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— Oh ! mais je ne vais pas vous mentir. Est-ce que vous enregistrez ? Ça va prendre un bon moment.

— Nous enregistrons.

— Okay, alors.

Et pendant trois heures, j’ai vidé mon sac.

Je suivais la doctrine. Mon Patron sait très bien que quatre-vingt-dix-neuf agents sur cent craqueront sous une certaine dose de douleur, qu’un peu moins à peine ne résisteront pas à un interrogatoire prolongé combiné à un simple état de fatigue extrême, et que seul Bouddha peut résister à certaines drogues. Donc, comme il n’attend pas de miracles et qu’il a horreur de gaspiller ses agents, notre règle standard est : « S’ils t’attrapent, tu racontes tout ! »

Il s’arrange par conséquent pour qu’un agent en mission ne sache jamais rien de vraiment essentiel. Je ne connais rien de la politique. J’ignore le nom de mon Patron. Je ne suis même pas certaine de savoir si nous sommes une agence gouvernementale ou si nous appartenons à l’une des multinationales. Bien sûr, je sais où se trouve la ferme, mais je ne suis pas la seule… et c’est un endroit bien défendu. Du moins, ça l’était. Quant aux autres endroits, je ne les ai jamais visités que dans des véhicules énergétiques autorisés et bien fermés. C’est un VEA, par exemple, qui m’emmenait dans le secteur d’entraînement qui pourrait aussi bien se trouver à l’autre bout de la ferme. Ou très loin.

— Major, comment avez-vous réussi à vous introduire ici ? C’est plutôt bien défendu.

— C’est moi qui pose les questions, ma toute jolie. Revoyons ce moment, quand vous avez été suivie depuis la capsule de la Vrille.

Ça continua comme ça très longtemps encore, et quand je lui eus dit tout ce que je savais, peut-être deux fois, le Major m’interrompit :

— Chérie, votre histoire est très convaincante mais je n’en crois qu’un mot sur trois. Nous allons donc passer à la procédure B.

Quelqu’un m’a pris le bras gauche et j’ai senti une aiguille. Sérum de vérité ! J’espérais que ces foutus amateurs n’étaient pas aussi maladroits dans tous les domaines : on peut mourir très vite d’une overdose avec ce truc-là.

— Major ! Il vaudrait mieux que je sois assise !

— Donnez-lui une chaise.

Quelqu’un exécuta son ordre.

Dans les mille années qui suivirent, je fis de mon mieux pour raconter très exactement la même histoire, aussi vague qu’ait été mon esprit. A un moment, je suis tombée de la chaise. Au lieu de me rasseoir, ils m’ont traînée sur le ciment froid et j’ai continué à déblatérer.

Après, j’ai eu droit à une autre injection. J’ai eu brusquement très mal aux dents et mes yeux sont devenus brûlants, mais ça m’a réveillée.

— Miss Vendredi !

— Oui, monsieur ?

— Etes-vous éveillée, à présent ?

— Je le pense.

— Très chère, je crois que vous avez parfaitement été endoctrinée sous hypnose pour dire sous l’effet de la drogue exactement la même chose qu’à l’état conscient. C’est vraiment dommage parce que je vais être obligé d’appliquer une autre méthode. Est-ce que vous pouvez vous lever ?

— Je crois. Je peux essayer, en tout cas.

— Aidez-la à se lever. Qu’elle ne tombe pas. (Quelqu’un – ils devaient être deux en fait – m’a soutenue. Je n’étais pas très solide.) Passons à la procédure C, phase cinq.

Une botte énorme écrasa mes orteils nus. Je me mis à crier.

Ecoutez-moi ! Si jamais on vous torture, criez ! Le vieux numéro de l’Homme de Fer ne fait que rendre les choses plus graves. Croyez-en quelqu’un qui s’y connaît. Criez de toute la force de vos poumons et craquez aussi vite que possible.

