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— Touchez-moi pas ! fait-elle sèchement en s’écartant. Mémé m’a bien recommandé de me méfier des chauves, comme quoi c’est les pires violeurs !

Le Vioque, médusé, se fige, et puis son hilarité le réempare et le voici qui gonfle, qui apoplexique, qui râle, roucoule et se trémousse.

— Mais où diantre ce Bérurier est-il allé chercher un tel phénomène de nièce ! pouffe-t-il.

Il est tout attendri, le Plastifié. Il regarde Marie-Marie avec des yeux de grand-père. Mince, j’savais pas qu’il était humain, dans son genre…

— Allez lui acheter des bonbons, dit-il au planton. Tu vas t’asseoir ici, mon petit lapin, déclare le Vioque en désignant une table d’acajou, dans le fond de la pièce. Et tu feras des dessins pendant que nous bavarderons…

La mômasse hésite. Puis elle renifle et me dit, en ponctuant d’un clin d’œil :

— Il est sympa, ton dirlo, Antoine. Pas bêcheur pour un chef flic. Je voudrais que les gardiens de la paix ronchons et les tractuels prennent du feu !

Sur ce satisfecit, elle va s’asseoir et consent enfin à se taire.

Le Déboisé lui file une dernière œillade attendrie et revient à nos moutons, c’est-à-dire à cette base de Santa-Maria Kestuféla (Rondubraz), à cause, ou grâce à laquelle, une fois dans sa vie, le Mastar se sera permis de perdre la moitié de son poids.

— La carte a été établie au nom de Krackzek, sujet tchécoslovaque, domicilié en France, dont vous connaissez la spécialité, n’est-ce pas ?

— En effet, monsieur le directeur.

— Lorsque Bérurier aura atteint le poids idéal, nos spécialistes modifieront son aspect de manière à ce qu’il ressemble au sieur Krackzek. Ensuite de quoi il partira pour Santa-Maria Kestuféla. Il devra agir dès le premier jour, car je ne pense pas qu’il pourrait faire illusion très longtemps, ne possédant pas le talent particulier de l’homme dont il prend l’identité.

La règle armée de cuivre virevolte et va se poser sur un point hachuré de la carte, à l’intérieur de la tête de marteau.

— Voilà le point chaud, San-Antonio, décrète le Vieux : la chambre forte de la base. Elle se présente sous la forme d’un immense coffre-fort entouré de cellules photo-électriques verticales…

Je sais tout cela… La preuve, c’est que nous avons muni la chambre d’amaigrissement d’Alexandre-Benoît, de barreaux respectant l’espacement exact des cellules photo-électriques.

— L’écartement du rayon lumineux est de trente-huit centimètres exactement, poursuit le patron. Même amaigri, Bérurier devra rentrer son ventre et se tenir droit pour passer entre ces rayons sans les interrompre, ce qui déclencherait les signaux d’alerte.

— Il passera jamais, affirme Marie-Marie.

On la défrime. Elle hausse les épaules et rit puissamment de ses deux canines.

— Dites, vous rigolez : il a une bedaine comme ça, tonton ! Trente-huit centimètres, ça fait pas chouchouille.

Elle s’approche du bureau, saisit une règle graduée et du pouce, compte l’écartement souhaité.

— Ton oncle a terriblement maigri, lui dis-je, maintenant il est presque aussi mince que moi.

— Même qu’il serait plus mince encore, y passerait pas, affirme notre jeune conseillère technique. Et vous savez-t’y pourquoi ?

— Non ? fait gravement le Boss.

— Parce qu’il est en zigzag, l’onc’ Béru.

Un sourire engageant effleure les lèvres du directeur.

— Qu’appelles-tu en zigzag, mon petit ?

— Y ressemble un peu à un pigeon, tonton. Sa poitrine est bombée et son dargiflard tire en arrière.

Elle lâche la règle pour prendre un gros crayon rouge et, de sa petite main maladroite, trace un éclair aux angles arrondis sur le buvard du Boss.

