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La servante se baisse pour ramasser une épingle (elle a lu la vie des Rothschild dans « Constellation »). Sa pauvre croupe anguleuse me laisse indifférent. Mais mon imagination délirante en recrée d'autres, plus rebondies, plus appétissantes, plus fascinantes.

— A quoi pensez-vous, amigo ?

Je prends un coup de battoir sur les endosses qui manque me pulvériser la clavicule.

Je me retourne et découvre l'adjudant en retraite. Il est chauve, rubicond, avec des moustaches de chat, un nez en bec de canard, et des petits yeux pareils à des boutons de bottine. C'est un bon vivant. Signe particulier : ne roule pas les « r ».

— Je fais de la délectation morose, dis-je.

Ses sourcils se joignent. Il a beau être chauve, il a tout de même le front étroit. Quarante ans de képi lui ont une fois pour toutes cisaillé la dragée. Ses sourcils ressemblent à une visière.

— Moi, c'est la vésicule, dit-il. On a tous quelque chose.

Il empoigne un journal qui traîne et en lit les titres.

— Toujours rien de neuf à propos de l'assassinat du candidat député de Bellecombe-sur-Moulx, observe-t-il avec scepticisme.

Je ne réponds pas. Il y a dans sa voix un je ne sais quoi d'acerbe et de provocant. Il sait qui je suis et ne m'a pas caché qu'il tenait les nouveaux policiers pour des salopards. Je pressens donc de nouveaux sarcasmes et je me prépare à faire front.

— De mon temps, affirme-t-il, une affaire de ce genre était élucidée dans la journée.

— Ah oui ?

— Ben voyons ! Ce candidat avait des ennemis. Il est facile de les démasquer. Un bon interrogatoire rondement mené et je vous livre le coupable.

— Les ennemis d'un homme politique ne sont pas des ennemis ordinaires, objecté-je.

— C'est-à-dire ?

— Ils ne connaissaient pas forcément leur victime. Ils ont agi par conviction, non par ressentiment personnel.

— Charabia ! me répond insolemment l'ex adjudant.

Et il conclut :

— Notez qu'il s'agissait d'un candidat d'extrême-gauche. C'est pas une perte. Je comprends que la police laisse flotter les rubans !

Abasourdi, je le regarde sortir et je cramponne le baveux. C'est une feuille de la région « La Pensée Bellecombaise » car Bellecombe-sur-Moulx, sous-préfecture de la Seine-et-Eure (nul ne l'ignore, je pense ?) n'est qu'à quatre kilomètres de Saint-Turluru.

Il s'y déroule des élections partielles, vu le décès d'un député. La semaine passée, le candidat communiste a été abattu à son domicile de trois coups de revolver tirés à bout portant. Crime politique. La Rousse s'est occupée de l'affaire avec précaution et jusqu'ici sans résultats.

Je comprends les collègues. Les terrains minés on n'aime pas tellement y foutre son naze.

Je repose le canard et je m'approche du couple d'hôteliers au moment où la dame annonce le résultat de son addition : 60.543,60. C'est un nombre qui en vaut un autre et ce dernier a le pouvoir de plonger les loueurs de draps dans un abîme de réflexion.

— Vous voulez quéque chose ? s’inquiète cependant l'hôtesse.

Je désigne son addition.

— La mienne, fais-je.

L'astuce est trop forte pour elle. Elle croit que je lui montre son stylo et me répond avec un gentil sourire.

— Vous devez vous tromper, monsieur le commissaire, c'est pas votre stylo, c'est la mienne.

Je m'apprête à la faire revenir de son erreur lorsque le facteur entre en trombe dans l'établissement. C'est un facteur comme on n'en fait plus depuis « Jour de Fête ». Il est grand, avec des fringues de coutil qui flottent autour de ses longs membres noueux et il a un nez de vigneron en fin de carrière.

— Vous savez la nouvelle ? clame-t-il d'une voix sifflante car il a perdu son râtelier récemment dans un verre de Cinzano.

— Non ! répondent en chœur les marchands de frites.

— On nous en a tué encore un !

— Un quoi ? S’enquièrent d'une seule voix les additionneurs réunis.

— Un candidat député, pardine…

Intéressé, je m'approche.

— Vous voulez dire que le nouveau candidat communiste a été abattu comme son devancier ? susurré-je.