Je ne vais pas vous donner le détail de ce qui s’ensuivit pendant un temps infini. Si vous avez un peu d’imagination, vous risquez d’en avoir la nausée, et rien que de le raconter pourrait bien me faire vomir. En fait, j’ai vomi plusieurs fois, d’ailleurs. Je me suis également évanouie mais ils ne cessaient de me ramener à la conscience et la voix n’arrêtait pas de me poser ses questions.

Apparemment, à un certain moment, ils n’arrivèrent pas à me réveiller. Parce que ensuite, je me suis retrouvée dans un lit, le même, je suppose, avec les menottes. Les mêmes. Et j’avais mal partout.

— Miss Vendredi, dit la voix juste au-dessus de ma tête.

— Qu’est-ce que vous voulez encore, bon Dieu ?

— Rien. Mais si cela peut vous consoler, chère petite, vous êtes le seul sujet que j’aie jamais interrogé sans parvenir à lui arracher la vérité.

— Allez donc vous calmer les nerfs comme vous savez le faire !

— Bonne nuit, chérie !

Foutu amateur ! Tout ce que je lui avais dit, jusqu’au moindre mot, c’était la vérité vraie !

3

Quelqu’un est venu et m’a fait une autre injection hypodermique. Alors la douleur a reflué et j’ai dormi.

Je pense que j’ai dormi longtemps. Avec des rêves confus, ou des périodes de semi-éveil, ou bien encore les deux. En tout cas, il devait y avoir une bonne partie de rêve – les chiens parlent, du moins un grand nombre d’entre eux, mais ils ne donnent pas des conférences sur les droits civils des artefacts vivants, n’est-ce pas ? Les bruits de course et les brouhahas que je percevais étaient sans doute réels. Mais c’était comme un cauchemar parce que je m’aperçus que j’étais incapable de lever la tête, encore moins de quitter le lit pour me joindre aux réjouissances.

Puis vint un moment où je décidai que j’étais vraiment éveillée. Je n’avais plus de menottes aux poignets ni de ruban adhésif sur les yeux. Mais je n’ai pas sauté du lit ni ouvert les paupières. Je savais que les premières secondes qui suivraient celle où j’ouvrirais les yeux seraient sans doute les meilleures et que je pourrais tenir l’unique chance de m’enfuir.

J’ai fait fonctionner mes muscles sans esquisser un mouvement. Tout me paraissait fonctionner, encore que je fusse plutôt meurtrie çà et là, et en pas mal d’autres endroits aussi. Des vêtements ? Laisse tomber. Non seulement je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où ils pouvaient être, mais quand on fuit pour sauver sa peau, on n’a vraiment pas une seconde à perdre pour s’habiller.

Maintenant, un plan. Il me semblait bien qu’il n’y avait personne dans la pièce. Quelqu’un sur le sol ? Reste bien tranquille et écoute. Quand je serai sûre qu’il n’y a personne, je me lèverai sans faire de bruit, je grimperai l’escalier comme une petite souris, j’irai au-dessus du troisième étage, dans le grenier, et je m’y cacherai. J’attendrai qu’il fasse sombre. Ensuite je passerai par la lucarne jusque sur le toit, puis le mur de derrière et les bois. Si je parvenais à atteindre les bois derrière la maison, ils ne m’y retrouveraient jamais. Mais jusque-là, je serais une cible facile.

Quelles chances j’avais ? Disons une sur dix. Mettons une sur sept si je me débrouillais vraiment bien. Le point faible de ce pauvre plan, c’était que je risquais très probablement d’être repérée avant d’avoir réussi à prendre le large… parce que si j’étais repérée… non, quand je serais repérée, il faudrait que je tue, et aussi silencieusement que possible. Parce que la seule alternative était d’attendre ici jusqu’à ce qu’ils me liquident, c’est-à-dire juste après que le Major aurait décidé qu’ils n’avaient plus rien à tirer de moi. Ces clowns étaient peut-être maladroits mais pas stupides à ce point – du moins le Major – et ils ne laisseraient certainement pas en vie un témoin qui avait été torturé et violé.