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— Imperméables, commente-t-elle à voix haute en passant devant un rayon.

— Neuf ingénieurs se mettent le cerveau à la torture pour pondre les machines qui réaliseront ledit emballage. Seize acheteurs se mettent en vingt-quatre pour trouver les matériaux adéquats en quantité suffisante. Trente-trois agents en douane et transporteurs restent pendus au téléphone jusqu’à deux heures du matin pour assurer l’arrivée à bon port de soixante-dix mille tonnes de matériel. Et quand la boîte arrive dans ta cuisine, tu l’ouvres en la poignardant avec un couteau à jambon.

— Costumes de bain, dit-elle. Qu’est-ce que tu disais, chéri ?

— Rien, chérie.

Elle éparpille rapidement le contenu d’un bac de plastique étiqueté taille 5. « Voilà ! » Elle brandit une paire de boxer-short bleu marine à liseré rouge.

— On dirait une bambinette.

— C’est élastique, dit-elle.

Ça se discuterait peut-être mais il préfère laisser tomber. Il fouille taille 3 et en sort une paire semblable mais minuscule.

— Voilà. ! Allons-y, les gosses vont frire là-bas.

— Oh, Herb ! Idiot, ce sont des maillots de garçon, voyons !

— Ce serait vachement mignon, sur Karen.

— Mais enfin, Herb ! Ils n’ont pas de haut !

Et elle se remet à fouiller.

Il tient le minuscule maillot à bout de bras et l’examine en ruminant.

— En quoi Karen a-t-elle besoin d’un « haut » comme tu dis, à trois ans !

— En voilà un ! Oh, zut ! C’est le même que celui de Dolly Graham.

— Lequel de nos voisins sera-t-il excité par la vue des tétons d’une fillette de trois ans ?

— Inutile de débiter des obscénités.

— Je n’aime pas ce que cela sous-entend…

— Nous y voici enfin ! (Elle présente sa trouvaille en gloussant.) Oh, comme il est mignon ! Non, ce que c’est chou !

Elle le dépose dans le caddy et ils grincent rapidement vers la sortie et les caisses, avec leurs six T-shirts, leurs quatre pantalons kakis, leurs deux paires de sandales rouges à semelles de caoutchouc jaune, un maillot taille 5 bleu marine et un deux-pièces miniature…

* * *

Les enfants — ils étaient plus d’une douzaine — jouaient dans la mare et sur ses bords et, tout en jouant, ils chantaient.

Charlie n’avait jamais entendu chanter de la sorte. Il avait entendu beaucoup plus mauvais et, pour ce qui est de l’art du chant, il avait parfois entendu mieux, mais il n’avait jamais entendu chanter de la sorte. C’était comparable au bruit que font certaines toupies percées de trous en tournant : elles émettent un accord de sixte qui, quand elles ralentissent, passe à la quarte, voire à la tierce. C’est ainsi que ces enfants chantaient. Il y avait parmi eux des adolescents, mais aussi de vrais morveux et ce qu’il y avait de réellement extraordinaire, c’est que leur participation au chant, intermittente, mais toujours parfaitement accordée, semblait se faire instinctivement, sans aucun effort, aucune direction, aucun chef d’orchestre. De la quinzaine de voix disponibles, jamais plus de quatre — jamais plus de cinq, en tout cas — ne chantaient en même temps. Cette musique, ce chœur, restait comme suspendu au-dessus des enfants comme la buée qui entoure les troupeaux de rennes dans les plaines blanches de Laponie. Un groupe jouant violemment au ballon lançait un accord, qui était bientôt repris par un autre groupe, de l’autre côté de l’étang, mais imperceptiblement modifié, passant parfois de majeur en mineur par la subtile introduction d’un dièse là où l’oreille l’attendait le moins. Aisance, douceur, plaisir.