— Jamais vous ferez passer un machin comme ça à travers trente-huit centimètres, réaffirme la jeune documentée, jamais ! Sans compter qu’il est manche comme un os de gigot, l’onc’ Béru. Je vous fous mon billet qu’il se tordra la patte au moment de franchir vot’ truc et qu’il déclenchera tout le bouzin… C’t’un bonhomme, on a jamais pu bouffer une fois en famille sans qu’y renverse son verre sur la nappe, quand ça serait pas la soupière…

Nos sourires amusés s’estompent. Ce que dit la gosseline est tellement bourré de bon sens, qu’il nous apparaît comme évident que jamais le gars Béruche ne pourra se jouer des rayons lumineux. Surtout un aller-retour !

— Si le signal retentit, c’est fichu, soupire le directeur, lequel se permet un gros mot, vu la gravité de nos préoccupations. Songez en outre qu’avant de franchir le barrage en question, il aura dû neutraliser au gaz la douzaine de gardes en faction devant le coffre !

Marie-Marie nous considère d’un œil goguenard. Puis elle récupère la règle graduée et, opposant deux chaises, dos à dos, les écarte l’une de l’autre de trente-huit centimètres.

— C’est à travers ça que vous voudrez faire passer tonton ? rigole-t-elle.

Effectivement, l’écartement semble infiniment dérisoire quand on évoque la stature du Mastar.

— Moi, j’ai une autre solution, ajoute la fillette.

Un peu gonflant, non, que le grand Dirlo et un crack de la poule écoutent les suggestions d’une petite délurée de huit berges ! Et pourtant, nous sommes plus attentifs que des héritiers à l’ouverture d’un testament !

— Quelle autre solution ? demande le Scalpé.

— Regardez ! fait Marie-Marie.

Elle passe et repasse entre les deux dossiers de chaise, de plus en plus rapidement.

— C’est moi que je dois y aller entre les photoélectriques de la cellule, déclare-t-elle. Avec ma pomme, ça risque pas de carillonner !

La perspective d’envoyer une enfant dans la base de Santa-Maria Kestuféla pour ouvrir une chambre forte nous incite à éclater de rire, ce dont nous nous acquittons d’un commun accord, le Vieux et moi.

— Bout de chou, va ! murmure-t-il. Maintenant, laisse-nous discuter, nous avons de gros problèmes à élucider.

— Mais y a pas de problème, puisque je peux faire vot’ boulot ! proteste Marie-Marie.

— Oh ! écoute, ça suffit, ma petite fille ! tonné-je. Fiche-nous la paix, si tu ne veux pas recevoir la fessée !

Elle devient verte de rage, s’approche de moi, me défie d’un regard flagellateur.

— Sadique ! laisse-t-elle tomber.

Ensuite de quoi elle va s’asseoir dans le fond de la pièce.

— Allons, ne boude pas, lui lance le Vieux, qui joue le grand-père Hugo, aujourd’hui. Ce que tu ne sais pas, mon enfant, c’est que derrière les barreaux lumineux, il y a un coffre dont il faut ouvrir la serrure sans en connaître le système, ni en posséder la clé !

Apparemment vaincue, Marie-Marie hausse les épaules et se le tient pour dit.

— Dès maintenant, fait mon chef vénérable, vous allez entraîner Bérurier à passer entre deux rayons. Et vous ne lui donnerez pas de nourriture avant qu’il puisse franchir cette grille invisible sans déclencher la sonnerie. Si ce bougre-là est en zigzag, je vais lui apprendre à se tenir droit, moi !

Il s’enrogne tout en parlant.

— Il a commis un abus de blanc-seing ! Une usurpation de fonction ! Un… Une… Il en subira les conséquences jusqu’au bout ! Matamore ! Fier-à-bras ! Je préfère vous dire que si par miracle il revient de cette équipée, San-Antonio, je lui demanderai sa démission !

— Et ça, c’est du poulet ? demande soudain Marie-Marie en déposant sur le bureau du Boss un volumineux dossier ligoté avec une attache noire.

Le Sinistré du mamelon ouvre sa bouche à vous dévoiler tous les rouages de son râtelier.

— Mais… où as-tu pris ça ? bafouille-t-il.