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— Ne faites pas ça ! Eh ! Qu’est-ce que c’est que cette tenue ?

Elle portait maintenant un collant qui la rendait toute svelte, plus occidentale et plus femme à la fois.

— J’ai laissé tomber mon kimono et mon obi.

— Et si vous cessiez de bavarder comme ça ! a lancé Pete. Il faut que nous fichions le camp d’ici. (Il m’a prise par les cheveux et m’a volé un baiser.) Allons-y !

Nous avons continué sous bois mais, très vite, il est devenu évident que Tilly avait dû se fouler la cheville.

— Elle a sauté depuis le pont des premières. Ça ne va pas, Tilly ?

— C’est à cause de ces fichues chaussures japs… Occupe-toi de la môme, Pete. Ils ne me feront rien.

— C’est ça. Compte dessus, dit Pete d’un ton amer. Nous sommes trois et nous resterons trois. Ça va, miss… Vendredi ?

— Oh oui… Un pour tous, tous pour un ! Allez, Pete, prenez-la sous le bras droit.

Ça se passa plutôt bien. Nous formions une sorte de nouvel animal à cinq pattes. Nous n’allions pas très vite mais les autres ne sont pas parvenus à nous rattraper. Après quelque temps, Pete s’est arrêté et m’a dit qu’il allait porter Tilly sur son dos. J’ai prêté l’oreille. Aucun bruit de poursuite. Je ne percevais que les bruits étrangers d’une forêt étrangère, sur un monde inconnu. Des cris d’oiseaux ? Je ne pouvais en être certaine. Mais tout ce que je voyais autour de moi était dérangeant. L’herbe n’était pas vraiment de l’herbe, les arbres me semblaient venir d’une lointaine époque, le vert des feuilles était strié ou ocellé de rouge. Ou bien, était-ce l’automne sur cette partie de Botany Bay ? Est-ce qu’il ferait un froid glacial durant la nuit ? Nous pourrions tenir un certain temps sans vivres ni eau, mais que penser de la température ?

— O.K., ai-je dit enfin. Pete, vous la portez. Mais je vous relaierai.

— Impossible ! a lancé Tilly. Vendredi ! Vous ne pouvez pas me porter !

— J’ai bien soulevé Pete, la nuit dernière. Racontez-lui, Pete. Vous ne pensez pas que je peux porter une petite poupée japonaise ?

— Poupée japonaise ! Je suis aussi américaine que vous !

— Peut-être plus, c’est exact ! Parce que moi, je ne le suis pas tellement. Je vous raconterai ça un autre jour. Allons-y.

Je l’ai portée sur cinquante mètres environ, ensuite Pete m’a relayée sur deux cents, et ainsi de suite. Nous avons rencontré une route. Enfin, c’était plutôt une piste entre les buissons, mais des traces de roues et de sabots étaient visibles. A droite, après quelques mètres, la route semblait retourner vers le terrain d’atterrissage et la ville. Nous sommes donc partis vers la gauche. Shizuko marchait de nouveau, mais elle s’appuyait fréquemment sur Pete.

Nous sommes arrivés dans une ferme. La prudence eût été de nous cacher aux alentours, mais j’avais avant tout envie d’un grand verre d’eau et je voulais qu’on bande la cheville de Tilly.

Sur le porche, il y avait une femme qui tricotait dans un rocking-chair. Elle avait les cheveux gris, l’air avenant. Elle a levé les yeux sur nous et elle nous a fait signe d’approcher.

— Je m’appelle Mrs Dundas. Vous venez de débarquer du vaisseau ?

— Oui. Je me présente : je suis Vendredi Jones. Voici Matilda Jackson et notre ami Pete.

— Pete Robert, madame, pour vous servir.

— Venez vous asseoir. Pardonnez-moi si je ne me lève pas mais mon dos n’est plus vraiment ce qu’il était. Vous êtes des réfugiés, n’est-ce pas ? Je veux dire : vous vous êtes enfuis ?

— Oui. C’est cela, madame.

— C’est évident. Vous savez que la moitié des réfugiés arrivent ici ? Si j’en crois ce que j’ai entendu aux informations de ce matin, il va falloir que vous vous cachiez ici trois jours au moins. Soyez les bienvenus. Nous avons plaisir à recevoir des visiteurs. Mais vous avez parfaitement le droit de vous présenter au service d’Immigration : les gens du vaisseau n’ont absolument pas le droit de porter la main sur vous. Cependant, je crois que vous risquez de passer un très mauvais moment avec leurs interminables interrogatoires. Vous déciderez après dîner. Pour l’instant, est-ce que vous accepteriez une tasse de thé ?

