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Je griffonnai à toute vibure sur une feuille volante : « Que Pinaud aille attendre A.R. à la sortie de l’immeuble et qu’il le file. »

Je sonnai Claudette. Lui tendis l’atlas.

— Dites à Mathias de me repiquer cette photographie et d’en tirer plusieurs exemplaires.

En loucedé, j’avais glissé ma note pour Pinaud dans l’ouvrage. Claudette sortit.

Un silence lui succéda.

Le virtuose soupira en montrant la porte :

— Elle a des attaches un peu fortes, mais ça doit être une fière salope, n’est-ce pas ?

Je ne cherchai pas à biaiser.

— En effet, maître.

— Selon moi, elle doit sucer divinement ?

— Il serait hypocrite de ma part de n’en pas convenir, maître. Je suis d’ailleurs convaincu que si vous en manifestiez le désir, Claudette, qui a un culte pour vous, saurait vous le prouver.

Ça l’amusa beaucoup, ce genre de boutade. Les grands artistes rigolent d’un rien et le calembour représente l’unique point de jonction entre un imbécile et un génie.

— Vous êtes trop bon, mais votre agence a une autre vocation, je suppose ?

— J’espère vous le prouver sous peu, maître.

— Pensez-vous que cela va prendre beaucoup de temps ?

— Difficile à apprécier de but en blanc, cela peut aller très vite ou bien tourner court.

Il s’arracha en geignant de son moelleux fauteuil.

— Espérons que cela ira très vite, car à mon âge on n’a plus le temps d’attendre. Voici mon adresse.

J’empochai sa carte gravée à l’anglaise et le raccompagnai. Dans l’antichambre, je trouvai Mathias agenouillé sur la moquette, armé d’un petit matériel mystérieux. Béru le contemplait en dévorant un sandwich long comme un jour avec pain.

Ayant embarqué le maestro dans l’ascenseur, je revins m’enquérir.

— Que se passe-t-il, les gars ?

Le Mastar donna des explications d’autant plus laborieuses qu’il mastiquait, chemin disant, trois cent cinquante grammes de baguette aux rillettes.

— L’vieux kroum avait j’sais pas quelle charognerie sous ses lattes qu’a taché l’tapis ; j’ai d’mandé à Mathias qui raffole des taches de voir ce dont quoi il s’agitait.

Le Rouquin se redressa, l’air content de soi.

— Du bleu pour queue de billard, annonça-t-il.

* * *

Je vais me poster derrière la fenêtre de mon burlingue pour étudier le comportement du maestro, et celui de son nouvel ange gardien.

Le célèbre pianiste décarre de l’immeuble, à petits pas, martelant l’asphalte de sa canne. Pinuche, dit le Débris, saute dans sa roue et le laisse mener. J’attends un peu, espérant retapisser un troisième larron, dans l’hypothèse où Arthur Rubinyol ne se serait point trompé et où on le filerait. Mais je ne remarque rien. Faut dire que mon angle de vision est limité. Et puis il y a tellement de va-et-vient…

Je vais appuyer sur le contacteur qui établit la liaison vidéo avec le burlingue du Vieux.

L’image crémeuse du Tondu m’apparaît. Il est tout enchifrené. Un début de grippe, sans doute ?

— Avez-vous entendu, monsieur le directeur ? m’enquiers-je avec ce rien de solennité qui lui est indispensable.

— Entendu qui ? Entendu quoi ? bougonne-t-il. Je suis occupé, rappelez-moi plus tard.

Il tend la main vers l’interrupteur. J’ai le temps de percevoir une voix femelle qui demande, de sous son bureau :

— Qu’est-ce c’était, mon zoiseau ?

Nuit et brouillard sur l’écran.

Le « zoiseau » se fait faire une plume.

DJERBA

Deux policiers arabes s’amènent au volant d’une 2 CV bleue sur les portières avant de laquelle on a écrit le mot « police » en français et en arabe.

Ils sont en manches de chemise, pantalon clair. Le chef ne parle pas français, mais possède un bracelet-montre. Il a un minimum de cheveux, un grand nez et le regard pas commode de quelqu’un nanti d’autorité. Son adjoint, lui, est très sympa, frisotté, l’air conciliant, ce qui est rarissime chez les flics. Il jacte notre langue avec un débit précipité qui, parfois, s’interrompt net pour repartir de plus belle.