La plupart des enfants étaient nus ; tous avaient des membres fins et allongés, des yeux clairs, des corps fermes. Pour l’œil encore mal éduqué de Charlie Johns, tous avaient plutôt l’air de petites filles. Ils ne se concentraient pas le moins du monde sur la musique, mais couraient, s’ébrouaient, élevant des constructions de sable et de briques de couleur. Trois d’entre eux discutaient de leurs voix fluettes dans la langue de tourterelle du peuple de Ledom. Mais dans les intervalles de la conversation, ils participaient comme en se jouant au chœur général, reprenant les accords et les renvoyant dans les airs comme des bulles de savon. Charlie avait déjà entendu quelque chose de semblable, il s’en souvenait maintenant. C’était dans la cour intérieure de Celui de la Médecine. Mais le chœur des adultes n’était pas aussi brillant, ni aussi facile d’apparence. Cette musique chorale, il allait désormais l’entendre partout où les Ledom se groupaient en nombre important.

— Pourquoi chantent-ils ainsi ?

— Ils font tout ensemble, expliqua Philos, les yeux brillants. Quand ils sont réunis mais occupés à des activités diverses, ils chantent. Quoi qu’ils fassent d’autre, quand ils chantent ainsi, ils sont ensemble, se le manifestent et le ressentent profondément. Ils sentent cette musique comme la chaleur du ciel sur leur peau et sans y penser — ils en jouissent, ils l’aiment. Ils la modifient pour le seul plaisir, comme celui-ci que tu aperçois marchant de l’eau fraîche à ces pierres chaudes, pour le seul plaisir de ses pieds. La musique est dans l’air qui les entoure ; ils la lui empruntent et la lui rendent. Écoute ! Je vais te montrer quelque chose.

Doucement mais d’une voix claire, il lança trois notes rapides : do, sol, mi…

Et comme si les notes avaient été trois balles colorées, envoyées à trois enfants, trois enfants les reprirent — chacun une, de sorte que lancées sous forme d’arpège, elles furent reprises en chœur sous forme d’accord. Et voilà qu’un enfant — et Charlie vit lequel, un gamin qui se tenait debout dans l’eau jusqu’à la ceinture — modifia l’une des notes : do, fa, mi… arpège puis accord, et, sitôt après, ré, fa, mi… puis encore fa, do, la… Et ainsi de suite en une progression modulée de sixième augmentée en neuvième augmentée, jusqu’à une septième fragile appelant la tonique mais aboutissant au relatif mineur. À la longue, l’arpège fut perdu en tant que tel et le chœur se rétablit.

— C’est… vraiment beau, soupira Charlie.

Il aurait voulu trouver, pour le dire, des mots aussi beaux que la musique qu’il entendait et se méprisait un peu d’en être incapable.

Philos annonça joyeusement.

— Voilà Grocide !

Grocide, enveloppé d’une cape écarlate que seul un ruban maintenait autour de sa gorge, était apparu sur le seuil de la ferme. Il regarda dans leur direction, fit un signe du bras et lança les trois notes que Philos avait chantées (et qui furent aussitôt reprises par les enfants pour subir le même traitement que précédemment) puis il rit.

Philos expliqua à Charlie.

— Il nous indique qu’il nous a reconnus dès qu’il a entendu ces trois notes. (Il éleva la voix.) Grocide ! Tu peux nous recevoir ?

Grocide leur adressa un joyeux signe d’acquiescement et ils dévalèrent la pente de la colline. Grocide prit un enfant dans ses bras et vint à leur rencontre. Il avait assis l’enfant sur ses épaules et le petit glapissait de joie, jetant des coups de pied aux plis flottants de la cape écarlate.

— Ah, Philos ! Tu as amené Charlie Johns ! Venez, venez, tous les deux ! Content de vous voir !

Charlie s’étonna de voir Grocide et Philos s’embrasser. Quand Grocide s’approcha de lui, il lui tendit assez raidement la main. Comprenant aussitôt, l’autre s’en saisit, la pressa puis la relâcha presque instantanément.