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Marie-Marie désigne le fond de la pièce.

— Dans vot’ coffre, m’sieur !

— Il… il était ouvert ?

— Vous êtes pas le genre de bonhomme à laisser vot’ coffre ouvert, non ?

Elle montre une grosse agrafe de bureau, toute tordue.

— Je m’ai servi de ça, et j’ai pas traîné. Faut vous dire qu’à la maison c’est toujours moi que je réparais les réveils détraqués. Notre voisin, le père Flouasse, était serrurier et comme je m’intéressais, il m’a appris à bricoler…

Elle cueille le dossier par le nœud de son attache, comme elle le ferait d’un cadeau.

— C’est sûrement pas tonton qui vous aurait récupéré ces paperasses aussi vite, sans vouloir que je me vante. Un maladroit pareil, vous parlez ! Lui, quand y veut casser des noix avec un casse-noix, il casse le casse-noix !

— Ah, diablotin, diablotin ! murmuré-je, non sans admiration.

Marie-Marie me file un œil acéré par-dessus son épaule.

— Ben, qu’est-ce qui t’arrive, Antoine ? demande-t-elle. V’là que tu causes comme la vieille qu’à écrit les Malheurs de Sophie, que mémé me cassait les pieds à vouloir me lire.

— San-Antonio ! s’exclame le Vieux… Savez-vous à propos de Krackzek, qu’il est veuf et père d’une fillette de dix ans ?

Je bondis, frémissant de colère :

— Patron ! vous ne comptez tout de même pas…

Il essaie de me calmer d’un geste souverain.

— Ne vous emballez pas, mon cher. Il convient de bien étudier la situation, et surtout de ne pas rejeter des solutions qui, certes, à première vue peuvent paraître… oiseuses…

— Mais qui à seconde vue sont odieuses ! terminé-je.

Marie-Marie me tire la langue. Jugeant cette brimade insuffisante, elle déclare :

— Je m’f’sais une aut’ idée de toi, Antoine, quand tonton Bérurier nous causait de tes prouesses. Tu devrais te faire garde-barrière avec ta mentalité pote-au-feu. ’reusement que ton patron est plus gonflé et qu’il a enfin compris que votre histoire de coffre à la mords-moi-l’œil, c’était plus mon affaire que celle à mon onc’ !

Elle tourne vers le Dabe une frimousse radieuse :

— Vous êtes formide, lui dit-elle ; seulement, moi, à vot’ place, je m’achèterais une perruque !

CHAPITRE III

Y A COMME UN DÉFAUT !

— Dis donc, Krackzek…

L’homme ne bronche pas. Je reprends, en montant le ton, et d’une voix légèrement chantante :

— Oh ! Oh ! Krackzek !

Le bide !

— Krackzek, espèce de sale c… ! tonné-je enfin.

Lors, le type prostré lève sur un moi un regard si lourd qu’il va devoir bientôt le coltiner dans une brouette.

— Oh ! oui, mince, gueule pas si fort, San-A. Je me rappelais plus.

Il ressemble à un vieux poitrinaire, Béru. Il nage dans ses fringues. Un Gugus de cirque. Il lui manque plus qu’un nez qui s’allume, une tignasse rousse pivotante et un saxophone pour parfaire l’illuse.

— T’auras bonne mine, à Santa-Maria Kestuféla, lorsque les gars t’interpelleront et que tu continueras d’avancer sans seulement dresser une oreille.

— T’inquiète pas, je vais m’entraîner… Seulement, dans l’état que je suis, mon mental fait un peu roue libre, essaie de comprendre. Chaque fois je suis été descendu au-dessous de cent kilos, je déboussolais du cigare. À plus forte raison maintenant que je vadrouille autour des soixante-cinq. Quand je vais aux cagoinces y me semble que si je me cramponne pas après la chaîne, je vais disparaître à tout jamais.

— On va te relubrifier la gamberge, mon pote. À partir de demain tu vas gober des pilules qui feront de toi l’un des plus grands penseurs du siècle.

L’Amaigri secoue ses fanons flasques.

— Cause toujours, ronchonne-t-il, j’aimerais mieux être un poids lourd con qu’un génie maigre.

