Выбрать главу

Décorant chacun des angles, Œdipa vit un cor de chasse avec une seule spirale. Presque le symbole de WASTE.

- C'est le cor des postes, dit Cohen. Le symbole de Thurn & Taxis. Leur blason.

Tacite désormais pose sa corne d'or

Œdipa n'avait pas oublié ce vers.

- Alors, dit-elle, ce filigrane que vous avez trouvé, c'est presque pareil, sauf ce petit machin qui sort du pavillon.

- C'est idiot, dit Cohen, mais on dirait une sourdine.

Oui. Les costumes noirs, le silence, le mystère. Le but de ces inconnus était de réduire au silence le cor postal de Thurn & Taxis.

- Normalement, cette série, et les autres, ne comportent pas de filigrane, et d'autres détails (la gravure, le nombre de perforations, le vieillissement du papier) montrent que c'est un faux, et pas seulement une erreur.

- Alors, il ne vaut rien.

Cohen sourit et se moucha.

- Vous seriez surprise, dit-il, du prix que peut atteindre un faux honnête. Il existe même des collectionneurs qui se spécialisent dans ce genre. La question est de savoir qui les a faits? Ils sont vraiment atroces.

Il retourna le timbre du bout de sa pince et le lui montra. L'image représentait un cavalier du Pony Express sortant en galopant d'un fort de l'Ouest. Parmi les buissons à droite, peut-être là où allait le cavalier, se dressait une seule plume noire, péniblement gravée.

- Et pourquoi y ajouter une erreur délibérée? dit encore Cohen, sans se soucier de l'expression d'Œdipa, si toutefois il l'avait remarquée. J'en ai déjà repéré huit. Ils ont tous cette même erreur, laborieusement ajoutée au dessin, comme pour attirer l'attention. Il y a même une inversion, en plus, US Postage.

- Il date de quand? laissa-t-elle échapper, d'une voix trop forte.

- Qu'y a-t-il, Miss Maas?

Elle lui raconta l'histoire de la lettre de Mucho, avec la flamme qui lui conseillait de signaler toute correspondance obscène à son potsmaster.

- Oui, c'est bizarre. Il consulta son carnet. Cette inversion ne se trouve que sur le Lincoln 4 cents, série normale, de 1954. Les autres faux datent de 1893.

- Soixante-dix ans, dit-elle. Il ne serait plus tout jeune.

Si c'est bien le même, dit Cohen. Et si c'était aussi vieux que Thurn & Taxis? Omedio Tassis, banni de Milan, organisa les premiers services de courriers dans la région de Bergame vers 1290.

Ils restèrent assis, silencieux, à écouter la pluie qui rongeait languissamment les fenêtres et les lucarnes. Ils se trouvaient soudain confrontés à une hypothèse merveilleuse.

- Cela s'est déjà produit? fit-elle enfin.

- Une tradition de fraude postale vieille de huit cents ans? Non, pas à ma connaissance.

Œdipa lui parla de la chevalière de Mr. Thoth, et du symbole qu'elle avait surpris Stanley Koteks en train de dessiner, et du cor avec sa sourdine dessiné dans les lavabos des dames du Scope.

- En tout cas, ils sont encore très actifs, apparemment, crut-il devoir ajouter.

- On le dit au gouvernement, ou quoi?

- Ils doivent en savoir plus que nous. (Il semblait soudain nerveux, ou sur la défensive). Non, je pense que non. Ce ne sont pas nos affaires, après tout.

Elle lui parla ensuite des initiales W.A.S.T.E., mais il était trop tard Elle avait perdu le contact. Il dit non, mais de façon si abrupte que la cassure avec ce qu'elle pensait était totale. Peut-être mentait-il, après tout. Il lui versa encore un peu de, vin de pissenlit.

- Il est clair à nouveau, dit-il, d'un ton compassé. Il s'est troublé il y a quelques mois. Vous comprenez, au printemps, quand les pissenlits recommencent à fleurir, le vin fermente. Comme s'ils se souvenaient.

Non, songea tristement Œdipa. Comme si, d'une façon ou d'une autre leur cimetière originel existait encore, dans un pays où l'on peut encore se promener, sans avoir besoin de l'East San Narciso Freeway, où les os reposent en paix, à nourrir des fantômes de pissenlits, sans que personne vienne les retourner. Comme si les morts se survivaient, même dans une bouteille de vin.

