Выбрать главу

– Elle est au Louvre, comme vous savez.

– 213 –

– Oui, où elle manque de tout, n’est-ce pas ? Pendant les grands froids de cet hiver, sa fille malade, m’a-t-on dit, était forcée, faute de bois, de rester couchée. Comprenez-vous cela ? dit Athos en haussant les épaules. La fille de Henri IV grelottant faute d’un fagot ! Pourquoi n’est-elle pas venue demander l’hospitalité au premier venu de nous au lieu de la demander au Mazarin ! elle n’eût manqué de rien.

– La connaissez-vous donc, Athos ?

– Non, mais ma mère l’a vue enfant. Vous ai-je jamais dit que ma mère avait été dame d’honneur de Marie de Médicis ?

– Jamais. Vous ne dites pas de ces choses-là, vous, Athos.

– Ah ! mon Dieu si, vous le voyez, reprit Athos ; mais encore faut-il que l’occasion s’en présente.

– Porthos ne l’attendrait pas si patiemment, dit d’Artagnan avec un sourire.

– Chacun sa nature, mon cher d’Artagnan. Porthos a, mal-gré un peu de vanité, des qualités excellentes. L’avez-vous revu ?

– Je le quitte il y a cinq jours, dit d’Artagnan.

Et alors il raconta, avec la verve de son humeur gasconne, toutes les magnificences de Porthos en son château de Pierrefonds ; et, tout en criblant son ami, il lança deux ou trois flèches à l’adresse de cet excellent M. Mouston.

– J’admire, répliqua Athos en souriant de cette gaieté qui lui rappelait leurs bons jours, que nous ayons autrefois formé au hasard une société d’hommes encore si bien liés les uns aux autres, malgré vingt ans de séparation. L’amitié jette des racines bien profondes dans les cœurs honnêtes, d’Artagnan ; croyez-

– 214 –

moi, il n’y a que les méchants qui nient l’amitié, parce qu’ils ne la comprennent pas. Et Aramis ?

– Je l’ai vu aussi, dit d’Artagnan, mais il m’a paru froid.

– Ah ! vous avez vu Aramis, reprit Athos en regardant

d’Artagnan avec son œil investigateur. Mais c’est un véritable pèlerinage, cher ami, que vous faites au temple de l’Amitié, comme diraient les poètes.

– Mais oui, dit d’Artagnan embarrassé.

– Aramis, vous le savez, continua Athos, est naturellement froid, puis il est toujours empêché dans des intrigues de femmes.

– Je lui en crois en ce moment une fort compliquée, dit d’Artagnan.

Athos ne répondit pas.

– Il n’est pas curieux, pensa d’Artagnan.

Non seulement Athos ne répondit pas, mais encore il changea la conversation.

– Vous le voyez, dit-il en faisant remarquer à d’Artagnan qu’ils étaient revenus près du château, en une heure de promenade, nous avons quasi fait le tour de mes domaines.

– Tout y est charmant, et surtout tout y sent son gentilhomme, répondit d’Artagnan.

En ce moment on entendit le pas d’un cheval.

– 215 –

– C’est Raoul qui revient, dit Athos, nous allons avoir des nouvelles de la pauvre petite.

En effet, le jeune homme reparut à la grille et rentra dans la cour tout couvert de poussière, puis sauta à bas de son cheval qu’il remit aux mains d’une espèce de palefrenier ; il vint saluer le comte et d’Artagnan.

– Monsieur, dit Athos en posant la main sur l’épaule de d’Artagnan, monsieur est le chevalier d’Artagnan, dont vous m’avez entendu parler souvent, Raoul.

– Monsieur, dit le jeune homme en saluant de nouveau et plus profondément, M. le comte a prononcé votre nom devant moi comme un exemple chaque fois qu’il a eu à citer un gentilhomme intrépide et généreux.

