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Quant à M. de Beaufort, il était arrivé, lui, du Vendômois apportant, dit la chronique, sa haute mine, de beaux et longs cheveux et cette popularité qui lui valut la royauté des Halles.

L’armée parisienne s’était alors organisée avec cette promptitude que les bourgeois mettent à se déguiser en soldats, lorsqu’ils sont poussés à cette transformation par un sentiment quelconque. Le 19, l’armée improvisée avait tenté une sortie, plutôt pour s’assurer et assurer les autres de sa propre existence que pour tenter quelque chose de sérieux, faisant flotter au-dessus de sa tête un drapeau, sur lequel on lisait cette singulière devise: Nous cherchons notre roi.

Les jours suivants furent occupés à quelques petites opérations partielles qui n’eurent d’autre résultat que l’enlèvement de quelques troupeaux et l’incendie de deux ou trois maisons.

On gagna ainsi les premiers jours de février, et c’était le 1er de ce mois que nos quatre compagnons avaient abordé à Boulogne et avaient pris leur course vers Paris chacun de son côté.

Vers la fin du quatrième jour de marche ils évitaient Nanterre avec précaution, afin de ne pas tomber dans quelque parti de la reine.

C’était bien à contre-cœur qu’Athos prenait toutes ces précautions, mais Aramis lui avait très judicieusement fait observer qu’ils n’avaient pas le droit d’être imprudents, qu’ils étaient chargés, de la part du roi Charles, d’une mission suprême et sacrée, et que cette mission reçue au pied de l’échafaud ne s’achèverait qu’aux pieds de la reine.

Athos céda donc.

Aux faubourgs, nos voyageurs trouvèrent bonne garde, tout Paris était armé. La sentinelle refusa de laisser passer les deux gentilshommes, et appela son sergent.

Le sergent sortit aussitôt, et prenant toute l’importance qu’ont l’habitude de prendre les bourgeois lorsqu’ils ont le bonheur d’être revêtus d’une dignité militaire:

– Qui êtes-vous, messieurs? demanda-t-il.

– Deux gentilshommes, répondit Athos.

– D’où venez-vous?

– De Londres.

– Que venez-vous faire à Paris?

– Accomplir une mission près de Sa Majesté la reine d’Angleterre.

– Ah çà! tout le monde va donc aujourd’hui chez la reine d’Angleterre! répliqua le sergent. Nous avons déjà au poste trois gentilshommes dont on visite les passes et qui vont chez Sa Majesté. Où sont les vôtres?

– Nous n’en avons point.

– Comment! vous n’en avez point?

– Non, nous arrivons d’Angleterre, comme nous vous l’avons dit; nous ignorons complètement où en sont les affaires politiques, ayant quitté Paris avant le départ du roi.

– Ah! dit le sergent d’un air fin, vous êtes des mazarins qui voudriez bien entrer chez nous pour nous espionner.

– Mon cher ami, dit Athos, qui avait jusque-là laissé à Aramis le soin de répondre, si nous étions des mazarins, nous aurions au contraire tous les passes possibles. Dans la situation où vous êtes, défiez-vous avant tout, croyez-moi, de ceux qui sont parfaitement en règle.

– Entrez au corps de garde, dit le sergent; vous exposerez vos raisons au chef du poste.

Il fit un signe à la sentinelle, elle se rangea; le sergent passa le premier, les deux gentilshommes le suivirent au corps de garde.

Ce corps de garde était entièrement occupé par des bourgeois et des gens du peuple; les uns jouaient, les autres buvaient, les autres péroraient.

Dans un coin et presque gardés à vue, étaient les trois gentilshommes arrivés les premiers et dont l’officier visitait les passes. Cet officier était dans la chambre voisine, l’importance de son grade lui concédant l’honneur d’un logement particulier.

Le premier mouvement des nouveaux venus et des premiers arrivés fut, des deux extrémités du corps de garde, de jeter un regard rapide et investigateur les uns sur les autres. Les premiers venus étaient couverts de longs manteaux dans les plis desquels ils étaient soigneusement enveloppés. L’un d’eux, moins grand que ses compagnons, se tenait en arrière dans l’ombre.

