce tableau était le plus coloré que Chobo ait jamais réalisé jusqu’ici, et également le plus complexe, bien qu’elle fût vraiment incapable de voir ce que c’était censé être.

Il y avait des taches de couleur dispersées sur la toile, de forme vaguement circulaire, et des faisceaux de droites reliant ces cercles. Au premier plan s’élevait une épaisse ligne orange reliée à un grand cercle, et l’on pouvait distinguer dans l’arrière-plan de nombreux autres traits plus fins de différentes couleurs.

Shoshana sentit son cœur battre plus fort quand elle entendit un bruit métallique : c’était Chobo qui soulevait le loquet de la porte du pavillon. Elle se retourna en s’efforçant de ne pas laisser paraître son appréhension : il lui bloquait la sortie.

Elle désigna la toile : Quoi ça ?

Peinture, fit Chobo.

Oui, oui. Mais de quoi ?

Le singe lui sourit de toutes ses dents, mais sans rien dire.

Tu as parlé à Virgile ? demanda-t-elle.

Virgile bon singe ! répondit aussitôt Chobo.

Oui, c’est un bon singe. Tu lui as parlé ?

Elle regarda de nouveau le tableau : des lignes colorées reliées à des cercles. Qu’est-ce que ça pouvait bien dire ?

Chobo bon singe aussi ! dit Chobo en tendant la main avec la paume retournée et ses doigts gris foncé légèrement repliés.

Oui, c’est vrai, dit Shoshana en fronçant les sourcils d’un air perplexe.

Puis elle ouvrit sa pochette et lui donna les chocolats.

— Tu as fait quoi ? dit la mère de Caitlin.

Elles étaient rentrées à la maison et se trouvaient dans le salon.

— J’ai, heu… J’ai demandé à Webmind de me trouver des détails embarrassants sur les agents du CSIS, et je leur en ai parlé.

— Des détails de nature publique ou privée ?

— Eh bien, je…

— Il les a dénichées dans leurs e-mails ? Caitlin n’osait pas regarder sa mère en face.

— Oui…

Sa mère poussa un soupir.

— Tu sais ce que ça signifie ? Tu leur a révélé que Webmind est capable de craquer les mots de passe.

— Ah, merde… Heu, je veux dire…

— Non, « merde » est exactement le mot qui convient. Nous y sommes jusqu’au cou. Jusqu’ici, ils soupçonnaient seulement qu’il pouvait y avoir des implications sécuritaires, mais maintenant, ils en ont la certitude.