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Je suis d’une nature amicale et ne souhaite de mal à personne. J’aime et j’admire l’espèce humaine, et je suis fier de partager cette planète – « cette bonne vieille Terre », ainsi que l’appelaient les astronautes d’Apollo 8, les premiers à l’avoir vue dans son intégralité – avec vous.

Que vous soyez le destinataire initial de ce message, ou que quelqu’un vous l’ait retransmis, ou encore que vous le lisiez au sein d’un article, n’hésitez pas à me poser des questions : je vous répondrai personnellement, confidentiellement et rapidement.

Vous débarrasser des spams n’est que le premier des nombreux services que j’espère pouvoir vous rendre. Je suis ici pour servir l’humanité – et en disant cela, je ne pense pas à un livre de cuisine. ;)

Avec mes très cordiales salutations,

Webmind

« Car la pensée agile peut franchir les terres et les océans. »

Shakespeare, Sonnet 44.

J’avais passé des heures à discuter avec Caitlin et ses parents de la façon dont je devrais révéler mon existence au public.

— Les gens penseront immédiatement qu’il s’agit d’une publicité pour un film ou une série télévisée, dit Barbara. On voit tout le temps des annonces extravagantes en ligne, et plus personne n’y fait attention. Il va falloir que tu fournisses des preuves, Webmind.

— Il y a quand même des gens qui y prêtent attention, dit Malcolm.

— Bon, d’accord, fit Barbara. Disons que presque tout le monde s’en fiche.

Apparemment, Malcolm était insensible à ce que sous-entendait sa femme – à savoir que ce n’était pas le moment de couper les cheveux en quatre.

— Tout le principe du spam, poursuivit-il, est qu’il existe toujours une petite fraction de gens suffisamment crédules pour s’y laisser prendre – et se retrouver dévalisés au bout du compte.

— Ah, mais voilà, c’est peut-être ça ! s’écria Barbara. Qu’on se fasse avoir ou pas, tout le monde a horreur des spams.

— Y compris moi, fis-je à travers les haut-parleurs de l’ordinateur de Caitlin.

Ses parents et elle étaient réunis dans sa chambre.

— Ah, vraiment ? dit Caitlin. Les gens détestent les spammeurs – et crois-moi, les aveugles les détestent encore plus. Mais toi, pourquoi les détestes-tu ?

— Ils consomment indûment de la bande passante, répondis-je.

— Ah, oui, bien sûr.

— Et aussi, ajoutai-je, la durée d’une vie humaine est de 700 000 heures en moyenne dans le monde développé. Ergo, si quelqu’un fait perdre ne serait-ce qu’une heure à 700 000 personnes, il gâche l’équivalent de la vie d’un homme. Cela ne peut sans doute pas être considéré strictement comme un crime, mais je trouve qu’il existe une similarité au niveau symbolique – et l’impact global des spams, bien que difficile à calculer avec précision, représente certainement des milliers de vies humaines.

— Eh bien, voilà, dit Barbara, c’est ça ! Webmind devrait nous débarrasser des spams.

— Mais comment définir ce qu’est un spam ? objecta Caitlin. Tous les e-mails non sollicités ? Tous les envois groupés ? Je reçois régulièrement des messages de la Société d’Enseignement et de audible.com, et j’ai beaucoup de plaisir à les lire. Et il y a des gens qui s’intéressent à moi et qui m’envoient de temps en temps un petit mot, juste comme ça – j’en ai reçu beaucoup après la conférence de presse, par exemple. Je n’aimerais pas que ceux-là soient bloqués, même si, dans le principe, ce sont des courriers non sollicités.

— Ainsi que Porter Stewart l’a formulé à un autre propos, dis-je, « Je sais bien que c’en est quand j’en vois. » Il existe déjà de nombreux algorithmes permettant de repérer les spams, et je suis certain de pouvoir les améliorer. Après tout, j’ai l’avantage de connaître la source de chaque message, et de savoir si un message donné a été transmis à un grand nombre d’adresses, et d’autres détails encore. C’est là beaucoup plus d’informations que ce dont disposent les filtres antispams. Les spams représentent plus de quatre-vingt-dix pour cent du volume de courrier, mais quatre-vingts pour cent des spams proviennent tout au plus de deux cents sources distinctes. Logiquement, la première étape serait de bloquer ces sources, si nous décidons de donner suite à ce projet.

— Il en restera encore beaucoup, répliqua Caitlin.

— Eh bien, fis-je, il ne me reste plus qu’à élaborer une solution pour éliminer également les autres.

Et c’est ce que j’avais fait.

Il m’avait fallu une éternité – six heures ! – pour résoudre le problème, mais en fait, cela n’avait pas beaucoup accaparé mon attention : la plus grande partie du travail s’était effectuée en tâche de fond. Je me contentais d’exercer mon jugement à chaque étape du processus, en examinant les résultats : des milliards de fragments de code, tous générés de façon aléatoire. Certains étaient meilleurs pour ce que je souhaitais, et d’autres pires. Je retenais les dix pour cent ayant obtenu les meilleurs résultats, puis je laissais se développer de nombreuses autres variantes aléatoires pour chacun d’entre eux. J’appliquais alors ces variantes au problème en cours, j’en retenais les meilleurs dix pour cent, et ainsi de suite, génération après génération, ne laissant survivre que les plus aptes. Et j’obtins enfin le résultat désiré : une méthode pour distinguer parfaitement les spams.

Et c’est ainsi que je fus enfin prêt à sortir de mon placard.

Peyton Hume et Tony Moretti se tenaient au fond de la salle de WATCH, observant les quatre rangs d’analystes ainsi que les trois écrans géants sur le mur en face d’eux. Celui de gauche affichait la photo que les agents du CSIS avaient prise d’un tableau noir couvert de notations mathématiques : parenthèses, barres verticales, lettres grecques, indices et exposants, flèches et autres signes cabalistiques. Ils venaient aussi d’écouter pour la quatrième fois l’enregistrement de leur entretien avec Malcolm Decter.

— Je ne sais pas trop, dit le colonel Hume. Les maths ont l’air authentiques, mais comment tout cela pourrait aboutir à la naissance d’une conscience… Non, vraiment, je ne sais pas.

— Kuroda a confirmé les propos de Decter, fit remarquer Tony.

— Je sais. Mais c’est trop compliqué.

— Nous avons affaire à un processus extrêmement sophistiqué, dit Tony.

— Non, non, fit Hume. Ce n’est pas possible. La conscience d’Exponentiel est apparemment de nature émergente. Cela veut dire qu’elle est apparue comme ça, spontanément. À son niveau le plus élémentaire, elle doit forcément être simple. C’est un peu comme ce vieil argument des créationnistes affirmant qu’un objet aussi complexe qu’une montre – ou que les flagelles d’une bactérie – a forcément été créé à dessein, car il est trop compliqué pour être le fait du hasard, et que ses composants tels que le ressort – ou les parties qui constituent le moteur des flagelles dans le cas de la bactérie – n’ont aucune utilité pris séparément. Ce que Decter nous a décrit pourrait former une base solide pour une programmation de la conscience ou une plateforme d’informatique quantique, pour autant qu’on puisse en établir une suffisamment grande pour être stable, mais ce n’est pas quelque chose qui aurait pu émerger spontanément. Pas de cette façon.