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— Mon pote, attaque le Mammouth, c't'une bénédiction que je me fusse endormi chez Monféal et que j'eusse entendu son coup de grelot. Figure-toi qu'après sa sortie de la droguerie le gars Bécollomb est allé à l'église.

— Ah ! Oui ?

— J'ai cm que, c'était pour en dire une petite, mais en réalité il est allé retrouver la veuve !

— Pas possible !

— Ma parole ! Et dans un coin tellement obscur que t'aurais pu développer des photos. Y’avait personne. Personne sauf moi, œuf course !

Ils ont causé un petit moment à voix basse, et puis ils ont giclé chacun d'un côté. Suivant selon tes inscriptions, j'ai continué de suivre le gars. Il est allé dans un petit restaurant à prix fixe où qu'à l'heure que je te cause il doit se farcir une portion minable d'un truc mal cuit.

Je lui frappe l'épaule.

— Eh bien, voilà du bon boulot de fait, Gros !

Il me cligne de l'œil.

— Puisque t'es content du bonhomme, tu me la rends, la photo ?

Je prends l'image dans mon portefeuille et je la lui tends. Il la regarde en rigolant, mais au moment de la détruire il se ravise.

— Avant de la déchirer, je veux la montrer à Pinaud, décide-t-il en l'enfouissant dans l'une de ses poches-poubelles.

La journée se traîne sans rien apporter de nouveau. Aucune nouvelle de Laplume. Aucune nouvelle du jardinier. Je rends une visite à l'hôtel particulier du défunt comte mais les deux esclaves fossilisés n'ont rien à me dire que je ne sache déjà.

— Qu'est-ce qu'on fait ? s’inquiète Bérurier.

— On va rentrer à Saint-Turluru, décidé-je. Faut laisser décanter, maintenant.

Comme nous prenons place à bord de ma chignole, mon attention est sollicitée par un panneau électoral. Une grande affiche jaune fraîchement imprimée annonce :

« Ce soir, à 20 h 30, Achille Lendoffé, candidat indépendant, tiendra une grande réunion publique et contradictoire. Malgré le fou sanguinaire qui frappe impitoyablement ceux qui se présentent devant le peuple souverain ! »

— Tu démarres pas ? s’étonne le Gravos.

Je lui désigne l'affiche. Il l'épelle et Murmure :

— En v'là un qui va faire le plein, je te l'annonce ! s'il se tire les plumes de ce m…, dis, il est sûr de remporter le morcif !

Je lui file un coup de coude.

— Dis donc, Grosse Pomme, si on y assistait à sa conférence !

Béru fronce le nez.

— T'es pas louf ? Moi, j'ai horreur de la politique !

— Dans le cas présent, elle paraît jouer un rôle primordial dans cette sinistre affaire. C'est au lendemain de réunions publiques que les autres candidats furent assassinés !

— Pour Cécoinsse, rien à craindre, paraît qu'il a des anges gardiens en veux-tu en voilà !

— Je sais bien… Mais je vais tout de même assister à la séance !

Béru hésite.

— J'avais dit à l'adjudant Morbleut que je lui faisais un concours de belote, soupire-t-il.

Je réfléchis.

— Après tout, je n'ai pas besoin de toi, rentre ! On va demander aux collègues de te prêter une tire !

Il est tout joyce, l'Enflure ! Morbleut c'est sa longueur d'ondes. Auprès de lui, il coule des heures de qualité. Le coup de foudre, quoi ! Il y a des sympathies spontanées qui se produisent au cours de notre chétive et précaire existence. Elles ne se discutent pas !

Nous revenons au commissariat. On finit par dégauchir une vieille 403 au volant de laquelle le Gravos s'installe. Ce qui le ravit particulièrement, c'est que la voiture est pourvue d'une ceinture expérimentale. C'est un modèle nouveau, en acier extra-souple garni de cuir.

— Je me fais l'effet de prendre l'avion, fait-il en la bouclant autour de sa brioche.

Tu crois que c'est efficace ?

— Il paraît.

Je lui demande de rassurer Félicie et d'aller faire une virée chez le jardinier, pour voir si des fois… Il promet, essaie de démarrer en quatrième, n'y parvient pas, trouve la première et disparaît.

