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Elle fit pivoter le fauteuil d’un tour complet tandis que Dillon braquait la caméra sur Chobo. Chobo bon singe, fit de nouveau celui-ci en regardant Dillon, à présent. Et Chobo bon père. Il secoua la tête. Personne arrêter Chobo. Chobo choisir. Chobo choisir avoir bébé.

Le Dr Marcuse se tenait sur le côté, faisant sans doute exactement la même chose que Shoshana : imaginant ce que la séquence donnerait quand elle passerait sur YouTube. Il fit un large sourire et dit :

— La défense n’a rien à ajouter.

42.

— Tu feras une mère formidable, plus tard, dit Matt sur le ton de la plaisanterie.

Ils étaient de nouveau dans le sous-sol chez Caitlin. Comme promis, Matt était passé chez elle après la fin des cours, et elle venait de l’aider à nettoyer après qu’il eut renversé son verre de Pepsi. Elle avait l’impression d’être assignée à résidence – même si c’était pour sa propre protection.

Elle sourit et reposa le torchon qu’elle était allée chercher, mais… Mieux valait régler cette question tout de suite.

— Je n’aurai jamais d’enfants, dit-elle en se rasseyant dans son fauteuil (et en maudissant une fois de plus ses parents de ne pas avoir installé un canapé dans cette pièce…)

— Oh ! fit Matt. Excuse-moi. Est-ce que… heu… c’est le même problème que ce qui t’a rendue aveugle ?

Elle fut très surprise – mais elle n’aurait pas dû l’être. Hormis les cas d’accident, la cécité chez des gens jeunes était généralement liée à d’autres problèmes. En fait, lorsqu’elle était à l’Institut texan, elle avait rencontré beaucoup d’autres élèves affligés de handicaps mentaux en plus de leur handicap visuel.

— Eh bien, dit-elle, pour commencer, ma cécité était causée par ce qu’on appelle le syndrome de Tomasevic, qui affecte uniquement la façon dont la rétine codifie les informations. Et ensuite, ce n’est pas que je ne peux pas avoir d’enfants, c’est que je n’en veux pas.

Une fois de plus, Caitlin aurait bien aimé avoir plus d’expérience pour déchiffrer les expressions du visage. Celle de Matt en était une qu’elle n’avait encore jamais vue : un côté de la bouche plissé vers le bas, l’autre vers le haut, et les sourcils froncés. Elle pouvait signifier n’importe quoi. Au bout d’un moment, Matt dit :

— Tu n’aimes pas les enfants ?

— Oh, si, dit-elle, je les aime. C’est juste que je ne pourrais pas en manger un tout entier.

Ah, mais cette expression-là, elle la connaissait : Matt était bouche bée…

— Non, je blague, fit-elle. J’adore les enfants. Quand j’étais à Austin, j’aidais Stacy à faire du baby-sitting.

— Mais tu n’en veux pas à toi, c’est ça ?

— C’est ça.

Et là, il haussa les sourcils.

— Pourquoi pas ?

— Je n’en ai jamais eu envie. Même toute petite, ça ne m’a jamais tentée.

— Tu ne jouais pas à la poupée ?

Caitlin avait encore cette poupée Barbie ridicule que sa cousine Megan lui avait offerte pour rire, celle qui disait : « Ah, les maths, qu’est-ce que c’est dur ! »

— Si, bien sûr. Mais ça n’est pas pour autant que je voulais être une maman.

Matt resta silencieux, et Caitlin commença à se sentir nerveuse. Bon sang, ça ne faisait que quelques jours qu’ils étaient ensemble – c’était quand même beaucoup trop tôt pour se soucier de ce genre de choses ! Mais si Matt trouvait ça rédhibitoire…

Elle s’efforça de prendre un ton posé, pour éviter toute polémique.

— J’ai déjà eu cette discussion avec Bashira, tu sais. Elle m’a dit : « Comment peux-tu ne pas vouloir d’enfants ? », et aussi « Tu ne crois pas que tu es un peu égoïste ? », et encore « Qui va s’occuper de toi quand tu seras vieille ? » Matt se cala dans son fauteuil.