— Oh oui !

— C’est bien. Malcolm ! Oh ! Malcooolm !

— Oui, m’man.

— Mets la bouilloire à chauffer !

— Comment ?

— La bouilloire ! (Mrs Dundas a regardé Tilly.) Mon enfant, qu’avez-vous fait à votre pied ?

— Je crois qu’il est foulé, madame.

— Ça, je veux bien le croire ! Vendredi… c’est bien votre nom, n’est-ce pas ?… demandez à Malcolm de préparer de la glace pilée dans le plus grand plat qu’il pourra trouver. Ensuite, vous pourrez peut-être servir le thé. Malcolm se débrouillera avec la glace. Et votre… Mr. Roberts, c’est cela, non ?… pourrait m’aider à me lever pour que je m’occupe de votre pauvre pied. Quand nous aurons réussi à faire diminuer l’enflure, il faudra le bander. Matilda… est-ce que vous êtes allergique à l’aspirine ?

— Non, madame.

— M’man ! La bouilloire !

— Allez, Vendredi…

Je servis le thé avec un cœur léger.

33

Cela fait vingt ans. Vingt années de Botany Bay, mais la différence par rapport à la Terre n’est pas considérable. Vingt années de bonheur. Ces Mémoires ont été rédigées à partir des enregistrements que j’ai faits au Pajaro Sands avant que le Patron meure et de certaines notes que j’ai prises durant la période où je pensais devoir lutter contre l’extradition. Mais tous les projets que l’on avait pu dresser à partir de moi ne pouvant aboutir, ceux qui me cherchaient ne se sont plus intéressés à moi. Pour eux, je n’avais jamais été qu’un incubateur ambulant. Et tout cela cessa d’avoir le moindre intérêt le jour où le Premier citoyen et la dauphine furent assassinés.

Il serait logique que ce journal s’arrête à mon arrivée sur Botany Bay. Parce que ma vie, à partir de ce moment, a cessé d’être dramatique et aventureuse. Après tout : qu’est-ce qu’une maîtresse de maison peut écrire de passionnant ? A propos de sa basse-cour et des pontes de l’hiver ? Ça vous intéresse ? Moi pas.

Les gens qui sont très occupés et très heureux ne tiennent pas de journal.

Mais en parcourant les enregistrements et les notes, il m’est apparu que certains points devaient être éclaircis.

A propos de la carte Visa annulée de Janet, par exemple : après le naufrage du Skip to M’Lou, Georges avait enquêté dans la ville basse de Vicksburg et il avait acquis la conviction qu’il n’y avait aucun survivant. Alors, il avait appelé Janet et Ian, qui étaient sur le point de partir pour l’Australie (prévenus par l’agent de Winnipeg), et bien entendu, Janet avait fait annuler sa carte.

Pour moi, le fait de retrouver ma « famille » est un événement étrange. Mais Georges prétend, lui, que c’est de me retrouver ici qui est le plus étrange. Lorsqu’ils ont quitté la Terre, ils en étaient dégoûtés, sans grand espoir. Ou aller ? Botany Bay n’était certainement pas le meilleur des choix mais, pourtant, pour eux, c’était le plus évident. Botany Bay est une bonne planète, qui ressemble assez à la Terre il y a quelques siècles, mais avec une technologie et des sciences contemporaines. Elle n’est pas aussi primitive que Forest, ni aussi luxueuse et agréable qu’Halcyon ou Fiddler’s Green. Tous, ils ont perdu beaucoup d’argent, mais il leur en est resté suffisamment pour acheter un passage en dernière classe, pour payer leurs parts et conserver quelques sous afin de démarrer.

Georges prétend que la coïncidence la plus fantastique, c’est que je me sois trouvée à bord du même vaisseau qu’eux. Parce qu’ils avaient manqué de justesse le départ du Dirac. Simplement parce que Janet redoutait de voyager avec un bébé dans son ventre plutôt que dans ses bras. De toute façon, notre nouveau monde a peut-être les dimensions de la Terre, mais notre colonie est encore petite et nous aurions bien fini par nous rencontrer. Ici, tous les nouveaux venus intéressent tout le monde.