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— Aucune décision n'a encore été prise, mais je pense qu'elle le fera. Il n'y a aucune raison pour qu'elle ne le fasse pas. Les agissements d'un fou ne doivent pas compromettre la stabilité du…

Je suis déjà dehors. J'éternue à douze reprises car je dois être allergique à l'un des produits de la Droguerie générale, à moins que ce ne soit à Jean-Louis Bécollomb ?

Il est dix plombes. Le temps s'est rebecté pendant mes petites visites et un timide soleil rôdaille au-dessus des clochers.

J'avise un petit bistrot, tout ce qu'il y a de sympa. C'est le café de province, avec de vieux guéridons de marbre, des boiseries encaustiquées et un comptoir d'étain. Voilà que je me mets à jouer les Maigret, à c't'heure. J'entre et je commande un grand noir. Le patron me le sert lui-même. Il porte sa chemise de nuit sous son gilet de laine et il a une casquette.

Je touille mon caoua tout en faisant le bilan de la situation. Deux candidats députés d'opinions nettement opposées ont été tués à leur domicile dans des circonstances extrêmement mystérieuses. Le meurtrier a agi avec une audace inouïe dans les deux cas. Et dans les deux cas, il a bénéficié d'un fabuleux concours de circonstances qui lui ont permis d'évoluer chez les victimes, alors qu'elles n'étaient pas seules chez elles, sans être vu. Je m'offre pourtant un doute en ce qui concerne le premier meurtre, car la disparition du jardinier me donne à croire qu'il a vu quelque chose…

Je bois deux gorgées de jus et je me pose la question (en anglais : the question) : « Est-ce l'œuvre d'un fou, San-Antonio ? »

Ainsi interpellé, le subconscient de San-Antonio se prend par la main et s'emmène promener dans les sentiers tortueux de la réflexion. Quand il revient, il murmure :

— « Non, San-Antonio, franchement, je ne le crois pas, ou plutôt : je ne le sens pas !

— Et pourquoi ne le sens-tu pas, San-Antonio ?

— Ecoute, San-Antonio, je vais essayer de te répondre : un fou agit ouvertement. Il s'en moque, d'être vu ; au contraire, il aime avoir un public. Ces bonshommes, il les aurait descendus en pleine réunion ou en pleine rue. »

— Alors, mon petit San-Antonio, ta conclusion ?

— Ma conclusion, c'est que tu me les brises San-Antonio, avec tes questions à la mords-moi le neutron ! Continue de déblayer le terrain, ensuite tu verras bien…

— Merci, San-Antonio, t'es de bon conseil ! »

Je vide ma tasse. Et je demande au patron de me présenter sa facture. Il arrive en se fourrageant dans le fond de futal, me dit que je lui dois trente centimes et me demande si je suis journaliste.

— Pourquoi, m'étonné-je ?

— Comme ça, je trouve que vous en avez la dégaine !

— Dix sur dix, patron ! Vous auriez fait un bon détective.

Il hoche la tête, mécontent.

— Ça me ferait mal à la prostate ! Moi, poulet !

Il relève sa manche et me montre un somptueux tatouage, genre camaïeu XVIII. Ça représente les ruines de Rome.

Mais au lieu d'une inscription latine, on peut lire, serpentant à travers le dessin, cette phrase n'ayant qu'une relation éloignée avec l'architecture : « Mort aux vaches ! »

— C'est pour vous dire ! fait le patron. Ancien bat'd'Af ! Tataouine, le Tonkin et j'en passe ! Les flics sont tous des enviandés. C'est pas votre avis, vous qui devez les côtoyer ?

Je hoche la tête.

— Il ne faut pas être aussi définitif, patron !

Il explose.

— Vous en connaissez un seul, vous, qui ne soye pas le dernier des fumiers ? Soyez juste ! Si, si, causez !

— A vrai dire.

Mais il me coupe la parole.

— C'est salope et consorts ! Des incapables, des minus ! Ça crâne, ça fout des gisons et ça se croit Jupiter ! La police, c'est les indics qui la font, Sans eux, messieurs les hommes seraient les rois du monde !

A cet instant, l'inspecteur Laplume qui passe dans la rue m'aperçoit et se jette dans le bistrot comme un désespéré se jette par la croisée.

