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"Ink" ou bien encore ce suc noirâtre vient de France

Squamuglia singe la cour et ses splendeurs

Ancre chargée d'algues venues des profondeurs

Ceci encore:

Cette plume venue du cygne ce parchemin

D'un mouton furent arrachés à grande douleur

Or l'encre soyeuse coule entre les deux sans heurt

Tout cela l'amuse énormément. Ayant terminé son billet pour Gennaro, il y met son sceau, Niccolo glisse le rouleau dans son pourpoint. Le voilà parti pour Faggio. Comme Ercole, il ignore tout du coup d'État et de sa prochaine accession au trône ducal de Faggio. La scène passe maintenant à Gennaro qui, à la tête d'une petite troupe armée, marche sur Squamuglia. Si Angelo veut la paix, il ferait mieux de leur envoyer un messager avant la frontière, c'est ce qu'ils disent. Il faudra autrement qu'il y passe. À Squamuglia, Vittorio, le courrier du duc, rapporte les félonies de Niccolo. Un messager entre en coup de vent: le corps mutilé de Domenico, l'infidèle ami de Niccolo, vient d'être découvert; on a trouvé un message dans son soulier, message griffonné avec son sang, et qui révèle la véritable identité de Niccolo. Angelo fait sur-le-champ une épouvantable colère, et ordonne qu'on se lance à la poursuite de Niccolo pour le mettre à mort. Mais il ne veut pas que ses hommes s'en chargent.

C'est à ce moment-là, en fait, que les choses deviennent vraiment bizarres, et une sorte de frisson glacé souffle tout à coup à travers ces vers. Jusque-là, les noms devaient être pris littéralement ou comme des métaphores. Désormais, tandis que le duc donne son ordre fatal, un nouveau mode d'expression apparaît. Disons qu'il s'agit d'une sorte de répugnance rituelle devant les mots. Il est clair que certaines choses ne seront évoquées que par allusion; quant aux événements, certains ne seront pas montrés sur scène; encore que, étant donné le nombre d'excès commis pendant les actes précédents, l'on peut se demander ce que cela pourrait bien être. Et le duc n'éclaircira rien: peut-être ne le peut-il pas. Tout en hurlant ses ordres à Vittorio, il est parfaitement explicite en ce qui concerne ceux qui n'iront pas à la poursuite de Niccolo: et il traite ses propres gardes du corps de vermine, de niais, de poltrons. Mais alors, qui seront les poursuivants? Vittorio le sait: toute cette valetaille de la cour, occupée à ne rien faire dans la livrée de Squamuglia et qui échange des regards lourds de sens, le sait. Angelo le sait, mais n'en dit rien. Tout cela constitue une vaste plaisanterie hermétique, mais claire pour les spectateurs du temps. Ses paroles sont de fait fort obscures:

D'un nom fort respecté le vil usurpateur

Garde dedans la tombe du masque la moiteur

Sous son heaume fermé mais que la vérité

Agile des poignards frappe la nudité

Reconnue d'un visage voué à la vengeance

Niccolo doux ami au souffle de ces rimes

Qu'une âme vile et noire sombre dans les abîmes

De l'Enfer...

Mais voici de nouveau Gennaro et son armée. Un espion arrive de Squamuglia pour lui annoncer que Niccolo s'est mis en route. Explosion de joie, mais Gennaro, qui s'exprime plutôt par monologues oratoires que par dialogues, rappelle que Niccolo chevauche encore sous les couleurs de Thurn & Taxis. Les exclamations cessent subitement. Comme tout à l'heure à la cour d'Angelo, on sent passer un curieux frisson. Sur la scène, tous les acteurs (on leur a indiqué cela clairement) prennent conscience d'une possibilité. Gennaro, encore plus obscur qu'Angelo, invoque pour Niccolo la protection de Dieu et de saint Narcisse, puis ils reprennent leur course. Gennaro demande à un lieutenant où ils sont: à une lieue environ de ce lac où la Garde perdue de Faggio a été vue pour la dernière fois avant sa mystérieuse disparition.

