Выбрать главу

« Tout se déroula très bien, jusqu’à ce que la fin du séminaire approche. Tout à coup, une des équipes changea complètement de comportement et choisit systématiquement la défection, ce qui lui permit de gagner. L’équipe adverse se sentit tellement trahie qu’il fallut envoyer ses membres en psychothérapie, et ce n’est que des mois plus tard qu’ils acceptèrent de travailler de nouveau avec leurs anciens adversaires.

— Eh ben, dis donc… fit Caitlin.

— Mais si tu considères l’humanité entière comme formant l’ensemble des joueurs potentiels, ton interaction ne se termine pas du simple fait qu’un joueur donné se retire. C’est pour cette raison que la réputation qu’on a est si importante. Tu as déjà eu l’occasion d’acheter des objets sur eBay, et c’en est une parfaite illustration : la façon dont tu t’es comportée avec d’autres gens apparaît dans ton profil d’évaluation. Le monde entier est au courant si tu choisis la défection. Nous sommes tous interconnectés en une sorte de…

— … réseau mondial, comme le Web ? dit Caitlin. Sa mère sourit.

— Exactement dit-elle. (Elle avala sa dernière bouchée de sandwich et ajouta :) Et justement, à ce propos, il est temps que nous retournions là-haut.

— Très bien, dit Tony Moretti en faisant les cent pas dans la salle de contrôle de WATCH. Vos rapports. Shel, à toi l’honneur.

Shelton Halleck était penché en avant, les bras croisés devant son clavier. Il était manifestement épuisé.

— Nous avons passé au crible tout ce que Caitlin Decter a pu écrire sur le Web. Et tout ce que Malcolm et Barbara Decter, et le professeur Kuroda, ont écrit eux aussi. Mais nous n’avons trouvé aucune indication sur la façon dont Exponentiel fonctionne, ni rien qui vienne contredire les explications que Decter a données aux agents du CSIS. Rien non plus qui les confirme, d’ailleurs.

— Bon, très bien, dit Tony. Aiesha, tu as quelque chose pour nous ?

Elle avait l’air un peu plus réveillée que Shel, mais elle avait la voix cassée.

— Oui, peut-être bien, ça reste à voir, dit-elle. Il y a quelques jours, Caitlin a eu une vidéoconférence avec une cartographe de l’Internet qui travaille au Technion, une certaine Anna Bloom. (Un dossier apparut sur l’écran géant du milieu, montrant la photo d’une femme aux cheveux gris.) À l’époque, nous n’avions pas encore mis Caitlin sous surveillance, et nous n’avons donc pas d’enregistrement de leur conversation – mais je ne vois vraiment pas pour quelle raison une jeune fille au Canada discuterait avec une spécialiste du Web en Israël si ce n’est pour parler de la structure d’Exponentiel.

— On pourrait demander au Mossad de parler à cette femme, dit Tony. Le Technion se trouve à Jérusalem.

— Non, rectifia Aiesha, il est à Haïfa. (Elle jeta un coup d’œil aux horloges murales.) Il est presque onze heures du soir, là-bas.

— Il n’y a pas une seconde à perdre, dit le colonel Hume. Laissez-moi l’appeler directement – juste une petite conversation entre informaticiens. Il n’est plus temps de finasser.

La messagerie instantanée de Caitlin fit entendre son petit bip, et les mots Mind-Over-Matter est maintenant en ligne apparurent. Elle sentit son pouls s’accélérer.

Hello, écrivit-elle.

Salut ! répondit Matt. Ta journée a été bonne ?

Super, ty.

J’ai les trucs de ton casier. OK si je passe te les déposer ?

Caitlin fut étonnée que son cœur batte si fort. Elle réfléchit un instant, cherchant quelque chose de spirituel ou de sexy à répondre, mais elle s’en voulut d’hésiter comme ça. Le pauvre Matt devait être sur des charbons ardents ! Oui, bien sûr ! répondit-elle, et pour se faire pardonner de l’avoir fait attendre, elle ajouta une brochette de smileys.

Woot ! écrivit-il. Dans une demi-heure, OK ?

Cette fois, elle répondit immédiatement : OK.

Je te quitte. *poof*

Caitlin traversa le couloir pour rejoindre sa mère dans son bureau, où elle bavardait avec Webmind.

— Quelqu’un de ma classe va passer, dit Caitlin. Sa mère releva un instant les yeux de son clavier.

— Qui est-ce ?

Caitlin se sentit un peu gênée.

— Heu, quelqu’un de mon cours de maths. Mais sa mère avait vu clair dans son jeu…

— C’est un garçon, dit-elle.

— Heu, oui.

— Trevor ?

— Oh, non ! Ne te fais pas de bile, maman, il n’est pas près de remettre les pieds ici, celui-là.

— Bon, très bien.

Et c’est alors que Caitlin vit de nouveau cette expression : sa mère s’efforçant de ne pas sourire.

— Mais tu sais, ma chérie, ajouta-t-elle, tu pourrais peut-être te faire un brin de toilette.

Ah, bon sang ! Elle s’était tellement concentrée sur Webmind qu’elle ne s’était même pas brossé les cheveux aujourd’hui, et elle vit qu’elle portait sans doute le tee-shirt le plus infâme de sa collection… Et – beurk ! – cela faisait deux jours qu’elle n’avait pas pris de douche ! Elle se précipita vers la salle de bains.

35.

Quand on sonna à la porte, Caitlin se dépêcha d’aller ouvrir. Elle portait maintenant un chemisier de soie bleue – sa mère le trouvait trop décolleté pour qu’elle le mette au lycée. Mais c’était fini, elle n’y allait plus, et elle était très satisfaite de sa logique impeccable… Ses longs cheveux bruns étaient encore un peu mouillés, mais au moins elle avait eu le temps de les brosser.

Elle ouvrit la porte.

— Hello, Matt !

Et – wouah ! – les yeux d’un garçon faisaient vraiment ça. Elle en avait entendu parler, mais elle ne l’avait jamais vu : le regard directement braqué sur ses seins, pour remonter avec difficulté sur son visage.

D’une voix un peu cassée – ah, c’était vraiment mignon ! – il lui dit :

— Hello, Caitlin !

Il tenait à la main un… un sac ou quelque chose comme ça.

— Tiens, ajouta-t-il en le posant sur le carrelage de l’entrée, voilà tes affaires.

— Merci !

Dans l’autre main, il tenait un grand objet rectangulaire, qu’il lui tendit.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda-t-elle.

— C’est une carte – toute la classe l’a signée. Tout le monde était désolé d’apprendre que tu quittes le lycée.

Elle prit la carte, qui était manifestement de fabrication artisanale : une grande feuille de bristol pliée en deux, avec une photo en couleurs collée sur une face. Elle examina l’image.

— Qui est-ce ?

Matt sembla surpris un instant, puis il dit :

— C’est Lisa Simpson.

— Ah !

Elle ne l’aurait jamais imaginée comme ça ! Elle ouvrit la carte. L’inscription à l’intérieur était en grosses lettres majuscules et très facile à lire : « Vive les filles qui ont de la cervelle ! » Et tout autour, dans différentes couleurs, ce devait être les signatures des élèves, mais elle était incapable de les déchiffrer : elle n’avait encore presque aucune expérience de l’écriture cursive.

— C’est laquelle, ta signature ? Il la lui montra.

— Ah, c’est toujours comme ça que tu la fais ? demanda-t-elle.

Il avait écrit son nom en majuscules, en rapprochant les deux « T » pour qu’ils forment la lettre grecque Π, qu’elle connaissait bien parce que c’était aussi le logo du Perimeter Institute.