— Oh ! Monsieur le commissaire, je suis content de vous trouver !

Je mate le patron. Faut le voir changer de couleur, monsieur Tournesol. C'est la première fois que je vois un zig devenir bleu depuis que je ne fréquente plus mon copain qui travaille chez Waterman à la section encrage.

Laplume jubile.

— J'ai du nouveau en ce qui concerne le coup de téléphone reçu, par le comte.

— Non ! Alors là, tu me fais plaisir, fils. Qu'est-ce que tu bois ?

— Un petit calva !

— Deux calvas ! Lancé-je au taulier défaillant.

Puis, mettant ma main autoritaire sur l'épaule soumise de Laplume :

— Je t'écoute, Baby !

— L'appel venait de Paris. Il a été donné du bureau de poste de la rue du Colisée.

Je fais la grimace.

J'espérais mieux. Mais enfin, c'est toujours ça !

— Très bien, puisque tu es là-dessus, tu vas rentrer à Pantruche et interviewer la standardiste du bureau en question. Si elle pouvait te décrire le demandeur… Note bien, qu'avec tous les gens qui lui passent par le combiné ce serait miraculeux qu'elle se souvienne de l'un d'entre eux… Essayons toujours.

Il vide son glass.

— Je fonce, monsieur le commissaire.

Il est tout joyce de retrouver Paname. Il va commencer par aller faire une fleur à sa bergère, Laplume. Pourvu qu'il ne la trouve pas dans les brandillons du plombier !..

Lorsqu'il s'est évacué, le patron s'annonce.

— Ecoutez, m'sieur le commissaire. Ce que je vous disais tout à l'heure, vous avez bien compris que c'était une manière de… heu… plaisanter. Autrefois, j'ai eu des ennuis avec un pou… avec un policier et ça m'a laissé de la rancune, comprenez-vous ?

— C'est tout naturel ! le rassuré-je.

Je ferme les yeux à demi et le fixe jusqu'à l'os à moelle.

— Vous vous appelez bien Martinet, n'est ce pas ?

Il a un hoquet mal réglé.

— Oui… Comment vous savez ça ?

Je jette de la mornifle sur la table et je sors, le laissant ébahi et inquiet.

Peut-être qu'il se souviendra que son nom est écrit en belle anglaise jaune et noire sur sa porte ? Mais peut-être que pas !

Quand je rejoins le commissariat, je suis tout surpris de le trouver étrangement calme et désert. Serait-ce l'agitation de ces derniers temps. Conrouge n'y est plus. D'ailleurs, excepté les fonctionnaires habituels et un poulaga de Paris, les autres sont dans la nature. Je m'assieds à un bureau, je prends une rame de papier blanc, dit ministre, et avec mon stylo je partage la feuille du dessus en deux parties égales. Sur la première je dessine grossièrement le topo de la première maison du crime. Sur la seconde le plan de l'appartement Monféal. Puis je croque d'un trait picassien la silhouette des victimes et je répartis des petits ronds figurant les gens de leur entourage, je regarde ; je pense.

— Il y a longtemps qu'on a enterré le comte ? demandé-je à la cantonade.

— Quatre jours (me répond un binoclard à l'accent méridional).

Je regrette de n'y avoir pas assisté, Quelque chose me dit que son meurtrier s'y trouvait.

— Quand inhume-t-on Monféal ?

— Quand vous voudrez ! me répond la même voix. La famille a demandé des instructions à ce sujet et aucune n'a été prise.

Je me caresse le lobe.

— Il a été effacé hier matin. On pourrait le planter demain, en fin de matinée, par exemple, dis-je.

Sûr qu'il y aura toute la ville et ses environs aux obsèques. Vous pensez, c'est un spectacle à ne pas rater !

— Bien, monsieur le commissaire.

Là-dessus, le fameux Bérurier fait une entrée remarquée parce que remarquable ! Sa bretelle mal arrimée par une épingle de nourrice (ce doit être, une nourrice sèche) pend dans son dos, comme ce ruban élastique est décoré d'une queue de singe, vous mordez l'effet ? Il a sa cravate coupée au ras du naze et le haut de son bitos est cisaillé comme le couvercle d'une boîte de conserve, ne tenant plus que par un mince lambeau.