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— Euh… Miss Vendredi… vous êtes jolie.

Je ne sais jamais quoi répondre à ce genre de truc, parce que je ne suis pas jolie. De corps, peut-être – mais j’étais habillée de pied en cap.

— Comment savez-vous mon nom ?

— Eh bien, je crois que tout le monde sait qui vous êtes, vous savez. Il y a deux semaines. A la ferme. Vous étiez là-bas.

— Oui, c’est vrai. J’y étais. Mais je ne me souviens de rien.

— Mais moi, si ! (Il était rayonnant.) C’est la première fois que j’ai la chance de participer à une opération de combat. J’ai été heureux d’être là-bas !

(Qu’est-ce que vous feriez, dans ce cas-là ?)

Je lui ai pris la main pour qu’il vienne plus près de moi. J’ai posé mes doigts sur son visage et je l’ai embrassé très longuement. Une moitié de tendresse, comme une sœurette, et une bonne moitié de allons-y-c’est-le-moment ! C’est peut-être le protocole qui a été le plus fort, en fin de compte. Il était de service et, quant à moi, j’étais encore sur la liste des hors-service. Ce n’est pas bien de faire des promesses qu’on ne pourra pas tenir, surtout à des gamins qui ont des étoiles plein leurs yeux.

— Merci d’être venu à mon secours, lui ai-je dit simplement en le laissant aller.

La chère petite chose était rouge d’émotion. Mais de plaisir aussi.

Je suis restée si tard éveillée à lire ce bouquin que l’infirmière de nuit est venue me gronder. Mais c’est normal : les infirmières ont toujours besoin de gronder quelqu’un, régulièrement.

Je ne vais pas me lancer dans des citations de cet incroyable document… mais je veux simplement énumérer quelques paragraphes :

Rien que le titre, d’abord : la Seule Arme mortelle.

Ensuite :

De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts

De l’assassinat en tant qu’outil politique

De l’assassinat comme moyen de profit

Les assassins qui ont changé l’Histoire

Une société d’encouragement à l’euthanasie

Les dogmes de la Guilde des assassins professionnels

Les assassins amateurs : faut-il les exterminer ?

A propos des Honorables Tueurs : quelques cas historiques

« Extrême préjudice » – « Traitement à l’eau » : les euphémismes sont-ils nécessaires ?

Rapports de séminaires : Techniques & Outils

Psss ! Je n’avais aucune raison valable de lire tout ça. Mais je l’ai fait. J’éprouvais une sorte de fascination malsaine. Perverse.

J’ai pris la résolution de ne jamais changer d’emploi et de ne pas suivre une nouvelle formation. Si le Patron voulait en discuter, il n’avait qu’à revenir sur ce sujet, j’ai pianoté sur le terminal et, lorsque j’ai eu les Archives, j’ai demandé que le responsable des documents classés vienne reprendre sous séquestre l’article tant et tant et qu’il m’apporte mon récépissé.

— Tout de suite, miss Vendredi, m’a dit une voix de femme.

La célébrité…

J’ai attendu que le gamin se montre avec une certaine nervosité. J’ai honte de le dire, mais ce bouquin empoisonné avait eu sur moi un effet particulièrement regrettable. La nuit était très avancée, en fait le matin approchait, et tout était calme. Je pensais que si le cher petit posait seulement sa main sur moi, je risquais d’oublier que, techniquement, j’étais encore une invalide. Ce qu’il me fallait, c’était une ceinture de chasteté avec un bon gros cadenas.

Mais ce ne fut pas lui qui arriva. Il n’était plus de service. La personne qui se présenta avec mon récépissé était la femme d’âge mûr qui m’avait répondu sur le terminal. Je me sentis à la fois soulagée et déçue. Et chagrinée. Est-ce que tous les convalescents sont perpétuellement en chaleur ? Les hôpitaux ont-ils constamment ces problèmes de discipline ? Je n’avais pas été assez souvent malade pour essayer de résoudre ce mystère.

La femme reprit le livre en échange de mon récépissé et me demanda à ma grande surprise :

— Est-ce que je n’ai pas droit à un petit baiser aussi ?

— Oh !… Vous étiez là-bas, vous aussi ?

— Toutes les âmes valides étaient de la partie, chérie. Cette nuit-là, voyez-vous, nous étions vraiment à court d’effectifs. Je ne suis peut-être pas la meilleure mais j’ai suivi l’entraînement de base comme tout un chacun. Oui, je faisais partie de l’expédition. Pour rien au monde je n’aurais voulu manquer ça.

Je lui ai dit :

— Alors, merci de m’avoir sauvée.

Et je l’ai embrassée. Dans mon idée, c’était un petit baiser symbolique, mais elle ne l’a pas compris comme ça et elle a pris la direction des opérations. Ç’a été plutôt brutal et appuyé. Mieux qu’avec des mots, elle m’a dit qu’elle serait là quand je voudrais si j’avais envie de changer de camp.

Et alors ? Il semble qu’il y ait des situations humaines pour lesquelles n’existe aucun protocole. Je venais à peine de suggérer qu’elle avait risqué sa vie pour me sauver – ce qui était vraisemblablement le cas, puisque apparemment cette expédition n’avait pas été la partie de plaisir que le Patron tendait à décrire. Le Patron a un tel sens de la litote qu’il est tout à fait capable de vous résumer la destruction de Seattle comme « une faible secousse d’origine sismique ».

Donc, puisque je devais la vie à cette femme, comment aurais-je bien pu la repousser ? Impossible. Je lui ai rendu la moitié de son baiser et j’ai ainsi répondu à son message – mais j’ai croisé les doigts en souhaitant ne jamais avoir à tenir ma promesse.

Ses lèvres s’écartèrent des miennes mais elle continua de me tenir contre elle.

— Chérie, vous voulez que je vous dise quelque chose ? Vous vous rappelez comment vous avez rembarré cette grosse limace qu’ils appellent le Major ?

— Je m’en souviens, oui.

— Eh bien, il circule un bout d’enregistrement de cette séquence. Tout le monde sait ce que vous lui avez dit et comment vous le lui avez envoyé, et c’est pour ça que tout le monde vous admire. Surtout moi.

— Très intéressant. Et c’est vous le petit lutin qui a recopié ce bout d’enregistrement ?

— Comment pouvez-vous penser cela une seconde ? (Elle m’a souri.) Ça vous gêne ?

J’ai réfléchi pendant trois millisecondes au moins.

— Non. Si ceux qui m’ont porté secours sont heureux d’entendre ce que j’ai dit à ce salopard, ça ne me fait rien. Mais vous savez, d’habitude, je ne m’exprime pas comme ça.

— Mais c’est bien ce qu’ils pensent tous. (Elle m’a donné un dernier petit baiser rapide.) Mais vous l’avez fait parce que c’était le moment ou jamais et toutes les femmes ici sont fières de vous. Tous les hommes aussi, d’ailleurs.

Elle n’avait pas l’air d’avoir vraiment envie de me quitter, mais l’infirmière de nuit est arrivée et m’a ordonné d’un ton ferme de retourner au lit. Puis elle a ajouté qu’elle allait me faire une petite piqûre de somnifère et j’ai vaguement protesté pour la forme.

La femme des Archives a dit :

— Hello, Goldie. Bonne nuit. Bonne nuit, petite.

Et elle s’est retirée.

Goldie (ce n’était pas son nom bien sûr) m’a demandé :

— Vous voulez ça dans le bras ? Ou bien à la cuisse ? Ne vous en faites pas pour Anna : elle est inoffensive.

— Oh ! pas de problème…