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— Ça ne t’ennuie pas ? Matt sourit.

— Heu, non, non, pas du tout.

Elle s’assit sur ses genoux et il lui passa les bras autour de la taille. Les ressorts hydrauliques du fauteuil s’affaissèrent légèrement sous leur poids.

Ils s’embrassèrent un moment, et elle remua un peu les fesses pour trouver une position plus confortable, et…

Tiens, tiens ! Mais oui, un pénis, ça faisait vraiment ça !

Matt sembla un peu gêné…

— Heu, alors, comme ça, c’est la dernière fois qu’il pourra voter aux présidentielles ?

— Qui donc ? Mon père ?

— Oui.

Caitlin caressa les cheveux blonds de Matt.

— Non, pas du tout. Il va avoir la double nationalité.

— Je croyais que c’était interdit aux États-Unis.

— Autrefois, c’était vrai, à moins d’être né comme ça – et c’était assez difficile de remplir les conditions. Mais bon, ils ont fini par céder aux pressions internationales, et maintenant, c’est autorisé. En fait, ça l’est déjà depuis quelques dizaines d’années.

— Ah… fit Matt.

Mais il y avait comme de l’hésitation dans sa voix.

— Oui ?

— Non, rien.

Caitlin l’embrassa sur le bout du nez.

— Mais si, dit-elle, vas-y.

— Bon, c’est juste que, tu sais, on devrait être seulement l’un ou l’autre, canadien ou américain.

— Oh, moi, je trouve que la double nationalité, c’est vraiment très bien. C’est, comment dire… c’est antidarwinien.

— Ah… Heu, je sais que tu viens du Texas, mais, hem…

Elle lui donna une pichenette sur l’épaule.

— On n’est pas tous des péquenauds, Matt. Bien sûr que je crois à l’évolution. Mais…

— Oui ?

Le cœur de Caitlin se mit à battre encore plus fort que quand Matt était arrivé. Elle ressentit soudain la même impression que quand elle voyait quelque chose en maths, une chose qui lui semblait tout à coup manifestement et magnifiquement vraie. Elle se pencha un peu en arrière pour pouvoir regarder Matt dans les yeux.

— L’évolution – la sélection naturelle – n’est efficace que jusqu’à un certain point. Le problème de l’évolution, c’est tout ce dont Richard Dawkins parle : les gènes égoïstes, la sélection de parentèle. Quand on privilégie ceux qui sont génétiquement les plus proches de soi, au début, on est plus compétitif que ceux qui n’ont aucun lien de parenté. Mais cette attitude devient franchement contre-productive quand on passe à une civilisation technologique.

— Comment ça ?

— Tiens, par exemple, prends, heu… je ne sais pas, moi, disons une population de loups. Tous les loups se font concurrence pour accéder aux mêmes ressources, à la même nourriture. Alors, imaginons que tes proches et toi, vous soyez le groupe le plus nombreux, et que vous arriviez à chasser les autres loups loin des terres fertiles, ou à les empêcher de trouver des proies. Le résultat, c’est qu’ils meurent, et vous survivez. C’est le principe de l’évolution : les plus aptes survivent, et ça marche aussi longtemps que seule compte la supériorité numérique. Mais dès qu’on devient une espèce vraiment technologique, l’évolution ne fournit plus le bon… heu, quel est le mot, déjà ?

— Paradigme ? proposa Matt.

Elle l’embrassa pour le récompenser.

— Exactement ! Le bon paradigme ! Si vous êtes une centaine face à un seul de ceux que vous êtes en train d’éliminer, mais s’il a un pistolet-mitrailleur et pas vous, c’est lui qui gagne. Il vous extermine en quelques rafales.

— Ah, dit Matt avec un petit sourire taquin. Tu n’as pas de revolver sur toi, là, j’espère ?

Caitlin faillit lui dire que, si quelqu’un semblait avoir un revolver quelque part, c’était plutôt lui… mais elle répondit simplement :

— Non. Nous autres aveugles, on a tendance à préférer les grenades – pas besoin de savoir viser.