— Natacha ! lancé-je à la cantonade.

Aussitôt, Marie-Marie qui sautait à la corde dans le jardin se précipite dans la pièce.

— Tu m’as appelée, Antoine ?

— Je voulais te donner en exemple à ton oncle, mon chou. Tu vois, Alexandre-Benoît, comme elle a du réflexe cette gosse. Déjà dans la peau de son personnage !

— Turellement, objecte le Décharné, elle a pas largué soixante kilos de graisse, elle ! Toujours pas de nouvelles de ma Berthe ?

— Non, mon vieux clystère !

Il détourne les yeux :

— Ni d’Alfred ?

— Personne ne répond au téléphone.

— Ah les vaches, soupire-t-il. Où qu’ils ont pute à lait ?

Ses doigts tremblants de faiblesse tambourinent la table. Il fixe des maléfices dans le plâtre grisâtre du plaftard, puis, brusquement, comme traversé par un courant électrique, il bondit.

— Je sens que quèque chose est arrivé, San-A.

— On l’aurait su, mon pote !

Il secoue la tronche :

— C’est pas dans les habitudes d’Alfred de fermer sa cabane en dehors des vacances.

— Justement : il a pris des vacances !

— Il les prend toujours en août d’habitude.

— Eh bien, il a changé d’habitudes !

Mais je ne parviens pas à balayer l’angoisse du cher homme. Il remue des présages dans sa tronche creuse.

— Berthe, je la connais, dit-il, chaude du valseur, j’admets, mais femme de devoir. Elle n’eusse jamais été chercher la gamine pour la plaquer aussi sec, voyons ! Tu la prends pour une ménagère apprivoisée ou quoi ?

Dans mon for intérieur, j’admets que ça grince un peu dans les engrenages. Mais il convient avant tout de préserver le moral de mon valeureux camarade.

— Tu veux que je te dise ce qui s’est passé, Gros ?

— Dis, mais ne m’appelle pas Gros, ça me fait trop de peine.

— Alfred aura été obligé de s’absenter pour une raison grave, mettons un deuil dans sa famille. Il aura demandé à Berthe de l’accompagner. Sans doute ont-ils prévu d’envoyer quelqu’un chez vous s’occuper de Marie-Marie, et ce quelqu’un aura bouffé la consigne !

Il hoche la tête et soupire :

— Parle pas de bouffer, je t’en prie !

Pinaud revient de son petit footing quotidien, la moustache dégoulinante de rosée.

— C’est l’heure de ton sauna, dit-il au Dégraissé en matant sa montre.

— Charmant de le rappeler, vagit Béru. Avant, c’t’apôtre me cloquait des sandwichs dans la chiasse d’eau, et maintenant si je l’écouterais, je passerais mes journées dans la guitoune à sueur.

— Parce que j’ai compris une chose, plaide le Sentencieux : c’est que plus vite tu auras atteint le poids exigé, plus vite tu pourras t’alimenter normalement. Des grillades, beaucoup de grillades !

Béru serre les poings.

— Ah ! charogne ! Tu vas te taire, oui ! Me faire saliver mes dernières gouttes d’eau, c’t’honteux, vieille frappe ! Honteux !

Il se met à sangloter :

— Des grillades… Des grillades… Mais je rêve qu’à ça ; misère du ciel. Dans vot’ sauna de mes fesses, pendant que je mijote au bain-marie, je vois rissoler des entrecôtes ! L’autre jour, tiens, on jouait à la belote avec Laronde. Il avait remonté ses manches, si tu te souviendras ? De voir ses gros biceps ça m’a flanqué comme un vertige : j’ai failli mordre dedans ! Je le jure ! Non, mais, vous réalisez où que j’en suis ? À avoir envie de manger le brigadier Laronde, moi ! Un inspecteur principal, presque futur commissaire !

— Mon Béru, mon Béru, pleurniche Pinaud. Tu verras, t’auras encore des beaux jours à table. Plus qu’un petit effort et puis tu seras d’équerre. Aujourd’hui, c’est ta dernière séance. Allons, viens…