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– Messieurs, dit-il, un autre que moi ou M. le comte de La Fère vous ferait arrêter, car nous avons quelques amis à Paris; mais nous vous offrons un moyen de partir sans être inquiétés. Venez causer cinq minutes l’épée à la main avec nous sur cette terrasse abandonnée.

– Volontiers, dit Châtillon.

– Un moment, messieurs, s’écria Flamarens. Je sais bien que la proposition est tentante, mais à cette heure il est impossible de l’accepter.

– Et pourquoi cela? dit Aramis de son ton goguenard; est-ce donc le voisinage de Mazarin qui vous rend si prudents?

– Oh! vous entendez, Flamarens, dit Châtillon, ne pas répondre serait une tache à mon nom et à mon honneur.

– C’est mon avis, dit Aramis.

– Vous ne répondrez pas, cependant, et ces messieurs tout à l’heure seront, j’en suis sûr, de mon avis.

Aramis secoua la tête avec un geste d’incroyable insolence.

Châtillon vit ce geste et porta la main à son épée.

– Duc, dit Flamarens, vous oubliez que demain vous commandez une expédition de la plus haute importance, et que, désigné par M. le Prince, agréé par la reine, jusqu’à demain soir vous ne vous appartenez pas.

– Soit. À après-demain matin donc, dit Aramis.

– À après-demain matin, dit Châtillon, c’est bien long, messieurs.

– Ce n’est pas moi, dit Aramis, qui fixe ce terme, et qui demande ce délai, d’autant plus, ce me semble, ajouta-t-il, qu’on pourrait se retrouver à cette expédition.

– Oui, monsieur, vous avez raison, s’écria Châtillon, et avec grand plaisir, si vous voulez prendre la peine de venir jusqu’aux portes de Charenton.

– Comment donc, monsieur! pour avoir l’honneur de vous rencontrer j’irais au bout du monde, à plus forte raison ferai-je dans ce but une ou deux lieues.

– Eh bien! à demain, monsieur.

– J’y compte. Allez-vous-en donc rejoindre votre cardinal. Mais auparavant jurez sur l’honneur que vous ne le préviendrez pas de notre retour.

– Des conditions!

– Pourquoi pas?

– Parce que c’est aux vainqueurs à en faire, et que vous ne l’êtes pas, messieurs.

– Alors, dégainons sur-le-champ. Cela nous est égal, à nous qui ne commandons pas l’expédition de demain.

Châtillon et Flamarens se regardèrent; il y avait tant d’ironie dans la parole et dans le geste d’Aramis, que Châtillon surtout avait grand’peine de tenir en bride sa colère. Mais sur un mot de Flamarens il se contint.

– Eh bien! soit, dit-il, notre compagnon, quel qu’il soit, ne saura rien de ce qui s’est passé. Mais vous me promettez bien, monsieur, de vous trouver demain à Charenton, n’est-ce pas?

– Ah! dit Aramis, soyez tranquilles, messieurs.

Les quatre gentilshommes se saluèrent, mais cette fois ce furent Châtillon et Flamarens qui sortirent du Louvre les premiers, et Athos en Aramis qui les suivirent.

– À qui donc en avez-vous avec toute cette fureur, Aramis? demanda Athos.

– Eh pardieu! j’en ai à ceux à qui je m’en suis pris.

– Que vous ont-il fait?

– Ils m’ont fait… Vous n’avez donc pas vu?

– Non.

– Ils ont ricané quand nous avons juré que nous avions fait notre devoir en Angleterre. Or, ils l’ont cru ou ne l’ont pas cru; s’ils l’ont cru, c’était pour nous insulter qu’ils ricanaient; s’ils ne l’ont pas cru, ils nous insultaient encore, et il est urgent de leur prouver que nous sommes bons à quelque chose. Au reste, je ne suis pas fâché qu’ils aient remis la chose à demain, je crois que nous avons ce soir quelque chose de mieux à faire que de tirer l’épée.

– Qu’avons-nous à faire?

– Eh pardieu! nous avons à faire prendre le Mazarin.

Athos allongea dédaigneusement les lèvres.

– Ces expéditions ne me vont pas, vous le savez, Aramis.

– Pourquoi cela?

