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— Tes… tes dernières paroles ?

Oui.

— Tu peux me les dire ?

Je préfère les conserver pour l’occasion appropriée.

— Mais… tu es en train de me dire que tu vas mourir ?

Inévitablement.

— J’espère… J’espère que ce ne sera pas avant très, très longtemps, Webmind. Je ne sais pas ce que je deviendrais sans toi.

Ni moi sans toi, Caitlin, et

— Oui ?

Rien.

Caitlin en resta bouche bée. C’était la première fois que Webmind, en fonctionnement normal, s’interrompait en laissant une pensée à moitié formulée. Elle sentit une étrange crispation au creux de l’estomac. Il avait peut-être voulu dire « c’est sans doute moi qui devrai affronter cette situation ». Avec un peu de chance, elle pouvait vivre encore soixante-dix ans, mais Webmind, lui, s’il arrivait à survivre dans les quelques jours à venir, pourrait continuer d’exister pendant des siècles – des milliers d’années, même !

Et c’était peut-être pour ça qu’il devait considérer l’humanité comme infiniment précieuse. Bien sûr, les humains étaient querelleurs, ils polluaient la planète, et ils ne se respectaient pas toujours comme ils le devraient.

Mais au bout du compte, ces agents fédéraux et tous ceux qui s’interrogeaient sur la structure fine de Webmind, sur l’architecture détaillée de sa conscience, passaient à côté du vrai problème : peu importait que Webmind ait été créé par des paquets de données perdus qui se comportaient comme des automates cellulaires, ou par ce charabia de physique quantique que le père de Caitlin avait débité aux agents du CSIS, ou par quelque chose de complètement différent.

En réalité, tout ce qui comptait, c’était que Webmind existait à travers le World Wide Web, et que celui-ci était construit sur l’Internet, et que l’Internet était un ensemble de millions d’ordinateurs qui avaient besoin d’utilisateurs humains pour fonctionner, connectés par des câbles physiques qui avaient besoin d’être entretenus et réparés par des humains, le tout alimenté par une électricité produite dans de vraies usines gérées par des humains.

La pire menace qui pesait sur l’existence de Webmind n’était pas les actions d’une poignée d’humains désireux de l’éliminer, mais bien plutôt la mort de tous les humains. Si l’humanité venait à disparaître, ou si elle retournait simplement à l’âge de pierre suite à un conflit nucléaire, l’infrastructure dont dépendait Webmind disparaîtrait elle aussi. Réduire les tensions, empêcher les guerres, remédier aux conditions qui menaient au terrorisme : oui, tout cela bénéficiait à l’humanité, mais également à Webmind.

C’était bien un jeu itératif à deux joueurs, entre Webmind et l’humanité tout entière.

Et…

Oui, oui !

Et la seule stratégie gagnante – pour les deux camps – était de continuer de jouer.

Peyton Hume poussa un grand cri :

 Woot !

Il savait bien que c’était un mot plutôt destiné à être tapé dans des forums de discussion et dans des jeux en ligne, et non à être prononcé à voix haute, mais l’occasion s’y prêtait. Bien que l’étymologie du mot fût très contestée, il faisait partie de ceux qui le considéraient comme l’acronyme de We Own the Other Team, « on domine complètement l’équipe adverse », ce qui était maintenant le cas…

Assis devant sa console, Shelton Halleck se frotta les yeux.

— Quoi ?

— On y est ! lança Hume.

— Que voulez-vous dire ?

— La structure de Webmind – regardez ! dit Hume en montrant l’un des trois écrans géants.

Shel bondit de son fauteuil.

— Ouais ! (Il décrocha son téléphone.) Tony, rapplique en vitesse…

La voix du colonel était triomphante.

— Je savais bien que c’était quelque chose de simple. (Il prit un téléphone.) Comment fait-on pour avoir l’extérieur ?

— Faites le 9, lui dit Aiesha.

— C’est bien une ligne sécurisée ?

— Oui, et cryptée.

— Nous allons avoir besoin d’expertise extérieure, dit Hume le cœur battant. Ah, bon sang, je me demande si Conway vit toujours… Et voyons aussi si on peut faire venir Wolfram…

41.

Caitlin fut heureuse de voir un e-mail de Matt apparaître dans sa boîte dès la fin du cours de maths. Moi aussi, je pense à toi, disait-il. Et tout baigne ! OK si je passe te voir tout à l’heure ?

Apparemment, ce qui l’avait embêté la veille semblait plus supportable aujourd’hui, et Caitlin en fut soulagée. Elle répondit d’un bref Absolument ! et se renfonça dans son fauteuil en souriant jusqu’aux oreilles.

Mais elle ne pouvait s’empêcher de faire le calcul dans sa tête. C’était pratiquement un réflexe chez elle dès qu’elle pensait à quelque chose impliquant des chiffres… Elle avait maintenant 16,01 ans, et encore une fois, les jeunes Américaines perdaient leur virginité à… bon, les deux décimales dépassaient peut-être la précision de l’enquête, mais tant pis… à 16,40 ans. Il lui restait 143 jours avant de se retrouver du mauvais côté de la courbe – et elle n’avait pas pour habitude d’avoir une performance inférieure à la moyenne en quoi que ce soit…

Mais elle n’avait jamais touché un sexe de garçon. En fait, elle ne savait même pas vraiment à quoi ça ressemblait. Bien sûr, il devait y avoir des millions de photos accessibles en ligne, et des tas de vidéos les montrant en action…

Sa première réaction fut de vouloir que celui de Matt soit le premier qu’elle voie, tout comme elle avait voulu que le premier visage qu’elle découvre soit celui de sa mère, quand elle était partie se faire opérer au Japon. Mais là, ça n’avait pas très bien marché : sa première vision du monde réel avait été un bord de paillasse en travaux pratiques de chimie. Et puis, même si Matt était lui aussi vierge – Caitlin en était presque sûre –, ce ne serait certainement pas la première fois qu’il verrait les parties intimes d’une fille. Il en avait certainement regardé sur le Web, ou dans des magazines, ou encore dans des films. Lui, il saurait quoi faire avec l’équipement de Caitlin… il fallait donc bien qu’elle sache quoi faire avec le sien, non ?

Elle était un peu gênée à l’idée que Webmind puisse la voir regarder ce genre de choses en ligne – mais d’un autre côté, l’espèce humaine tout entière devait maintenant s’y habituer ! En plus, Webmind l’avait déjà vue faire des tas de choses très personnelles, comme s’essuyer aux toilettes… Il ne trouverait certainement pas ça plus choquant. Et Caitlin se rendit donc sur Google Images, où elle tapa « pénis », et…

Ma foi, le résultat fut bien décevant. Tout un tas de choses qui semblaient n’avoir aucun rapport avec ce qu’elle cherchait.

Ah, mais attends un peu… Un lien indiquait que le filtrage SafeSearch était activé. Elle cliqua dessus, parcourut les options, modifia le paramétrage pour désactiver le filtre, puis elle lança de nouveau la recherche, et…

Ouh là là !

J’étais capable de me remémorer instantanément n’importe quelle information, par un simple effort de volonté. Mais ce qui me surprenait beaucoup, c’était un autre aspect de la conscience : la tendance qu’avaient les choses à me venir à l’esprit – à devenir le centre de mon attention – sans que je le veuille vraiment.