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— Eh ben quoi, qu’est-ce c’est ce ramdam, bon Dieu de bois !

— Ouvre ! dis-je, impatienté.

La voix reprend :

— C’est de la part de qui ?

— Un ami de tonton Bérurier.

— Il est pas là, tonton, et tata non plus, faudra repasser.

— Justement, c’est à ce propos que je viens…

Léger silence, plein de méditation.

— C’est comment, vot’ nom ?

— San-Antonio !

— Le commissaire ?

— Oui, ma poule !

— Faudrait pas me charrier, passez voir vot’ carte sous la porte, que je m’assure…

Elle a une voix rigolote, la nièce. Je pressens un personnage à la Zazie. Amusé, j’obtempère et glisse ma carte dans l’appartement. À peine ai-je commencé de la couler sous le panneau de bois qu’elle est happée à l’intérieur.

— Mince, c’est pourtant textuel ! reprend la voix.

Le verrou gémit et l’huis s’entrouvre sur une bonne femme haute comme quatre pommes au regard de souris grise, aux pommettes flamboyantes et au nez retroussé. Elle a de longues nattes mal tressées qui lui pendent de chaque côté de la frimousse, et sa denture en cours de transformation peut se résumer à deux fortes canines, largement espacées à la mâchoire supérieure.

La môme me défrime, puis me compare à la photographie rivée à ma carte et déclare :

— Ouais, c’est bien vous, mais vous avez ramassé un p’tit coup de vieux depuis ce cliché. Oh ! léger, d’ailleurs je vous trouve mieux comme ça.

— Merci, mademoiselle, fais-je cérémonieusement.

Elle hausse les épaules et son regard s’assombrit :

— Foutez-vous pas de moi, grommelle miss Tresses. J’suis pas une demoiselle, j’suis une gamine.

— Comment t’appelles-tu ?

— Marie-Marie !

— Tu bégayes ou c’est ton prénom ?

— C’est mon prénom, grinche la gosse. Rapport à deux grand-mères teigneuses qui s’appelaient toutes les deux Marie et qui ont toutes les deux voulu être ma marraine.

Elle hausse ses frêles épaules :

— Au lieu d’avoir comme tout le monde un parrain et une marraine, moi j’ai eu comme qui dirait une parraine et un marrain !

— Note que c’est gentil, Marie-Marie…

— Tu parles, Charles ! Je voudrais t’y voir !

Je pénètre dans l’appartement. Un curieux spectacle s’offre à moi. Dans le fond du vestibule, miss Tresses a confectionné une tente avec une couverture et le séchoir à linge.

Le linoléum est encombré d’assiettes sales, de verres, de bouteilles de sirop, de détritus de toutes natures.

Le poste de radio est accroché au loquet d’une porte, je vais l’arrêter et me retourne vers Marie-Marie.

— Qu’est-ce que c’est que ce bidule, Bout-de-zan ?

— Je m’ai installée dans le vestibule, explique la gosse, quand je suis toute seule, les grandes pièces me filent les jetons, la nuit surtout.

— Il y a longtemps que tante Berthe t’a laissée ?

Elle plisse les yeux et compte sur ses doigts.

— Ça va faire trois jours. Heureusement qu’avait de la boustifaille dans les placards.

— Elle t’a rien dit en partant ?

— Si, qu’elle allait chez son ami le coiffeur, m’sieur Alfred, je crois me rappeler.

— Elle t’a dit qu’elle s’en allait pour plusieurs jours ?

— Non, elle m’a seulement causé qu’elle en aurait pour un bon bout de temps ! Je me doutais pas qu’elle gerbait en croisière !

M’est avis qu’elle envoie le bouchon un peu trop loin, la Bertaga. Elle a dû s’endormir sur le rôti. J’interviewe la petite. Sans se faire prier, Marie-Marie m’allonge son pedigree. Elle est de Juvisy-sur-Orge. Sa mère est partie avec un maçon italien deux ans après sa naissance et elle n’en a plus de nouvelles. Son père était camionneur. Il s’est tué l’an dernier sur la Nationale 7 en convoyant un chargement de légumes (dont il a eu la primeur, si je puis dire, puisqu’il a pris les vingt tonnes de romaines sur le dossard). Marie-Marie a été confiée à sa deuxième grand-mère, la première ayant décédée peu après son baptême.