A vingt heures vingt, la salle des réunions contradictoires de Bellecombe est archi comble. Les Bellecombais sont venus en foule, non pour déguster l'éloquence et le programme du candidat, mais pour voir si on va le bousiller. C'est un spectacle à ne pas rater. Supposez qu'on leur annonce le lendemain matin que le bonhomme s'est fait liquider à coup de F.M. pendant sa profession de foi, ils auraient trop de regret d'avoir manqué ça. Achille Lendoffé est un homme d'une quarantaine d'années, aux tempes argentées. C'est un gros minotier qui a dû faire beaucoup de blé car il est d'une élégance achevée. Grand, bien découplé (il a gagné trois coupes de tennis et une de polo), l'œil clair, la voix âpre et percutante, le geste autoritaire ; on sent illico en lui l'homme fait pour commander et pour gagner du fric.

Sa grimpée sur l'estrade est saluée par une salve d'applaudissements destinée à magnifier son courage. Il étend les bras pour réclamer le silence. Puis, d'un ton feutré et, en termes pudiques, il rend hommage à la mémoire de ses deux adversaires si tragiquement disparus. Il dit combien il lui est pénible de voir périr de la sorte deux hommes qui, certes, ne partageaient pas ses idées mais qui n'en avaient pas moins droit à toute son estime. On applaudit.

Ensuite, il fait une déclaration pour exprimer sa confiance en l'efficacité de la police. Le coupable sera démasqué et châtié ! (Là, m'est avis qu'il envoie le bouchon hors de sa portée.) Le fou qui, tel Jack l'Eventreur, rôde par la ville, avide de sang nouveau, n'empêchera pas la France de suivre son cours !

Quant à lui, il ira jusqu'au bout de sa mission ; quels qu'en soient les risques, Et s'il doit périr, eh bien, il offre sa vie au pays, en espérant que ce dernier en fera bon usage et que les générations futures… Tralala ! Re-re-applaudissements.

Puis, Achille Lendoffé dégage les grandes lignes de son programme.

A partir de dorénavant, il préconise de faire comme d'habitude, mais en mieux !

On l'acclame.

Il boit un verre d'eau d'Evian et poursuit par des projets d'urbanisme concernant sa circonscription. Il est question de lavoir, de voirie, de route goudronnée, d'écoles, de salle des fêtes, de stade, de cantine, de vieux travailleurs, etc., etc.

J'aurais aussi bien fait d'aller au cinoche voir jouer « La Paluche de ma Frangine dans le futal du Grifton ». La réunion se termine sur une Marseillaise qui, pour être vibrante, n'en est pas moins riche en fausses notes.

En sortant de la salle, je me dis que le Gravos avait raison : aucun problème, c'est Lendoffé qui va se payer la virée au Palais Bourbon. Les décès de ses adversaires vont lui permettre de gagner le canard. Je sourcille. Tiens, tiens, mais au fait !

Une fois de plus, je balance un coup de savate dans les chevilles de mon imagination pour l'empêcher de galoper. Qu'est-ce que je vais gamberger là, tout de même ! On n'est pas au Chicago de la belle époque où les candidats gouverneurs se faisaient buter à qui mieux mieux.

Je rejoins mes collègues chargés de la surveillance du vaillant candidat. Ils le couvent des yeux tandis que Lendoffé serre des pognes à tout va !

— Vous ne le quittez pas avant les élections, hein, les gars ? recommandé-je.

— Vous inquiétez pas, monsieur le commissaire : on se relaie. Nous sommes toujours deux à le surveiller et on roupille dans son antichambre.

— Banco. S'il lui arrivait un turbin, nous pourrions potasser les petites annonces de France-Soir pour trouver de nouveaux jobs, tous autant que nous sommes.

Un dernier regard à Lendoffé. Il est très entouré, le minotier. On le congratule, on lui malaxe les phalanges. Bref, il fait figure de héros.

Je rentre à Saint-Turluru. J'ai hâte de renifler la bonne odeur de la cambrousse et de faire la bisouille à Félicie.