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— Oui, et c’est pour ça que j’ai dû aller jusqu’à Ell-Cinq, manger des choses dégueulasses, être malade sur la Vrille avant d’être baisée par ces salauds !

— Je suis désolé de ce dernier détail, Vendredi. Mais croyez-vous vraiment que je risquerais la vie de mon meilleur agent pour une mission inutile ?

(Vous voyez pourquoi je travaille encore pour ce salopard arrogant ? Quand on me flatte, je fais n’importe quoi.)

— Excusez-moi, monsieur.

— Voyons votre cicatrice d’appendicectomie.

— Pardon ?

J’ai glissé une main sous le drap, j’ai palpé, puis j’ai rejeté le drap et j’ai regardé.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— L’incision ne mesurait que deux centimètres et elle a été pratiquée juste au milieu de la cicatrice. Aucun tissu musculaire n’a été touché. Ce que vous transportiez a été prélevé il y a vingt-quatre heures en rouvrant la même incision. J’ai appris que grâce aux méthodes de réparation accélérée qu’ils ont utilisées, dans deux jours vous ne pourriez pas distinguer la nouvelle cicatrice de l’ancienne. Mais je suis heureux que les Mortenson aient pris tout particulièrement soin de vous car je ne doute pas que les symptômes artificiels qu’ils ont utilisés pour couvrir l’opération n’aient été très déplaisants. A ce propos, je dois vous dire qu’il y avait bel et bien une épidémie de catarrhe. Une occasion fortuite, en somme.

Le Patron s’est interrompu. Je me suis interdit de lui demander ce que j’avais convoyé. Il ne me l’aurait d’ailleurs pas dit. Il a ajouté après quelques secondes :

— Vous me racontiez votre voyage de retour.

— Jusqu’à la Terre, ça s’est bien passé. Patron, la prochaine fois que vous m’enverrez dans l’espace, je voudrais que ce soit en première classe, dans un vaisseau antigrav. Pas sur cette espèce de corde de fakir hindou.

— Toutes les analyses prouvent qu’un croque-ciel est beaucoup plus sûr qu’un vaisseau. Si nous avons perdu le câble de Quito, c’est à cause d’un sabotage, et non d’une défaillance technique.

— Toujours aussi radin, hein ?

— Je n’ai pas l’intention d’affamer la poule aux œufs d’or. Vous pourrez emprunter l’antigrav à partir de maintenant si les circonstances et les délais le permettent. Mais cette fois-ci, nous avions nos raisons d’utiliser la Vrille du Kenya.

— Peut-être, mais quelqu’un m’a prise en chasse dès que j’ai eu quitté la capsule. Et quand on a été seuls, je l’ai tué.

Je me suis interrompue. Un de ces jours, peut-être, peut-être, j’arriverai à lui arracher une expression de surprise. J’ai repris le sujet en diagonale :

— Patron, j’ai besoin d’une petite cure, avec quelques cours de réorientation bien calculés.

— Vraiment ? Dans quel but ?

— Mon réflexe de meurtre est trop rapide. J’agis sans discrimination. Ce crétin n’avait rien fait pour mériter la mort. D’accord, il me suivait. Mais j’aurais pu aussi bien le semer, là ou à Nairobi, ou bien encore l’assommer et le mettre au froid un moment, histoire de mettre quelques kilomètres entre lui et moi.

— Nous discuterons plus tard de vos besoins éventuels. Continuez.

Je lui parlai de l’Œil public et des quatre identités de « Belsen » et de la façon dont je les avais envoyées aux quatre vents avant de lui décrire mon retour. Il m’interrompit :

— Vendredi, vous n’avez pas mentionné la destruction de cet hôtel à Nairobi ?

— Quoi ? Mais voyons, Patron, ça n’a rien à voir avec moi. J’étais à mi-chemin de Mombasa.

— Ma très chère Vendredi, vous êtes trop modeste. Pour vous empêcher de réussir votre mission, on a dépensé un certain nombre de vies humaines et énormément d’argent. On a même tenté une ultime attaque sur notre ex-ferme. En toute hypothèse, vous pouvez donc estimer que l’explosion du Hilton n’avait pas d’autre but que de vous tuer.