À l’annonce que fit en entrant le sergent, que selon, toute probabilité, il amenait deux mazarins, les trois gentilshommes dressèrent l’oreille et prêtèrent attention. Le plus petit des trois, qui avait fait deux pas en avant, en fit un en arrière et se retrouva dans l’ombre.

Sur l’annonce que les nouveaux venus n’avaient point de passes, l’avis unanime du corps de garde parut être qu’ils n’entreraient pas.

– Si fait, dit Athos, il est probable au contraire que nous entrerons, car nous paraissons avoir affaire à des gens raisonnables. Or, il y aura une chose bien simple à faire: ce sera de faire passer nos noms à Sa Majesté la reine d’Angleterre; et si elle répond de nous, j’espère que vous ne verrez plus aucun inconvénient à nous laisser le passage libre.

À ces mots l’attention du gentilhomme caché dans l’ombre redoubla et fut même accompagnée d’un mouvement de surprise tel, que son chapeau, repoussé par le manteau dont il s’enveloppait plus soigneusement encore qu’auparavant, tomba; il se baissa et le ramassa vivement.

– Oh! mon Dieu! dit Aramis poussant Athos du coude, avez-vous vu?

– Quoi? demanda Athos.

– La figure du plus petit des trois gentilshommes?

– Non.

– C’est qu’il m’a semblé… mais c’est chose impossible…

En ce moment le sergent, qui était allé dans la chambre particulière prendre des ordres de l’officier du poste, sortit, et désignant les trois gentilshommes, auxquels il remit un papier:

– Les passes sont en règle, dit-il, laissez passer ces trois messieurs.

Les trois gentilshommes firent un signe de tête et s’empressèrent de profiter de la permission et du chemin qui, sur l’ordre du sergent, s’ouvrait devant eux.

Aramis les suivit des yeux; et au moment où le plus petit passait devant lui, il serra vivement la main d’Athos.

– Qu’avez-vous, mon cher? demanda celui-ci.

– J’ai… c’est une vision sans doute.

Puis, s’adressant au sergent:

– Dites-moi, monsieur, ajouta-t-il, connaissez-vous les trois gentilshommes qui viennent de sortir d’ici?

– Je les connais d’après leur passe: ce sont MM. de Flamarens, de Châtillon et de Bruy, trois gentilshommes frondeurs qui vont rejoindre M. le duc de Longueville.

– C’est étrange, dit Aramis répondant à sa propre pensée plutôt qu’au sergent, j’avais cru reconnaître le Mazarin lui-même.

Le sergent éclata de rire.

– Lui, dit-il, se hasarder ainsi chez nous, pour être pendu; pas si bête!

– Ah! murmura Aramis, je puis bien m’être trompé, je n’ai pas l’œil infaillible de d’Artagnan.

– Qui parle ici de d’Artagnan? demanda l’officier, qui, en ce moment même, apparaissait sur le seuil de sa chambre.

– Oh! fit Grimaud en écarquillant les yeux.

– Quoi? demandèrent à la fois Aramis et Athos.

– Planchet! reprit Grimaud; Planchet avec le hausse-col!

– Messieurs de La Fère et d’Herblay, s’écria l’officier, de retour à Paris! Oh! quelle joie pour moi, messieurs! car sans doute vous venez vous joindre à MM. les princes!

– Comme tu vois, mon cher Planchet, dit Aramis, tandis qu’Athos souriait en voyant le grade important qu’occupait dans la milice bourgeoise l’ancien camarade de Mousqueton, de Bazin et de Grimaud.

– Et M. d’Artagnan dont vous parliez tout à l’heure, monsieur d’Herblay, oserai-je vous demander si vous avez de ses nouvelles?

– Nous l’avons quitté il y a quatre jours, mon cher ami, et tout nous portait à croire qu’il nous avait précédés à Paris.

– Non, monsieur, j’ai la certitude qu’il n’est point rentré dans la capitale; après cela, peut-être est-il resté à Saint-Germain.