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— Espèce d’enviandé ! je gronde.

Que ma vue revienne un brin, et il va lui falloir un calcif en ciment armé pour ne pas effacer une volée de bastos dans le buffet. Ah ! la carne !

Seulement, quand on a du scotch dans la vue, pendant un certain temps, on rêve davantage à une canne blanche qu’à un revolver.

Je me dépatouille misérablement. Mes maux ne sont point encore terminés vu que deux bras énergiques me cramponnent par-derrière et me bloquent au dossier de mon fauteuil. Pour une sacrée prise, c’est une prise sacrée, les gars ! Je connais le judo, le karaté, le karabéru, et bien d’autres astuces de défense ou d’attaque, mais jamais encore je n’avais ouï-dire d’un coup pareil. C’est la paralysie complète. Je suis comme solidifié, mes petites commères. Pas moyen de broncher. Faudrait que je vous fasse un dessin pour vous expliquer l’en-quoi-ça-consiste, mais allez donc dessiner dans ma position fâcheuse ! Mon attaquant a passé son bras droit sous mon aisselle droite, vous suivez ? Ensuite sa main droite s’est emparée de mon bras gauche, tandis que son bras gauche pèse très dur sur ma nuque, m’obligeant à me courber en avant. Répondez franchement, est-ce que vous pigez le méli-mélo ? Non ! Ça ne m’étonne pas de vous. Une partie de loto vous flanquerait une méningite.

Ce pourri de Tassiepa Sanchez profite de mon immobilisation (l’immobilisation n’est pas la guerre) pour me marteler le visage à grands coups de poing maladroits en poussant des cris hystéros. Il frappe et frappe ! J’ai le pif qui ramone ! La pommette qui gonfle ! La bouche qui se déforme. Je comprends pourquoi on appelle ces gars-là des frappes ! Misère, j’aurais ma liberté de mouvement, quelle danse j’y collerais à ce petit brigand ! Seulement je ne l’ai pas… Qu’est-ce que je bonnis ! Mais si que je l’ai ! L’étreinte se relâche ! Sanchez cesse de cogner. Je me sens libéré. Ma vue revient, un peu trouble encore, suffisante toutefois pour me permettre de physionomiser le majordome. Il a encore un poing en l’air ! On dirait qu’il va entonner l’Internationale. J’aperçois de mieux en mieux. Je ne suis plus de la cécité, je suis de la re-vue !

Sanchez laisse retomber son bras, il recule ! Alors je réagis. Mes deux colts en main je le doublement braque.

— Bouge plus, fiston, j’ai à te causer ! lui dis-je.

Il s’arrête. Je jette un rapide coup de périscope derrière moi. Et qu’aspers-je ? Ma belle Ibernacion, farouchement planté à l’entrée du patio. Puis, juste derrière mon fauteuil, un gars face contre terre, planté lui aussi, mais avec une navaja magistralement lancée par ma petite camarade. Oh, mince alors, moi qui voulais la déguiser en femme de ménage, quelle couennerie c’eût été ! À Médrano, oui ! À l’Olympia votre coca triste !

Le poignardanledossé soubresaute encore, mais ce sont les feux de la Saint-Jean. Bientôt il est feu tout à fait. Quinze centimètres d’acier dans l’horloge, ça ne pardonne pas.

— Encore merci, Ibernacion, dis-je. Tu fais toujours des entrées très remarquées.

Je me reconsacre à Tassiepa Sanchez.

— Approche, mon petit ami !

Il obéit. Sa brillantine lui dégouline en même temps que la sueur. Il est pâlot et ses genoux tendent à former un « X » parfait.

— Assieds-toi, gamin !

De la pointe du colt, je le propulse dans un fauteuil. Le siège, sous la poussée, balance un instant avec son chargement de viande effrayée.

— Où est le monsieur à l’auto rose, Sanchez ?

— Dans le grand hangar, castagnette-t-il.

— Vivant ?

— Oh, oui, oui, on était en train de le questionner.

Je tends une pétoire à Ibernacion.