— Hmmm… Apparemment, Patron, vous saviez que ce serait aussi dur. Est-ce que vous n’auriez pas pu me prévenir ?

— Pensez-vous que vous auriez été plus décidée, plus vigilante si je vous avais bourré le crâne de vagues avertissements concernant d’improbables dangers ? Jeune fille, vous n’avez pas commis la moindre faute.

— Vous parlez ! Quand Oncle Jim m’attendait à l’arrivée de la capsule alors qu’il était censé ignorer l’horaire, ça aurait dû me mettre en garde. A la seconde même où je l’ai vu, j’aurais dû replonger et prendre n’importe quelle capsule pour n’importe où !

— Ce qui nous aurait mis dans l’impossibilité de vous intercepter, et par là vous auriez mis un terme à votre mission, aussi sûrement que si vous aviez perdu ce que vous étiez censée transporter. Mon enfant, si tout s’était passé comme souhaité, Jim serait venu vous attendre sur mon ordre. Il semble que vous sous-estimiez mon réseau de renseignements tout autant que les efforts que nous avons déployés pour veiller sur vous. Mais je n’ai pas envoyé Jim à votre rencontre parce que j’étais en train de courir, voyez-vous. Ou plutôt je clopinais, pour être plus précis. J’ai fait aussi vite que je pouvais pour tenter de m’échapper. Je suppose que Jim a pris le message lui-même. Qu’il venait de notre homme ou de nos adversaires, ou peut-être même des deux.

— Patron, si j’avais su cela, j’aurais fait bouffer Jim par ses chevaux. Je l’aimais bien, vous savez. Quand ce sera le moment, je voudrais l’éliminer moi-même. Il m’appartient.

— Vendredi, dans notre profession, il n’est pas souhaitable de se montrer rancunier.

— Je n’ai pas beaucoup de rancune, mais le cas d’Oncle Jim est particulier. Et il y a aussi un autre cas dont j’aimerais m’occuper seule. Mais nous en discuterons plus tard. Dites-moi, est-il exact qu’Oncle Jim était un prêtre papiste ?

Le Patron eut presque l’air surpris, cette fois.

— Où avez-vous été pêcher une telle absurdité ?

— Un peu partout. C’est ce qu’on raconte.

— « Humain, bien trop humain. » Le bavardage est un vice. Laissez-moi mettre les choses au clair. Jim Prufit était un ex-condamné. Je l’ai connu en prison. Il avait fait pour moi quelque chose de suffisamment important pour que je lui donne une place dans notre organisation. C’était une erreur. Une erreur inexcusable car un malfaiteur reste un malfaiteur. Il ne peut pas faire autrement. Mais j’ai une fâcheuse tendance à croire les autres, un défaut de caractère dont je croyais m’être débarrassé. Mais je me trompais. Continuez, maintenant.

J’ai raconté alors comment ils m’étaient tombés dessus.

— Ils étaient cinq, je crois. Peut-être quatre.

— Six selon moi. Description.

— Je n’en ai pas, Patron. J’étais trop occupée. Peut-être une, au moins. Je l’ai vu nettement en le tuant. Un mètre soixante-quinze, environ soixante-quinze, soixante-seize kilos. A peu près trente-cinq ans. Blondasse, bien rasé. Le type slave. Mais c’est le seul que j’aie réussi à photographier du regard. Peut-être parce qu’il était immobile. Sans l’avoir voulu. Je lui avais brisé le cou.

— Et l’autre que vous avez tué ? Blond ou brun ?

— « Belsen ». Il était brun.

— Non, je parle de celui de la ferme. Bon, aucune importance. Vous en avez tué deux et blessé trois autres avant qu’ils arrivent à vous immobiliser par le poids des corps. Je dois rendre hommage à votre instructeur. Dans notre fuite, nous n’avons pas réussi à en éliminer suffisamment pour les empêcher de vous capturer… Mais je considère que c’est grâce à vous que nous avons gagné la bataille qui nous a permis de vous récupérer, parce que vous en aviez liquidé suffisamment à vous seule, Vendredi. Vous étiez enchaînée et inconsciente, mais vous avez gagné la dernière bagarre. Continuez, je vous prie.