Pendant ce temps, au palais d'Angelo, le rusé Ercole est finalement pris au piège. Empoigné par Vittorio et une demi-douzaine d'autres, il est accusé du meurtre de Domenico. C'est alors un défilé de témoins et, après un simulacre de procès, Ercole, dans une scène d'une simplicité reposante, tombe frappé de multiples coups de poignard.

C'est au cours de la scène suivante que nous verrons Niccolo pour la dernière fois. Il s'est arrêté pour se reposer sur les rives d'un lac où, il s'en souvient maintenant, la garde de Faggio, à ce que l'on raconte, a disparu. Assis sous un arbre, il ouvre la lettre d'Angelo, apprenant du même coup l'insurrection et la mort de Pasquale. Il comprend qu'il galope vers la restauration, l'amour de tout un duché, et la réalisation de ses plus vertueuses espérances. Il s'appuie contre son arbre, il relit à haute voix des passages de la lettre en les commentant d'un ton sarcastique, car c'est visiblement un tissu de mensonges imaginés pour apaiser Gennaro en attendant qu'Angelo ait pu, à Squamuglia, lever une armée afin d'envahir Faggio. En coulisse, on entend des bruits de pas. Niccolo se lève à la hâte, l'œil côté cour, la main crispée sur son épée. Pris d'un tremblement, le voilà incapable de parler, il finit par bégayer - et c'est sans doute le vers de tragédie le plus bref jamais écrit - T-t-t-t-t-... Et comme sortant de la paralysie d'un rêve, d'un pas de somnambule, il recule lentement. Soudain, trois ombres silencieuses, souples comme des danseurs, apparaissent, longues, efféminées, vêtues de collants et de gants noirs, avec, sur le visage, des bas de soie. Ils bondissent sur la scène et s'immobilisent à sa vue. Les bas déforment leurs visages qui se noient dans l'ombre. Ils attendent. Les lumières s'éteignent.

À Squamuglia, Angelo s'efforce de rassembler une armée, sans succès. Désespéré, il rassemble ses courtisans et les jolies filles qui restent, il fait rituellement verrouiller toutes les issues, on apporte du vin, une orgie commence.

L'acte se termine sur une vue des troupes de Gennaro massées sur les rives du lac. Un soldat s'avance, et annonce qu'un corps vient d'être découvert, dans un état trop épouvantable pour qu'on en puisse parler. À une amulette qu'il portait au cou depuis son enfance, on a reconnu Niccolo. Long silence, les acteurs se regardent. Le soldat tend à Gennaro un rouleau de parchemin taché de sang que l'on a trouvé sur le cadavre. Au sceau, l'on voit qu'il s'agit d'une lettre d'Angelo. Gennaro y jette un coup d'œil, il la lit à haute voix. Ce n'est plus le document bourré de mensonges dont Niccolo nous a lu des extraits: miraculeusement, c'est devenu la confession de tous les crimes d'Angelo, et cela se termine par la révélation de ce qui arriva réellement à la Garde disparue. Ils furent - ô surprise - tous massacrés par Angelo et jetés dans le lac. On repêcha ensuite leurs os dont on fit du noir animal, puis de l'encre qu'Angelo, avec un sens bien personnel de l'humour noir, utilisa ensuite pour toute sa correspondance avec Faggio, et aussi pour cette lettre.

Alors les os blanchis de tous ces innocents

Candides innocents vont se mêler au sang

Du pauvre Niccolo et c'est de leur rencontre

Qu'un miracle jaillit et soudain il nous montre

Toute la vérité où régnait le mensonge

Nobles morts de Faggio, ô nobles nobles morts.

Devant ce miracle, ils tombent tous à genoux, ils bénissent le Seigneur, pleurent Niccolo, et font le vœu de détruire Squamuglia. Mais Gennaro introduit une note plus désespérée, qui fut certainement un choc pour les contemporains, car enfin on entend le nom qu'Angelo avait gardé secret, et que Niccolo avait tenté de garder secret: