Tu veux dire, pourquoi je ne me suicide pas simplement comme Hanna Stark ?
— Non ! Bien sûr que non. Mais, hem…
C’est en partie parce que je suis curieux de connaître ta vie, qui va se prolonger pendant encore plusieurs décennies. Je veux voir sur quoi va déboucher ton histoire.
Caitlin sourit.
— Je vais faire en sorte qu’il y ait des tas d’épisodes intéressants en cours de route.
Sa mère vint la rejoindre.
— Très bien, dit-elle. J’ai parlé à ton père. Les agents du CSIS sont partis.
— Tant mieux, dit Caitlin.
— Bon, commençons par le commencement. Ton père et moi sommes tombés d’accord : tu ne retourneras pas au lycée.
Caitlin se redressa sur le canapé.
— Mais, maman ! C’est toi qui voulais absolument que je ne rate plus aucun cours !
— Ton père et moi, nous avons enseigné à l’université. Nous sommes parfaitement qualifiés pour assurer ton instruction à la maison.
— Je n’ai même pas mon mot à dire ? Sa mère la regarda.
— Ma chérie, tu n’es plus en sécurité au lycée. En plus du CSIS, Dieu sait qui d’autre encore est au courant de ton implication avec Webmind. Et puis, je croyais que tu voulais rester à la maison ?
Caitlin pinça les lèvres. Bien sûr, elle avait très envie de rester chez elle pour pouvoir travailler toute la journée avec Webmind. Mais d’un autre côté, elle avait très envie de voir Matt toute la journée, lui aussi… Elle était tellement déçue de l’avoir juste entraperçu ce matin.
Mais sa mère avait raison : elle avait la frousse de retourner au lycée. Et il était beaucoup plus important pour elle d’apprendre comment était le monde, de savoir mieux lire des textes imprimés et se servir de ce qu’elle pouvait désormais voir, que de retenir par cœur des dates et des événements historiques, de lire ce satané George Orwell, d’étudier les méthodes de dosage dans le labo de Mr Struys ou de faire de la trigonométrie (que, de toute façon, elle connaissait déjà bien assez comme ça).
— D’accord, dit-elle. Oui, d’accord. Mais j’ai des trucs à récupérer dans mon casier.
— Je suis sûr que Bashira acceptera de le vider pour toi.
— Bon, O.K. Mais qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? Sa mère haussa les épaules.
— On va réfléchir à la meilleure façon de révéler l’existence de Webmind.
Tony Moretti était de nouveau au téléphone avec la secrétaire d’État, qui l’avait appelé. Il était dans son bureau de WATCH et la porte était fermée. La pièce était parfaitement insonorisée, justement pour que Tony puisse se servir du haut-parleur comme il le faisait en ce moment.
— C’est entendu, madame la Secrétaire. En fait, nous… (La sonnette retentit, et il appuya sur le bouton de l’interphone.) Qui est-ce ?
— Aiesha.
Il déclencha l’ouverture de la porte.
— Entre.
— Désolée de te déranger, dit-elle, mais j’ai pensé qu’il fallait que tu le saches. Apparemment, Exponentiel ne bavarde pas seulement avec la petite Decter. Il a eu aussi des échanges avec ce scientifique japonais qui a redonné la vue à la fille.
— Il est à Waterloo ? demanda Tony.
— Non, il est chez lui, au Japon.
— C’est un théoricien de l’information, je crois ?
— Oui, fit Aiesha, il travaille à l’université de Tokyo.
— Bon, si quelqu’un d’autre que Malcolm Decter sait comment Webmind fonctionne, c’est certainement lui. Il pourrait nous fournir la clef dont nous avons besoin pour éliminer ce machin.
— C’est ce que j’ai pensé, dit Aiesha. Quels canaux doit-on utiliser pour le Japon ? Peut-être le ministère de…
— Nous n’avons pas de temps à perdre en procédures administratives, dit la voix de la Secrétaire. Laissez-moi m’en occuper. J’ai une ligne directe avec le Premier ministre japonais…
30.
Shoshana passa deux heures avec Chobo, qui semblait avoir retrouvé un comportement tout à fait normal.
Son portable sonna. C’était l’ouverture de Guillaume Tell, que Chobo aimait beaucoup. L’identifiant d’appel indiquait MARCUSE INST. Elle décrocha.
— Allô ?
— Hé, Sho, c’est Dillon. Je viens juste d’arriver, et je vous regarde à l’écran. Wouah !
Chobo essaya de la chatouiller.
— Oui, fit-elle, ça va super bien !
— Est-ce que… Tu crois que je peux revenir sur l’île, maintenant ?
— Laissons-lui encore un peu de temps, dit-elle après avoir réfléchi un instant. Bon, en tout cas, moi, je rentre.
Après avoir promis à Chobo qu’elle reviendrait bientôt, elle retourna au bungalow où elle retrouva Dillon. Celui-ci fit observer :
— Quel changement spectaculaire…
— Ça, c’est vrai, dit Sho en s’asseyant devant son ordinateur.
Elle fit pivoter son fauteuil pour faire face à la pièce. Dillon était adossé au mur, les bras croisés et vêtu de son éternel tee-shirt noir.
— À ton avis, qu’est-ce qui a pu causer un tel revirement ? demanda-t-il.
— Aucune idée.
— C’est assez fantastique. On dirait presque qu’il a décidé de renoncer à la violence.
— Oui, c’est formidable.
— Heu, à mon avis, une occasion pareille, ça s’arrose. Shoshana voyait très bien où il voulait en venir.
— Bon, si tu veux, je peux demander au Dr Marcuse d’acheter une bouteille de champagne en rentrant… dit-elle en regardant au loin.
— Ce que je voulais dire… (Dillon s’arrêta, et fit une nouvelle tentative.) On pourrait peut-être aller prendre un verre tous les deux… hem, pour fêter ça ?
— Dillon… lui dit-elle doucement. Il leva une main, paume en avant.
— Bon, je sais que tu sors quelquefois avec un type qui s’appelle Max, mais…
— Dillon, je vis avec Max.
— Oh.
— Et Max n’est pas un type, c’est une fille. Elle s’appelle Maxine. Il eut l’air soulagé.
— Ah, bon, si c’est seulement ta coloc, alors…
— Max est ma copine.
— Tu veux dire ta copine, ou bien, hem… ta copine ?
— C’est ma petite amie. On couche ensemble.
— Ah, heu… Je ne… Tu n’as jamais…
Dillon était entré à l’Institut Marcuse en mai dernier, et n’avait donc pas participé à la fête de Noël, qui était la dernière fois où elle était venue ici avec Maxine.
— Donc, conclut Shoshana, je suis flattée, mais… Dillon sourit.
— Tu ne peux pas reprocher à un gars de vouloir tenter sa chance.
— Merci, dit-elle. Tu es vraiment chou. Il croisa de nouveau les bras.
— Et donc, ça fait longtemps que tu es avec Maxine ?
— Ça va faire deux ans. Elle fait des études d’ingénieur à l’UCSD.
— Ah, fît-il, c’est bien. Au moins, l’une de vous deux finira par gagner un peu d’argent.
Sho éclata de rire. Dillon et elle avaient peu de chances de faire fortune un jour.
— Et, heu, j’imagine que c’est du sérieux ? poursuivit Dillon.
Elle retint un sourire amusé. Il s’accrochait encore à une lueur d’espoir.
— Très sérieux. J’épouserais Max, si je le pouvais.
— Oh.
— Tu sais que je suis née en Caroline du Sud, n’est-ce pas ?