Выбрать главу

La voix de sa mère :

— « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, tends-lui l’autre. »

— Hmm… non, pas celle-là. Qu’est-ce qui venait après ?

— « Et si quelqu’un veut te traîner en justice, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau. »

— Oui, c’est ça ! Il ne s’agit pas simplement de leur donner ce qu’ils veulent, ni même de leur donner encore plus de la même chose… il faut leur donner aussi tout le reste !

— Oui ? fit sa mère. Et alors ?

— Et alors… fit Caitlin. Bon, Webmind, où est-ce que tu les a mis ?

— Mis quoi ? demanda Matt.

— Suis-moi, dit Webmind.

Et une nouvelle ligne orange apparut devant Caitlin. Elle semblait plus longue que toutes celles qu’elle avait suivies jusqu’ici, une droite d’une infinité géométrique parfaite…

Non, non – pas parfaite. C’était presque imperceptible au début, mais au bout d’un moment, il n’y avait aucun doute qu’elle s’incurvait légèrement vers le bas, comme les liaisons provenant de Webmind quand elle essayait de remonter jusqu’à leur origine. C’était la façon qu’avait son cerveau de reconnaître que la source dépassait ses capacités de perception.

— Je suis en train de te perdre, dit Caitlin.

Et soudain, le lien sembla vibrer et onduler, comme si par un effort de volonté – la sienne ou celle de Webmind, impossible à dire –, une corde était en train de se tendre. Caitlin continua de glisser le long de la ligne.

Cela ne ressemblait à rien de ce qu’elle connaissait maintenant du monde réel. Alors qu’elle se rapprochait de la toile de fond chatoyante, les pixels – les cellules – ne grossissaient pas. Ils restaient presque invisibles, à la limite de sa perception. Elle se dit que, si jamais elle réussissait un jour à voyager dans l’espace, elle aurait sans doute la même impression avec les étoiles qui resteraient de simples points dans le ciel.

— Ah, bon sang, qu’est-ce que c’est dur, dit-elle.

Sa respiration s’était accélérée et elle transpirait. Il lui fallait un prodigieux effort de concentration pour suivre cette ligne orange. Si jamais elle relâchait son attention, elle était sûre qu’elle serait aussitôt ramenée à son point de départ. Mais son attention voulait se porter ailleurs. Sa vision – même sa vision mentale – cherchait à se livrer à une série de saccades oculaires. Elle se concentra totalement, comme lorsqu’elle s’attaquait à un problème de maths vraiment difficile, de tout son être, et…

Là.

— Ah, mon Dieu, dit Caitlin d’une toute petite voix.

Déployé devant elle, emplissant ses perceptions, débordant dans toutes les directions de sa vision mentale périphérique, s’étendait un immense océan de points, dont chacun était presque imperceptible. Il n’y en avait pas des millions, ni même des milliards, mais des milliards de milliards. L’ensemble se présentait comme une masse grise, mais avec un effort de concentration, elle vit que ces minuscules pixels avaient différentes couleurs.

Des couleurs qu’elle se mit à compter : il y avait du noir, du jaune, et – c’était du vert, ça. Oui, et là, du bleu, du rouge, du…

Ah, oui ! Les couleurs que Newton avait recensées, et elle puisa dans ses souvenirs de cours d’optique : rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo et violet. Les sept couleurs de l’arc-en-ciel, plus le noir, qui n’était pas vraiment une couleur, qui était le néant, le…

Oui, le zéro !

Et chaque couleur possédait deux intensités distinctes : rouge éteint et rouge brillant, orange pâle et orange vif. Un jaune tellement terne qu’il en était presque marron, et un jaune qui brillait comme un soleil. Et cette teinte de gris, elle l’avait déjà vue aussi : c’était du noir, mais avec une luminosité plus grande. Il n’y avait pas huit couleurs, mais seize en tout ! Elle ne voyait plus du binaire, comme autrefois, mais de l’hexadécimal, la base utilisée dans la plupart des systèmes informatiques. Les couleurs correspondaient certainement aux nombres qu’on pouvait écrire : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, A, B, C, D, E et F. Ses efforts de concentration l’avaient hissée à un niveau de perception supérieur. Ce qu’elle avait sous les yeux était un océan de données, d’informations.

— Il y en a tellement… dit-elle.

— Effectivement, dit Webmind.

— Bon, dit-elle en respirant profondément. Voici ce qu’on va faire…

— Alors ? demanda sèchement Tony dans la salle de contrôle de WATCH.

— Ça marche, dit le colonel Hume en jetant un coup d’œil à l’écran central. Notre première tentative ne permettait d’éliminer qu’à peu près trente pour cent des paquets anormaux, mais nous avons affiné l’algorithme.

Certains continuent de résister – je ne sais pas vraiment pourquoi –, mais nous supprimons maintenant soixante-deux pour cent des paquets qui transitent par notre station de routage.

— Ah… fit Tony. C’est bien.

— « Bien » ? Vous voulez dire que c’est formidable ! lança Hume en brandissant le poing vers l’écran. Ce putain de salopard va bientôt crier grâce !

L’immense masse chatoyante formée des couleurs de l’arc-en-ciel était parcourue de pulsations. On aurait dit une créature vivante. Caitlin retint son souffle tandis qu’elle rebroussait chemin le long de la ligne orange, son attention tournée vers la masse derrière elle, qui… oui, qui commençait à la suivre ! Elle avait un peu l’impression d’être le joueur de flûte de Hamelin, entraînant les rats derrière elle…

À mesure que Caitlin progressait, la ligne orange ne cessait de s’élargir, devenant une véritable route, ou un canal, et la masse, le torrent, le déluge de données se précipitait vers elle. Caitlin se mit à « courir » le long de la ligne – elle était peut-être nulle dans le monde réel, mais ici, dans le webspace, elle était une véritable gazelle !

— Que se passe-t-il ?

C’était la voix de sa mère provenant de l’autre univers, mais Caitlin n’osa pas interrompre sa concentration pour répondre.

Webmind, lui, était plus à même de répartir son attention, et elle l’entendit dire :

— Nous allons leur en donner plus qu’ils ne pourront avaler.

— Le trafic de la station de routage est en train d’augmenter, dit Aiesha en relevant le nez de sa console.

Tony jeta un coup d’œil à l’écran de droite, sous le logo de WATCH. Il affichait maintenant un graphique représentant le niveau du trafic de la plateforme d’AT&T.

La courbe venait de grimper d’un seul coup. Elle évoquait terriblement la vague frontale d’un tsunami…

— D’où ça vient, tout ça ?

— De partout ! s’écria Shel. Absolument de partout – toujours pas moyen de repérer la source.

— Ah, bon Dieu, fit le colonel Hume. C’est un putain de flood.

Tony regarda Hume, puis ils se tourna vers Shelton Halleck.

— Une attaque en déni de service ?

— Peut-être. Il y a tellement de paquets, maintenant. Ceux qu’on cherche ne représentaient déjà qu’une petite fraction du trafic au départ, mais maintenant, il y en a moins de un sur un milliard.

— Mais bon sang, qu’est-ce que ça peut être ? demanda Tony.

— Je suis en train d’analyser, dit Shel. Il faut d’abord que je réassemble les paquets… attends une seconde.

Et l’écran central se remplit d’une longue chaîne en hexadécimal :… 6C 61 20 73 6F 6C 75…

— Hé bien ? fit Tony. C’est quoi ? Des virus ? Des programmes ? Des données cryptées ?