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— Une fausse piste, conclut Tony en haussant les sourcils. Il a voulu nous faire perdre notre temps.

— C’est ce que je pense, dit Hume. Et Kuroda s’est prêté au jeu.

— Vous croyez qu’il connaît la véritable nature d’Exponentiel ?

— Il s’agit de Malcolm Decter, répondit Hume. Bien sûr qu’il la connaît.

Tony secoua la tête d’un air incrédule.

— L’élimination complète de tous les spams a dû nécessiter une maîtrise de l’Internet à un niveau de détail qui dépasse largement les capacités de notre gouvernement, sans même parler des autres.

— Exactement, dit Hume. C’est ce que je dis depuis le début. Exponentiel est déjà beaucoup plus sophistiqué que nous, et ses pouvoirs ne vont cesser de grandir. La fenêtre d’opportunité va se refermer rapidement. Si nous ne l’éliminons pas très bientôt, nous ne pourrons plus jamais le faire.

34.

Avant d’aller se coucher le mercredi soir, Caitlin avait paramétré une alerte Google sur toute information contenant le mot « Webmind », en sélectionnant « selon l’actualité » pour recevoir un mail dès l’indexation de l’info. Quand elle réussit à se tirer du lit à huit heures le lendemain, elle trouva 1 143 e-mails dans sa boîte. Elle ne pouvait pas les lire tous, ni même les survoler.

Et c’est alors qu’elle fut frappée par un constat : il lui était impossible de lire toutes les infos sur un sujet donné, alors que Webmind pouvait le faire sans effort tout en se livrant à d’innombrables autres tâches. Il pouvait accorder à des centaines, des milliers, voire des millions d’individus le même niveau d’attention qu’à elle, en jonglant avec autant de relations personnelles que nécessaire, sans même être ralenti. Il pouvait donner à chacun l’impression d’être spécial, tout comme elle. Caitlin n’était pas vraiment sûre que ça lui plaise…

Au bout d’un moment, elle fit un clic droit – ah, qu’est-ce que c’était pratique ! – sur quatre liens au hasard, et les ouvrit sous Firefox dans quatre onglets différents. Elle commença à lire les articles. Elle avait encore du mal à parcourir un texte des yeux, mais chaque occurrence du mot « Webmind » étant surlignée, elle pouvait aller directement aux passages intéressants.

Le premier venait du Detroit Free Press :

… censé provenir d’une entité qui se présente sous le nom de « Webmind ». Mais les experts mettent en garde contre une telle affirmation.

Rudy Markov, professeur d’informatique à l’université du Michigan, a déclaré : « Le langage utilisé dans le message est terriblement proche de l’anglais courant. On s’attendrait à un style plus recherché et précis de la part d’une machine. »

Et Gunnar Halvorsen, dont le blog « IA, hou lala ! » est depuis longtemps le favori de ceux qui s’intéressent à l’intelligence artificielle, dit que les similitudes entre la structure du Web et celle du cerveau humain ont été fortement exagérées.

« On pourrait tout aussi raisonnablement s’attendre à ce que le réseau routier, qui contient plein de choses qu’on appelle des artères, se mette à pomper du sang », a-t-il écrit dans un billet aujourd’hui.

Mais Paul Fayter, un spécialiste de l’histoire des sciences à l’université York de Toronto, a déclaré : « Teilhard de Chardin l’avait prédit il y a plusieurs dizaines d’années, quand il a décrit sa noosphère. Je ne suis pas du tout étonné de la voir enfin se concrétiser. »

Caitlin cliqua sur l’onglet suivant. Celui-ci contenait un article du New Scientist en ligne.

… mais il s’est avéré difficile de remonter à la source des messages de Webmind. Les logiciels standard tels que Traceroute n’ont rien donné.

« Il ne fait aucun doute que des robots de réseau sont impliqués, a déclaré Joging der Singh de BT. C’est la méthode classique pour masquer la véritable origine d’un message. »

Et la disparition des spams ne l’impressionne pas particulièrement. « Cela fait longtemps qu’on sait que la grande majorité des spams n’est générée que par quelque deux cents spammeurs tout au plus, dit-il.

Ils sont sans aucun doute nombreux à se connaître, et peuvent avoir décidé de suspendre leurs envois pendant une journée afin de mieux faire ressortir un certain message. Je dois cependant avouer que leur motivation me laisse perplexe : en l’occurrence, il n’y a eu pour l’instant aucune demande d’argent à qui que ce soit. »

Cet article fit sourire Caitlin. Elle savait que le principe de Traceroute était de modifier la valeur de la durée de rétention contenue dans l’en-tête des paquets de données, ces petits blocs d’information circulant à travers l’Internet. Mais Kuroda et elle pensaient que la conscience de Webmind résidait dans la nuée de paquets mutants dont les compteurs de durée ne pouvaient être manipulés à l’aide d’instructions ordinaires.

Pourtant, l’idée que le nettoyage des spams ait pu être le fait de spammeurs lui aurait paru complètement absurde même si elle n’avait pas su la vérité. Les gens étaient prêts à croire à des millions d’idioties sur la base de preuves bien plus fragiles que ce que Webmind avait pu apporter à l’appui de son existence. Elle n’arrivait pas à comprendre leur scepticisme actuel.

Elle se souvint d’une fois où elle était allée avec son père dans une librairie, à Austin. Il l’avait surprise lorsqu’il avait soudain dit à voix haute : « Madame, il n’en existe pas d’autre sorte. »

Caitlin lui avait demandé de lui expliquer ce qui se passait. « C’était une dame qui regardait un livre intitulé L’Astrologie pour les nuls », lui avait-il répondu. Les gens pouvaient croire à ce genre de choses, mais pas à Webmind ?

Caitlin et sa mère passèrent la matinée à répondre aux questions de Webmind. Il recevait un véritable déluge d’e-mails, et voulait des conseils sur les réponses à donner à bon nombre d’entre eux.

Mais vers midi, elles eurent absolument besoin de faire une pause – elles avaient toutes les deux sauté le petit déjeuner, et elles mouraient de faim. Tandis que sa mère préparait des sandwichs, Caitlin évoqua un sujet qui lui trottait dans la tête depuis quelques jours.

— Alors, maman, heu… j’ai dit à Bashira que tu faisais partie de l’Église unitarienne.

Tout est fascinant, quand on le voit pour la première fois… Caitlin regardait sa mère étaler une matière jaune sur les tranches de pain.

— Je plaide coupable, répondit sa mère.

Caitlin avait bien remarqué, du temps où ils habitaient Austin, que sa mère disparaissait plusieurs fois par an pour participer à des « fraternités » – parfois un soir de semaine, et parfois un week-end entier –, mais c’était pratiquement tout ce qu’elle en savait.

— Mais, hem, dis-moi, en quoi ça consiste, exactement ? Bashira m’a posé la question, mais je n’ai pas su quoi lui répondre.

— En résumé ? Les unitariens sont des chrétiens qui ne croient pas que Jésus-Christ ait été de nature divine.

Caitlin fut très surprise.

— Alors, comme ça, tu es chrétienne ?

Sa mère posait maintenant des tranches de viande sur le pain.

— Plus ou moins. Mais ça s’appelle l’unitarisme par opposition au trinitarisme – pour nous, pas de papa ni de fiston, et pas non plus d’esprit déguisé en colombe.

— Mais les chrétiens ne sont-ils pas censés porter une croix ?