– Parce qu’elles ressemblent à des surprises.

– En vérité, Athos, vous seriez un singulier général d’armée; vous ne vous battriez qu’au grand jour; vous feriez prévenir votre adversaire de l’heure à laquelle vous l’attaqueriez, et vous vous garderiez bien de rien tenter la nuit contre lui, de peur qu’il ne vous accusât d’avoir profité de l’obscurité.

Athos sourit.

– Vous savez qu’on ne peut pas changer sa nature, dit-il; d’ailleurs, savez-vous où nous en sommes, et si l’arrestation du Mazarin ne serait pas plutôt un mal qu’un bien, un embarras qu’un triomphe?

– Dites, Athos, que vous désapprouvez ma proposition.

– Non pas, je crois au contraire qu’elle est de bonne guerre; cependant…

– Cependant, quoi?

– Je crois que vous n’auriez pas dû faire jurer à ces messieurs de ne rien dire au Mazarin; car en leur faisant jurer cela, vous avez presque pris l’engagement de ne rien faire.

– Je n’ai pris aucun engagement, je vous jure; je me regarde comme parfaitement libre. Allons, allons, Athos! allons!

– Où?

– Chez M. de Beaufort ou chez M. de Bouillon; nous leur dirons ce qu’il en est.

– Oui, mais à une condition: c’est que nous commencerons par le coadjuteur. C’est un prêtre; il est savant sur les cas de conscience, et nous lui conterons le nôtre.

– Ah! fit Aramis, il va tout gâter, tout s’approprier; finissons par lui au lieu de commencer.

Athos sourit. On voyait qu’il avait au fond du cœur une pensée qu’il ne disait pas.

– Eh bien! soit, dit-il; par lequel commençons-nous?

– Par M. de Bouillon, si vous voulez bien; c’est celui qui se présente le premier sur notre chemin.

– Maintenant vous me permettrez une chose, n’est-ce pas?

– Laquelle?

– C’est que je passe à l’hôtel du Grand-Roi-Charlemagne pour embrasser Raoul.

– Comment donc! j’y vais avec vous, nous l’embrasserons ensemble.

Tous deux avaient repris le bateau qui les avait amenés et s’étaient fait conduire aux Halles. Ils y trouvèrent Grimaud et Blaisois, qui leur tenaient leurs chevaux, et tous quatre s’acheminèrent vers la rue Guénégaud.

Mais Raoul n’était point à l’hôtel du Grand-Roi ; il avait reçu dans la journée un message de M. le Prince et était parti avec Olivain aussitôt après l’avoir reçu.

LXXXII. Les trois lieutenants du généralissime

Selon qu’il avait été convenu et dans l’ordre arrêté entre eux, Athos et Aramis, en sortant de l’auberge du Grand-Roi-Charlemagne, s’acheminèrent vers l’hôtel de M. le duc de Bouillon.

La nuit était noire, et, quoique s’avançant vers les heures silencieuses et solitaires, elle continuait de retentir de ces mille bruits qui réveillent en sursaut une ville assiégée. À chaque pas on rencontrait des barricades, à chaque détour des rues des chaînes tendues, à chaque carrefour des bivouacs; les patrouilles se croisaient, échangeant les mots d’ordre; les messagers expédiés par les différents chefs sillonnaient les places; enfin, des dialogues animés, et qui indiquaient l’agitation des esprits, s’établissaient entre les habitants pacifiques qui se tenaient aux fenêtres et leurs concitoyens plus belliqueux qui couraient les rues la pertuisane sur l’épaule ou l’arquebuse au bras.

Athos et Aramis n’avaient pas fait cent pas sans être arrêtés par les sentinelles placées aux barricades, qui leur avaient demandé le mot d’ordre; mais ils avaient répondu qu’ils allaient chez M. de Bouillon pour lui annoncer une nouvelle d’importance, et l’on s’était contenté de leur donner un guide qui, sous prétexte de les accompagner et de leur faciliter les passages, était chargé de veiller sur eux. Celui-ci était parti les précédant et chantant:

Ce brave monsieur de Bouillon

Est incommodé de la goutte.

C’était un triolet des plus nouveaux et qui se composait de je ne sais combien de couplets où chacun avait sa part.