Ce petit compliment ne laissa pas que d’émouvoir

d’Artagnan, qui sentit son cœur doucement remué. Il tendit une main à Raoul en lui disant :

– Mon jeune ami, tous les éloges que l’on fait de moi doivent retourner à M. le comte que voici : car il a fait mon éducation en toutes choses, et ce n’est pas sa faute si l’élève a si mal profité. Mais il se rattrapera sur vous, j’en suis sûr. J’aime votre air, Raoul, et votre politesse m’a touché.

Athos fut plus ravi qu’on ne saurait le dire : il regarda d’Artagnan avec reconnaissance, puis attacha sur Raoul un de ces sourires étranges dont les enfants sont fiers lorsqu’ils les saisissent.

– À présent, se dit d’Artagnan, à qui ce jeu muet de physionomie n’avait point échappé, j’en suis certain.

– 216 –

– Eh bien ! dit Athos, j’espère que l’accident n’a pas eu de suite ?

– On ne sait encore rien, monsieur, et le médecin n’a rien pu dire à cause de l’enflure ; il craint cependant qu’il n’y ait quelque nerf endommagé.

– Et vous n’êtes pas resté plus tard près de madame de Saint-Rémy ?

– J’aurais craint de n’être pas de retour pour l’heure de votre dîner, monsieur, dit Raoul, et par conséquent de vous faire attendre.

En ce moment un petit garçon, moitié paysan, moitié laquais, vint avertir que le souper était servi.

Athos conduisit son hôte dans une salle à manger fort simple, mais dont les fenêtres s’ouvraient d’un côté sur le jardin et de l’autre sur une serre où poussaient de magnifiques fleurs.

D’Artagnan jeta les yeux sur le service : la vaisselle était magnifique ; on voyait que c’était de la vieille argenterie de famille. Sur un dressoir était une aiguière d’argent superbe ; d’Artagnan s’arrêta à la regarder.

– Ah ! voilà qui est divinement fait, dit-il.

– Oui, répondit Athos, c’est un chef-d’œuvre d’un grand artiste florentin nommé Benvenuto Cellini.

– Et la bataille qu’elle représente ?

– Est celle de Marignan. C’est le moment où l’un de mes ancêtres donne son épée à François Ier, qui vient de briser la sienne. Ce fut à cette occasion qu’Enguerrand de la Fère, mon

– 217 –

aïeul, fut fait chevalier de Saint-Michel. En outre, le roi, quinze ans plus tard, car il n’avait pas oublié qu’il avait combattu trois heures encore avec l’épée de son ami Enguerrand sans qu’elle se rompît, lui fit don de cette aiguière et d’une épée que vous avez peut-être vue autrefois chez moi, et qui est aussi un assez beau morceau d’orfèvrerie. C’était le temps des géants, dit Athos.

Nous sommes des nains, nous autres, à côté de ces hommes-là.

Asseyons-nous, d’Artagnan, et soupons. À propos, dit Athos au petit laquais qui venait de servir le potage, appelez Charlot.

L’enfant sortit, et, un instant après, l’homme de service auquel les deux voyageurs s’étaient adressés en arrivant entra.

– Mon cher Charlot, lui dit Athos, je vous recommande

particulièrement, pour tout le temps qu’il demeurera ici, Planchet, le laquais de monsieur d’Artagnan. Il aime le bon vin ; vous avez la clef des caves. Il a couché longtemps sur la dure et ne doit pas détester un bon lit ; veillez encore à cela, je vous prie.

Charlot s’inclina et sortit.

– Charlot est aussi un brave homme, dit le comte, voici dix-huit ans qu’il me sert.

– Vous pensez à tout, dit d’Artagnan, et je vous remercie pour Planchet, mon cher Athos.

Le jeune homme ouvrit de grands yeux à ce nom, et regar-da si c’était bien au comte que d’Artagnan parlait.

– Ce nom vous paraît bizarre, n’est-ce pas, Raoul ? dit Athos en souriant. C’était mon nom de guerre, alors que M. d’Artagnan, deux braves amis et moi faisions nos prouesses à La Rochelle sous le défunt cardinal et sous M. de Bassompierre qui est mort aussi depuis. Monsieur daigne me conserver ce