Seulement la seconde grande-vioque est tombée dans l’escalier de sa cave la semaine précédente et s’est brisé un fagot de vertèbres plus ou moins cervicales, faisant de Marie-Marie une orpheline à part entière. On s’apprêtait à confier celle-ci à l’Assistance publique lorsque tata Berthe, alertée, est allée la récupérer.

Triste histoire, mais que l’intéressée subit vaillamment, avec entrain et bonne humeur. C’est une nature, cette Marie-Marie. Elle vous subjugue.

— Mets ton manteau, Bout-de-chou, on s’en va.

— Où ça ? fait-elle, sans enthousiasme.

— À la recherche de ta tante, parbleu.

La gamine fronce le nez, hésite et grommelle en tortillant ses tresses.

— Dommage, je me marrais bien toute seule.

Néanmoins, elle va chercher un petit manteau bleu, à martingale et coiffe à la diable un béret blanc, genre Bonnie and Clyde qui ressemble à une tarte à la crème. Puis elle déclare en me dévisageant d’un œil critique :

— Je vous suis, mais c’est bien à cause que j’ai vu vot’ carte de commissaire. Mémé m’a fait jurer de jamais rester seule avec un homme tant que je serai pas mariée.

— Quel âge as-tu, Brin d’amour ?

— Huit ans, répond-elle ; et vous feriez bien de m’appeler Marie-Marie car j’ai horreur des surnoms.

J’emmène ma trouvaille à la Grande Cabane. En me voyant radiner en compagnie de cette jouvencelle, mes collègues m’abreuvent de quolibets, style : « Eh ben, dis donc, Casanova, la moyenne d’âge de tes conquêtes a rudement baissé », et autres : « On ne savait pas que t’organisais des ballets roses. » Ces saillies ne sont pas de l’humeur de Marie-Marie qui, drapée dans son gros cache-nez de laine et dans sa dignité, laisse tomber à la cantonade un retentissant :

— Sacré bon Dieu de bois ! Et moi qui croyais que mon pauv’ papa exagérait quand y disait que tous les flics étaient aussi connards que tonton Bérurier !

Du coup, les ricaneurs déricanent et les gausseurs dégaussent. J’entraîne une Marie-Marie digne comme une pintade dans mon bureau où mon premier soin est de téléphoner chez Alfred le coiffeur, manière de rappeler Berthe au sens du devoir. Mais le turlu gazouille à perdre haleine et nul ne décroche. M’est avis qu’il a fermé son atelier à bigoudis, Alfred, et embarqué sa Baleine dans une délicate croisière sur les bords de Marne. Qu’est-ce que je vais maquiller de cette môme, tonnerre de Zeus ? Par méveine, m’man est allée passer une quinzaine chez sa belle-sœur, dans la banlieue lyonnaise. Le plus simple est encore de l’emmener à la villa où nous « traitons » son cher oncle.

Je dégoupille le bigophone intérieur pour appeler le Défrisé.

— Je suis à votre disposition, monsieur le directeur.

— Alors montez immédiatement, San-Antonio.

— Attends-moi ici et sois sage, recommandé-je à Marie-Marie.

— Où qu’v’ z’allez ? s’inquiète-t-elle, le visage déjà bourré de mécontentement et de rougeurs oragesques.

— Voir mon chef, trésor. Tu sais faire des réussites ? Si oui, il y a un jeu de cartes dans le tiroir du bureau. Je ne serai pas longtemps absent.

— Des clous ! riposte miss Tresses. J’ai pas envie de moisir seule ici, au milieu de vos ahuris. Je vais avec vous.

Elle a le regard, le ton catégorique. Croyez-moi, mais cette chipie, il faut se la faire ! Si elle ne change pas d’ici sa puberté, je plains le gugus qui décrochera ce petit lot à la tombola des crêpes.