V

Elle aurait dû pour le coup suivant revoir immédiatement Randolph Driblette, mais elle préféra aller jusqu'à Berkeley. Elle voulait d'abord savoir d'où Richard Wharfinger tenait ses renseignements sur Trystero. Peut-être aussi voulait-elle voir un peu comment John Nefastis, l'inventeur, recevait son courrier.

Comme cela avait été le cas avec Mucho quand elle avait quitté Kinneret, Metzger ne sembla pas désespéré de la voir partir. Tout en roulant vers le nord, elle se demanda si elle allait s'arrêter chez elle en allant à Berkeley ou en revenant. Il se trouva qu'elle manqua la sortie pour Kinneret, ce qui classa le problème. Elle suivit doucement la côte est de la baie, gravit bientôt les collines de Berkeley et, vers minuit, arriva devant un vaste hôtel dans le style baroque allemand. Les moquettes étaient d'un vert profond le long des couloirs courbes, sous les lustres aux décorations lourdes. Dans le hall, il y avait un écriteau "Soyez les bienvenus à la réunion californienne de l'association des sourds-muets américains". Toutes les lumières brillaient d'un éclat agressif... Il régnait dans tout le bâtiment un silence lourd. Un employé bondit derrière le comptoir et se mit à lui parler par signes. Œdipa se demanda si elle allait tendre le doigt pour lui conseiller de se le fourrer dans le cul, juste pour voir ce que cela donnerait. Mais elle avait fait la route sans étape, et elle se sentit soudain épuisée. L'employé la conduisit jusqu'à une chambre avec une reproduction d'un Remedios Varo. Les couloirs serpentaient doucement comme les rues de San Narciso. Le même silence était toujours aussi profond. Elle s'endormit presque aussitôt, mais elle se réveilla plusieurs fois au cours d'un cauchemar dans lequel quelque chose dans le miroir au pied du lit jouait un rôle essentiel. Une menace, seulement hypothétique, rien de visible. Lorsque finalement elle sombra dans le sommeil, elle rêva que son mari, Mucho, était en train de lui faire l'amour sur une douce plage de sable blanc dans une Californie qu'elle ne connaissait pas.

Quand elle se réveilla le matin, elle était assise toute droite devant la glace qui lui renvoyait l'image de son visage épuisé.

The Lectern Press avait ses bureaux dans un petit immeuble de Shattuck Avenue. Ils n'avaient pas là d'exemplaire des pièces de Ford, Webster, Tourneur et Wharfinger, mais, contre un chèque de 12,50 dollars, ils lui donnèrent l'adresse de leur entrepôt et un bon de caisse à montrer au magasinier. Quand elle eut enfin le livre en main, c'était déjà l'après-midi. Elle feuilleta rapidement le texte, à la recherche du vers en question. Soudain, sous l'ombre mouchetée du feuillage, elle se figea.

Aucune étoile ne veillera quand il dort, (cela commençait bien ainsi) sur celui qui un jour s'est mis en travers des concupiscences d'Angelo.

- Mais non! s'écria-t-elle à haute voix, "sur l'ancien compagnon du pauvre Trystero".

La note au crayon dans l'exemplaire broché signalait une variante. Mais le livre de poche était censé être la reproduction exacte du livre qu'elle avait maintenant entre les mains. Intriguée, elle vit qu'il y avait également une note dans cette édition.

D'après le Quarto de 1687. Dans le Folio original, un plomb remplace le vers suivant. D'Amico suggère que Wharfinger avait peut-être introduit là une comparaison calomnieuse pour une personne de la Cour, et que cette "restauration" tardive pourrait être l'œuvre de l'imprimeur, Inigo Barfstable. L'édition douteuse "Whitechapel" (c. 1670) donne "Sur l'odieux, triste guet-apens de Niccolo". L'alexandrin est bien mauvais, de plus, sur le plan syntaxique, il reste obscur, à moins d'admettre l'explication peu orthodoxe mais assez convaincante de J.-K. Sale: il y voit un jeu de mots sur "Ce trystero dies irae..." Évidemment, le vers est toujours aussi faible, car le mot trystero demeure inintelligible, à moins d'y voir une variante pseudo-italienne de trits (misérable, débauché). Mais l'édition "Whitechapel", qui de plus est fragmentaire, abonde en vers déformés et sans doute apocryphes, comme nous l'avons déjà signalé, et ne saurait être prise comme base de référence.