Ce phalanstère juif, c’est pas le pied pour ces messieurs. Ils s’y déplacent prudemment, comme sur un terrain miné, s’appliquant à bien regarder, au terme de chaque enjambée, où ils vont poser leurs pinceaux. Le chef, surtout, paraît écœuré et s’il osait, il appliquerait son mouchoir contre son nez et sa bouche afin de respirer au travers, éviter on ne sait quelle contamination. Pour cézigue, l’hostellerie de La Ghriba équivaut à une léproserie. Bon, les juifs du bled, il veut bien, ça fait des millénaires qu’ils sont installés dans l’île. Ils ont leurs us, leurs coutumes, leurs costumes ; ils tiennent des boutiques à Houmt Souk, ou bien ils sont chauffeurs de taxi et ils n’emmerdent personne. Mais ces fichtre-dieu-de-saloperie de youdes débarqués d’un peu partout, ça le défrise, malgré sa calvitie. Ce ghetto, merci bien ! Comment qu’il t’arroserait tout ça d’essence, synagogue comprise, et t’y balancerait une allumette !

Tu les verrais examiner le cadavre du rabbin. Ces Arbis poultocks, tout juste s’ils ne lui dégueulent pas dessus. Un regard, une grimace, une crispation. Ils ressortent fissa fissa. Pouhâ ! Bon, va leur falloir mener l’enquête, c’est pas le tout.

Ils vont toujours faire un rapport, ce sera déjà ça. L’auxiliaire (être) détire-bouchonne un rouleau de papier puisé dans sa poche revolver. Il déniche tu sais quoi ? Une pointe Bic.

Alors il commence à écrire des trucs en arabe et sa feuille blanche se met à ressembler à une boîte de vers renversée (son Bic est rouge). Il note le comment la dame Blum a vu dégouliner du sang depuis la galerie, et puis qu’intriguée elle est montée, a aperçu la flaque, ouvert la porte et qu’alors un certain type bizarre qui se prétend policier français en a profité pour venir réclamer ce pauvre rabbin.

L’intérêt de mes collègues se porte sur moi. Ils me demandent de justifier de mon identité, ce que j’empresse. Ça leur permet de constater que le gars Antonio n’est pas juif, ouf ! Pour le coup, ils bienveillent à mon égard. Parmi tous ces barbus psalmodieurs, un roumi pur sang, catholique bon teint, tu vois comme ça les soulage, mes homologues ? On fraternise sec. Le chef m’offre une cigarette que j’accepte. Lui ne fume pas biscotte c’est le ramadan, il doit faire ballon jusqu’à sept plombes, que le soleil se pieute, ce con ! Pas de cousue, pas de flotte ni de bouffe ! La grande ceinture par quarante degrés à l’ombre.

— Et alors, l’ami, qu’est-ce que tu viens foutre ici à demander ce rabbin ; s’enquiert l’auxiliaire (qui est devenu « avoir » depuis qu’il a emmagasiné des déclarations).

Je brode aux petits points, dans la foulée.

— Moshé Inkerman a un frère qui appartient à une brigade de terroristes israéliens, j’avais pour mission de le cuisiner pour essayer de savoir où l’on pourrait dénicher son frelot.

Le flic bis traduit à son supérieur tout en consignant. J’ai droit à quelques claques confraternelles de la part de celui-ci. Il me fait demander si j’ai une idée à propos du meurtre.

Je réponds que non, car il est permis à un roumi de mentir pendant le ramadan. J’ajoute que, selon mon estimation, le meurtrier est toujours dans l’hostellerie et qu’une fouille très poussée permettrait peut-être de dégauchir l’arme du crime, voire des linges ensanglantés.

Mes bons collègues ne se le font pas répéter vingt fois et entreprennent illico une perquise soignée.

Les braves juifs ne protestent pas. Ils ont connu la gestapo, tous, alors tu parles qu’une fouille, pour eux, ça ne les chicane pas davantage que toi lorsque le douanier te demande aimablement si tu as quelque chose à déclarer.