Matt la serra un peu plus fort.

— C’est bon à savoir.

— Mais en fait, c’est un point important. Il n’est pas nécessaire que ce soit des armes. N’importe quelle technologie qui te permet d’éliminer un grand nombre de tes concurrents suffit à changer toute l’équation de l’évolution. Et… ah, oui ! Voilà ! C’est pour ça que la conscience a été sélectionnée dans le processus évolutif. La conscience est utile à la survie parce qu’elle te permet de transcender ta programmation génétique. Au lieu de te contenter bêtement d’éliminer tous ceux qui ne sont pas comme toi – au point de les pousser à riposter avec leurs propres armes –, la conscience te permet de décider d’arrêter de les harceler. Elle nous permet de dire à nos gènes : « Hé, les gars, accordons aussi une chance à ce type qui n’est pas comme nous – parce que, comme ça, il n’éprouvera pas le besoin de nous attaquer pendant notre sommeil. » S’assurer que sa propre famille est prospère est un avantage seulement si ceux qui ne le sont pas ne risquent pas de venir te faire du mal.

Matt commençait à s’enhardir un peu. Il approcha ses lèvres de celles de Caitlin et l’embrassa. Puis il dit :

— Tout ça me paraît logique, effectivement. C’est vrai que les gens heureux s’adonnent rarement au terrorisme, et n’essaient pas de s’emparer des terres de leurs voisins.

— Exactement ! Pour faire ça, il n’y a que les désespérés, ou les oubliés, ou – je ne sais pas, moi – les envieux. En éliminant la pauvreté – en améliorant les conditions de vie à l’autre bout du monde –, on contribue à améliorer sa propre sécurité. Les gènes égoïstes seraient tout bonnement incapables de parvenir à cette conclusion, mais pour un esprit conscient, c’est… (elle réfléchit un instant, et elle eut un grand sourire)… d’une clarté aveuglante ! Matt l’embrassa encore avant de dire :

— J’ai lu un roman dans lequel on citait un scientifique du nom de Benjamin Libet. J’ai d’abord cru que c’était une invention de l’auteur, mais j’ai vérifié dans Google, et c’est effectivement vrai. Libet a remarqué que notre corps commence à faire les choses un cinquième de seconde avant que notre esprit prenne conscience de l’action. Tu comprends ? Le corps commence à agir inconsciemment. Ce n’est pas la conscience qui déclenche l’action, mais elle est capable d’y mettre son veto si elle l’estime dangereuse ou inappropriée.

— Non, vraiment ? dit Caitlin. Ah, j’ignorais complètement.

— Mais ça vient conforter ce que tu dis. Le rôle de la conscience est de nous empêcher de faire des choses que, sinon, nous ferions absolument sans réfléchir.

— C’est cool ! Et je crois vraiment que c’est ce qui se passe en ce moment. Le Dr Kuroda m’a dit que le Japon est gouverné selon ce qu’il appelle la « Constitution pacifiste », tu le savais, ça ?

— Non, fit Matt.

Elle se serra un peu plus contre lui, et il se mit à la caresser entre les omoplates.

— Il y a une différence énorme entre le Japon d’avant la Seconde Guerre mondiale et celui d’après, dit-elle. Avant, ils pensaient pouvoir conquérir le monde. Après, ils y ont tout simplement renoncé – ou plus précisément, peut-être, ils ont commencé à mettre leur veto à ce que leurs gènes égoïstes voulaient faire. Ils ont dit : « Plus jamais ça. » Il vaut mieux vivre et laisser vivre que de s’attaquer si brutalement au reste du monde que celui-ci décide de vous éliminer complètement. Matt hocha la tête d’un air entendu.

— J’imagine qu’on ne peut pas avoir reçu deux bombes atomiques sur la tête sans commencer à se dire qu’on devrait peut-être fiche la paix aux autres.