Le facteur relève la visière de son képi, ce qui le fait illico ressembler à un dessin d'Aldebert.

— Pas le communiste, cette fois : l'U.N.R. !

Alors là, mes fils, j'en prends plein mes moustaches ! Assisterait-on à une vendetta de grande envergure ?

— Comment est-ce arrivé ? je demande.

Le facteur louche sur le comptoir désert. Le taulier, qui comprend ce que regarder-vers-le-comptoir veut dire, lui verse un gros rouge que le postman écluse en moins de temps qu'il n'en faut aux usagers des postes pour coller l'effigie de la Ve sur une enveloppe.

— Ça s'est passé comme pour Marasme !

— Qui est Marasme ?

— Vous savez ; le zig de la Révolution qu'une dénommée Charlotte a saigné dans sa baignoire ?

— Vous voulez parler de Marat ?

Il hoche du képi.

— Peut-être qu'à Paris on l'appelle comme ça, mais dans nos écoles à nous c'est Marasme !

Le candidat a été poignardé dans son bain ?

— Oui. Sa dame l'a trouvé dans la baignoire, saigné à blanc. On lui avait tranché la cariatide avec un rasoir à manche, le sien, justement !

— S'il s'était rasé à l'électricité, ça ne lui serait pas arrivé, ne puis-je m'empêcher de constater.

Mais ma boutade ne fait sourire personne Au contraire, elle me vaut des regards outrés. Je me racle le gosier.

— Il était seul dans sa maison lorsque c'est arrivé ?

— Pas du tout ! Y avait sa femme, sa vieille mère, ses deux enfants, la bonne, son chien de chasse et deux tourterelles en cage.

— Personne n'a rien entendu ?

— Personne.

— Il ne s'agirait pas d'un suicide, par hasard ?

— D'après les premières contestations de la police, paraîtrait qu'non !

Je me masse le bulbe. A cet instant, M'man descend l'escadrin tenant la petite mallette de croco où elle met nos bijoux.

— Tu as prévenu, mon grand ? demande-t-elle à mi-voix.

Je secoue la tête.

— Y’a maldonne, M'man ; on ne part plus.

Elle n'est pas contrariante, Félicie. Elle a décidé une fois pour toutes que tout ce qui sortait de ma bouche était parole d'évangile, Pourtant, elle ne peut s'empêcher de balbutier.

— Ah ! Bon… Mais… Pourquoi ?

— On vient de trucider un nouveau candidat de Bellecombe. C'est passionnant.

Je lui donne la bibise des grands moments.

— Je vais faire un tour chez les bourremen de Bellecombe, M'man. Si par hasard j'étais en retard pour le dîner, mets-toi à table sans moi.

Elle se retient de soupirer et me regarde partir en me lançant un œil plein d'indulgence et de pardon.

Je vais sortir ma tire du garage où elle s'empoussière entre une camionnette de livraison et un tracteur rouillé. Je manœuvre afin de me dégager. Mais juste au moment où je débouche de la cour intérieure de l'hôtel, M. Morbleut, l'ex-adjudant de gendarmerie, me barre la route de ses bras en croix.

— Vous allez à Bellecombe ?

— Oui.

— Ça vous ennuierait de m'emmener ? Vous savez ce qui se passe ? On a ratatiné un second candidat aux élections.

— Pas possible ! Fais-je en lui ouvrant la portière.

CHAPITRE II

Le commissariat de Bellecombe est une ruche, moi je vous le dis. On se croirait aux Galeries Lafayette au moment des étrennes. Il y a des gardes mobiles, des gardes immobiles, des gardiens de la paix, des gardiens de la guerre, des flics en civil, des civils en uniforme, des collègues locaux et des zigs de la Sûreté. Et je ne vous cause pas des journalistes radinés comme des mouches sur un reste de gigot. Ça pullule. Ça crie ! Ça vocifère ! Ça fume ! Ça s'interpelle ! Ça s'interpol ! Tandis que je remise à grand-peine ma charrette, l'ex-adjudant Morbleut, toujours sur la brèche, s'élance dans le commissariat comme un major de l'armée des Indes à la tête de son régiment. Deux C.R.S. en D.S. auxquels on a fait le B.C.G. et qui ont la G.D.B. lui sautent sur le colbak.