— Et alors ?

— Eh bien, je ne veux pas d’enfants, c’est tout. Je ne sais pas pourquoi. Et non, je ne suis pas égoïste. (Elle réfléchit un instant.) Est-ce que tu as déjà lu des bouquins de Richard Dawkins ?

— J’ai lu Pour en finir avec Dieu.

— Oui, il n’est pas mal, celui-là. Mais son livre le plus célèbre est Le Gène égoïste. Et c’est ça, son argument : les gènes sont égoïstes, parce que tout ce qu’ils veulent, c’est se reproduire. C’est très égoïste de vouloir se reproduire, au sens propre du terme : on cherche à fabriquer des copies conformes de soi-même, ou du moins aussi fidèles que possible étant donné notre, hem, méthode de reproduction.

Matt détourna les yeux et fit simplement :

— Ah…

— Et pour ce qui est de « qui va s’occuper de moi quand je serai vieille », alors là, difficile d’imaginer plus égoïste que de vouloir un enfant uniquement pour qu’il fasse quelque chose pour vous. Tant qu’on y est, pourquoi ne pas en avoir carrément un pour récupérer ses organes et pouvoir vivre plus longtemps ? Après tout, il y a de bonnes chances pour que les tissus soient compatibles.

— Beurk, fit Matt. Caitlin sourit.

— Oui, exactement.

— Mais, heu, puisqu’on parle de gènes et tout ça, c’est quand même intéressant que tu ne veuilles pas d’enfants. Comment expliquer, hem…

— Tu veux dire, comment l’évolution peut-elle préserver une disposition à ne pas avoir d’enfants, c’est ça ?

— Tout à fait, dit Matt. Au fond, si tu es ici en ce moment, c’est bien parce que chacun de tes ancêtres a voulu avoir des enfants, non ?

Caitlin se sentit très embarrassée. Elle avait la réponse à ça, naturellement, et n’avait eu aucun mal à la formuler quand elle en avait discuté avec Bashira, mais là, maintenant…

Elle respira un grand coup et évita de regarder Matt dans les yeux.

— En réalité, le fait d’avoir des enfants n’est qu’un effet secondaire. Si je suis ici, c’est parce que chacun de mes ancêtres aimait bien faire l’amour.

Même sans regarder Matt directement, elle réussit à percevoir une autre expression qu’elle connaissait bien, maintenant : celle du lapin pris dans les phares.

— Ah… fit-il encore.

Il semblait vraiment très gêné, et il se dépêcha de changer de sujet.

— Alors, heu, qu’est-ce que tu penses des prochaines élections américaines ?

Caitlin secoua doucement la tête. Elle avait encore du pain sur la planche… Elle rapprocha un peu son fauteuil de sorte que, maintenant, leurs genoux se touchaient.

— J’espère bien que le Président sera réélu, dit-elle. Mes parents ont fait le nécessaire pour pouvoir voter par correspondance.

— Ils ont droit de voter depuis le Canada ?

— Oui, bien sûr. Leurs bulletins seront décomptés pour Austin, leur dernière adresse aux États-Unis.

— Est-ce que… heu, vous comptez rester au Canada, ou bien est-ce que le poste de ton père n’est que temporaire ?

Caitlin sourit.

— Tant qu’il ne pousse pas le professeur Hawking dans l’escalier, il peut rester ici aussi longtemps qu’il voudra. En fait, il parle déjà d’adopter la nationalité canadienne. Il doit se rendre à de nombreuses conférences dans le monde, et il y a des endroits où il vaut mieux ne pas être américain…

C’était vraiment gênant d’être assis face à face comme ça. Voyons, Matt ne devait pas peser plus de soixante kilos, et elle-même en pesait cinquante… et ces fauteuils avaient résisté au poids du Dr Kuroda, qui dépassait certainement les cent dix… Elle se leva de son fauteuil qu’elle repoussa du pied, et elle dit en haussant les sourcils :