— Tu veux bien aller délivrer Pinaud, mon cœur, sans vouloir te commander ?

— Naturellement, consent-elle.

Avant de s’éloigner, elle récupère son ya et essuie la lame sanglante sur les vêtements de sa victime. Son calme me fait frisquet dans le dossard. Je me dis que cette gerce, le jour où son jules lui fait du contrecarre, il peut préalablement réviser son assurance vie.

La v’là partie.

Je me tourne vers Sanchez. Ce n’est que provisoire car un je ne sais quoi de bizarre a attiré mon attention. Le poignardé… Bien qu’il soit face à terre, j’ai l’impression de le connaître… Sans cesser de braquer le majordome, je m’approche du cadavre et le retourne du bout du pied.

Dites, les gars : C’est Sin Jer Min En Laï, le chef technicien de la base.

Comme quoi la vie est pleine de rebondissements, hein ? Et mes bouquins encore plus !

CHAPITRE XV

MA PETITE (MA TOUTE PETITE) TÊTE DE BÉRU

— Tu te rappelles ce que tu viens de me faire, n’est-ce pas, Sanchez ? Tu m’as filé un coup de poing sur le pif, comme ça !

Ma ration droite de cartilages lui écrase le tarin. Il résine en geignant. Mais, imperturbablement, je poursuis.

— Et puis tu m’en as filé un paquet d’autres sur les pommettes, tu vois, ici, et encore ici !

Le chéri ressemble déjà nettement à un Michel Simon qui se croirait meilleur avec du concentré de tomate…

J’achève de le steak-tartarer pour me défouler la vigueur, me purger la rancœur et le conditionner. Lorsqu’il est gisant, gémissant, effondré, je lui picote les côtelettes de mon arquebuse.

— Je crois bien que je te placerai une dragée à ce niveau-là, et puis sans doute une autre dans le nombril pour te ventiler un peu la boyasse.

— Non, non, pitié ! dit-il en espagnol.

Le retour vasouillard d’un Pinuche boitilleux suspend notre colloque.

— Quelle crapule, dit la Vieillasse contusionnée. Ils s’apprêtaient à me découper en morceaux, lui et son ami chinois, lorsque tu es arrivé. Ils voulaient savoir pourquoi je venais et qui m’envoyait. J’avais beau leur dire que…

Je calme le Démantelé.

— Laisse, tu me l’écriras, j’ai à causer avec ce joli cœur. Pendant ce temps, va dans la pièce principale et regarde sur le grand bahut si mon appareil récepteur s’y trouve encore.

Le Désintégré obéit.

— Ainsi donc, Sanchez, tu étais en cheville avec les Chinetoques ?

Le canon de ma bombarde ajusté à son oreille le pousse aux confidences. Pour achever de le décider, je lui déclare :

— Si tu ne me dis pas la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je presse la détente et t’as aussi sec la communication avec l’au-delà. Alors, vas-y, beau brun, et pas d’omissions, sinon il n’y aura pas de rémission.

Quand on sait parler aux hommes, on finit toujours par obtenir la vérité. La vérité est une matière brute qu’il faut longuement raffiner avant qu’elle ne trouve l’éclat du neuf ! Elle a besoin d’être extraite, décantée et polie.

Tassiepa Sanchez raconte la sienne comme un médium raconte les galipettes de votre arrière-grand-mère avec l’archange Truquemuche.

Il a été contacté par Sin Jer Min En Laï, lorsque la base a été édifiée, afin de servir d’indicateur, vu qu’il marnait chez un grossium de la région. Lorsque nous sommes arrivés à San Kriégar, il s’est grouillé d’affranchir le chef technicien et de lui révéler l’objet de notre mission. Ainsi donc, Sin Jer Min En Laï a-t-il été tenu minutieusement au courant de notre entreprise et savait-il parfaitement qui était le pseudo-Krackzek et ce qu’il venait maquiller dans son camp.

— Mais alors ! interromps-je, s’il savait, pourquoi n’a-t-il pas immédiatement neutralisé Bérurier ?